Oystein STENE
ACTES SUD
299pp - 22,00 €
Critique parue en avril 2016 dans Bifrost n° 82
Les habitué.e.s d’« Objectif Runes » savent qu’en matière de « mauvais » genres, l’Europe du Nord n’est pas placée sous le seul signe de l’étoile « Polar ». La littérature scandinave contemporaine s’avère aussi féconde dans le domaine de l’Imaginaire, comme en attestent des chroniques précédentes sur des titres finlandais, islandais ou suédois. Avec Zombie nostalgie, c’est à la découverte d’une œuvre norvégienne qu’invite « Exofictions ». Jusqu’à maintenant inconnu dans l’Hexagone, son auteur, Ø. Stene, est écrivain mais aussi réalisateur. Rien d’étonnant donc à ce que la cinéphilie irrigue Zombie nostalgie. C’est en effet dans le 7e Art que le Norvégien a puisé pour créer ses protagonistes. Moins ostensiblement décomposées mais à la gestuelle aussi raide et approximative que celle prêtée par G. A. Romero à ses zombies : telles sont les créatures découvertes dans les années 1910 par des militaires britanniques sur Labofnia, une île de l’Atlantique Nord. « Vivant » là depuis des temps immémoriaux, et sans que l’on sache comment ils y apparaissent, ces zombies septentrionaux se comptent par milliers à la fin du XXe siècle. Autrefois frustes et grommelants, ces morts-vivants ont depuis suffisamment développé leur intelligence, de même que la pratique du langage, pour constituer une Zombie Nation (titre original du roman). Dirigée par un gouvernement démocratiquement élu, dotée d’administrations et d’une économie, s’adonnant aux loisirs, cette société zombiesque ne semble guère différer de celles des vivants. Une parenté que révèle le récit paradocumentaire de Johannes, employé aux Archives labofniennes et narrateur du roman. Ce mort-vivant chroniqueur n’évoque cependant pas uniquement les similitudes sociales entre zombies et vifs. Basculant par moments dans l’autobiographie, son témoignage décrit aussi l’intériorité zombiesque… ou plutôt son absence. Comme le dévoile la confession de Johannes judicieusement écrite d’une plume le plus souvent neutre, la condition de mort-vivant est marquée par un profond défaut de sensibilité, physique et affective. Seuls des sévices corporels extrêmes viennent fugitivement exciter les sens amoindris des zombies, tout en leur permettant d’éprouver aussi brièvement des sentiments. Autant d’illuminations gore que restitue efficacement l’écriture abandonnant sa retenue pour osciller entre horrifique et lyrique. Les Labofniens évoquent alors ces figures ballardiennes (Crash, Que notre règne arrive) dynamitant leur apathie consumériste par une souffrance paroxystique. Là encore fidèle à Romero qui érigea le living-dead en métaphore subversive, Ø. Stene fait de ses « monstres » nos dérangeants semblables. Belle réussite, Zombie nostalgie ménage désormais une place de choix à la Norvège dans la mythologie mondiale du mort-vivant.