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Les critiques de Bifrost

Zone Est

Marin LEDUN
FLEUVE NOIR
400pp - 19,90 €

Critique parue en avril 2011 dans Bifrost n° 62

En moins de cinq ans et essentiellement trois romans, parus au Diable Vauvert et à la « Série Noire » chez Gallimard, Marin Ledun a déjà acquis une réputation flatteuse dans le domaine du polar. Bien qu’étiqueté thriller, son dernier livre en date, Zone Est, relève quant à lui de la science-fiction. L’auteur avait déjà titillé le genre dans Marketing viral, où il était beaucoup question de biotechnologies et de nanosciences développées dans des buts peu avouables, et même si l’intrigue faisait parfois usage de ficelles assez grosses pour amarrer une péniche, le roman proposait quelques développements intéressants sur le sujet. Cette fois, Ledun franchit le pas sans retenue en situant son action trente-cinq ans dans le futur, après qu’un nanovirus a décimé une bonne partie de la population mondiale. Dans l’ancienne vallée du Rhône, désormais ceinte d’une muraille infranchissable, trois millions de personnes survivent tant bien que mal en multipliant les injections de vaccins, les greffes d’organes artificiels et de prothèses diverses. Thomas Zigler est de ceux-là. Il subsiste en vendant ses services aux plus offrants : piratage informatique, vol, filature, il ne s’embarrasse guère de considérations morales lorsqu’il s’agit d’assurer sa survie. Moins il en sait sur les objectifs réels de ses commanditaires et mieux il se porte. Pourtant, lors de sa dernière mission, il ne peut ignorer la découverte qu’il a faite en délestant de sa mémoire l’homme qu’on l’a chargé de retrouver : l’image d’une femme sans aucune prothèse, une humaine biologique, venue de l’autre côté du mur. Une impossibilité absolue, à moins que tout ce que Thomas a toujours su de la Zone Est ne soit un mensonge.

Même avec la meilleure volonté du monde, il n’y a pas grand-chose à sauver de ce roman. Pas son univers, qui ne tient pas debout un instant. Les origines de la Zone Est sont bâclées en quatre pages, sans qu’on sache comment l’immense muraille qui l’entoure (deux cent vingt kilomètres de long sur quatre-vingt de large tout de même) a été bâtie, ni surtout à quoi elle était censée servir à l’origine. Du coup, toute l’organisation sociale qui en découle apparait arbitraire et sans le moindre fondement. Ledun tentera bien quelques explications supplémentaires dans les dernières pages, à ce point invraisemblables que même son narrateur ne pourra les prendre au sérieux, concluant par un lumineux « un enfant de quatre ans ne pourrait avaler une couleuvre pareille ! ». Effectivement.

L’intrigue est à peine moins mal fichue. Les évènements semblent parfois s’enchainer dans la plus grande improvisation, accumulant les scènes d’action répétitives et vaines, certains protagonistes changent leurs motivations au gré des besoins de l’auteur, et les incohérences ne manquent pas. Il est ainsi amusant de voir le narrateur perdre deux doigts et une phalange au cours d’une fusillade, puis, quelques minutes plus tard, escalader à la corde un mur de plusieurs dizaines de mètres de haut tout en flinguant à tout va ses adversaires postés aux fenêtres.

La description de ce monde clos post-apocalyptique, avec ses créatures mutantes, ses cyborgs et ses décors sordides a un côté paradoxalement assez désuet, une esthétique années 80 empruntant dans le meilleur des cas aux univers les plus sinistres de Druillet, et le plus souvent aux nanards futuristes du cinéma-bis italien de l’époque. On pense aussi aux quelques tentatives cyberpunk auxquelles une poignée d’auteurs français s’est essayée il y a une vingtaine d’années, sans succès. Dans le genre, Marin Ledun est encore moins convaincant.

Tout cela est d’autant plus triste que le roman aborde des thèmes tout à fait dans l’air du temps : les manipulations de l’industrie pharmaceutique, un système qui s’emballe et échappe à tout contrôle, difficile d’être plus dans l’actualité. Sauf que la volonté de dénoncer de l’auteur, aussi sympathique soit-elle, ne s’appuie que sur du vide, une construction dépourvue de toute vraisemblance et un pire fantasmé sans le moindre lien avec la réalité. On l’aura compris : Zone Est est un ratage complet.

Philippe BOULIER

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