En 2020, dans son essai Zones de divergence, l’universitaire Julian West a prédit la fin du monde tel que nous le connaissons, fondant son analyse sur la géopaléontologie, autrement dit l’observation de la disparition des grandes civilisations passées. En 2050, au crépuscule de sa vie, alors que le monde a basculé dans le chaos, validant ainsi ses prédictions, il entreprend un voyage aux quatre coins du monde, via un simulacre numérique, afin de retrouver ses trois enfants et son épouse.
Les fins du monde relèvent souvent d’un processus de catharsis où l’auteur et les lecteurs se purgent de leurs peurs en envisageant le pire pour l’humanité. D’aucuns y voient un prétexte pour laisser infuser une poésie du désastre, manière de rappeler à tous que toutes les civilisations, mêmes les plus évoluées, sont mortelles. Pour d’autres, le récit vaut pour avertissement. En anticipant les effets néfastes de l’incurie de leurs contemporains, ils espèrent ainsi les voir changer d’attitude. Zones de divergence semble se situer dans ce registre, même si le narrateur ne nourrit guère d’illusion quant à un éventuel sursaut, considérant que l’humain ne réagit que lorsqu’il se trouve au pied du mur et rarement avec altruisme.
En dépit d’un bandeau racoleur et hors de propos (« le roman de l’après-Trump »), le roman de John Feffer s’inscrit dans une perspective prospectiviste. En spécialiste des relations internationales, l’auteur américain survole ainsi diverses questions géopolitiques dont nous pouvons d’ores et déjà jauger les prémisses. Repli nationaliste, guerres asymétriques, dissolution de l’État-nation, il n’oublie fort heureusement pas de mentionner dans son tableau le réchauffement climatique, source d’aggravation de nombreux antagonismes humains déjà solidement enracinés. Pour autant, les spéculations de John Feffer ne semblent pas relever d’un effondrement systémique. Elles s’inscrivent plutôt dans la théorie de la complexité, la civilisation ne s’écroulant pas brusquement, mais au terme d’un long processus de fragmentation résultant d’interactions complexes.
Si l’on peut accorder crédit à l’expertise de John Feffer pour donner substance et vraie semblance à sa fin du monde, force est de reconnaître que Zones de divergence apparaît un peu plus maigre d’un point de vue romanesque. L’intrigue se révèle en effet fort mince. L’auteur américain réduit la caractérisation des personnages à la portion congrue, préférant se concentrer sur un compte-rendu factuel de la déliquescence de l’humanité, à la manière d’un médecin auscultant son patient. Il tente bien d’introduire un niveau de lecture supplémentaire, via un appareil critique prenant la forme de notes en bas de page, mais ce procédé de distanciation fait long feu.
Bref, les lecteurs trouveront sans doute davantage de matière littéraire dans la trilogie de Gert Nygardshaug (Le Zoo de Mengele, Le Crépuscule de Niobé et Le Bassin d’Aphrodite), voire dans Le Paradoxe de Fermi de Jean-Pierre Boudine, certes d’une manière plus mesurée pour ce second cas. Zones de divergence n’en demeure pas moins riche en hypothèses à déjouer. Hélas, ce n’est pas gagné tant l’actualité du monde ne semble pas vouloir donner tort à la fiction.