Acadie est le premier texte traduit en français du britannique Dave Hutchinson, auteur prolifique, éclectique (il exerce aussi bien dans la forme courte que la longue, n’hésitant pas à mélanger les genres) et atypique (journaliste de profession, il est resté vingt ans sans publier de fiction). Duke est Président de la Colonie, habitat spatial fondé par une généticienne de génie ayant fui un demi-millénaire plus tôt une Amérique livrée à un régime théocratique et d’alt-right aux lois bioéthiques draconiennes. Depuis, la Colonie se cache des innombrables sondes de l’Agence terrienne gérant la colonisation dans des systèmes extrasolaires précisément choisis parce qu’ils sont peu propices aux activités minières ou au peuplement. Lorsque le récit commence, la chance de la petite utopie, où un anarchisme bon enfant se couple à d’extravagantes modifications génétiques – Iain Banks n’est pas loin —, vient de tourner : une sonde a franchi, sans qu’on comprenne comment, les considérables défenses et systèmes de détection de la Colonie. Et le pire, c’est qu’on ne sait pas depuis combien de temps, ni si l’Agence n’est pas déjà en route. Une seule solution : évacuer. Le récit va s’articuler selon deux axes : les événements dans le présent, et les analepses expliquant les circonstances de la fondation de la Colonie et comment Duke a rejoint ses rangs.
Entre New Space Opera aux échos transhumanistes (ingénierie génétique, hyperpropulseurs, communication par intrication quantique, etc) sérieux centré sur la bioéthique, et humour décalé (on donne le pouvoir précisément à ceux qui n’en veulent pas, les noms de vaisseaux sont désopilants, le ton caustique du narrateur est savoureux, le Conseil de la Colonie, constitué de gens transformés par la génétique en elfes, hobbits, Klingons ou même Toons, est un pur délire de geek), on se dit qu’on tient là un roman intelligent, sympa, mais somme toute mineur. Et là, dans le dernier quart, a lieu LE retournement de situation qui remet absolument tout, l’humour y compris, en perspective. S’il peut éventuellement se voir venir, selon la culture SF du lecteur, cela n’en gâche pas pour autant son impact vertigineux, et si la thématique mise en jeu peut paraître, de prime abord, du rabâché, ayant été lourdement exploitée, en autre au cinéma, ces vingt-cinq dernières années, ce serait négliger le fait que l’auteur lui fait subir un twist très intéressant.
Avec Acadie, Hutchinson fait une entrée fracassante dans la SF accessible aux francophones, signant un (court) roman aussi intelligent (dans sa façon d’alerter sur les dangers de certaines technologies) que vertigineux (via un retournement de situation radical au moment où le lecteur s’y attend le moins). Un must-read, sans nul doute.