Lyda Rose est passée à deux doigts du succès. Il y a quelques années, au sein de la start-up de bio-ingénierie qu’elle a créée, elle a contribué à la mise au point d’un produit aux résultats prometteurs pour soigner la schizophrénie, et réussi à convaincre un grand laboratoire pharmaceutique de sortir son épais portefeuille pour investir dans ses recherches. Un conte de fée capitaliste qui a viré au cauchemar lorsque sont apparus les effets secondaires initiaux du produit en question, et que Lyda en a été l’une des premières victimes. Elle a alors tout perdu : son avenir radieux, la femme qu’elle aimait, son enfant. Elle y a en revanche gagné une présence permanente qui l’a conduite tout droit en hôpital psychiatrique. Car le Numineux a pour particularité de vous faire rencontrer Dieu, ou du moins l’idée que vous vous en faites, et d’imposer en permanence à vos côtés cette présence divine dont vous seul êtes conscient. L’expérience enterrée, Lyda a fini par se faire à son sort, jusqu’au jour où le Numineux refait surface, dans la banlieue de Toronto, entre les mains d’une nouvelle église dont les fidèles semblent bien moins armés qu’elle pour faire face à cette révélation.
Dans le futur proche que décrit Daryl Gregory, le Numineux n’est qu’une parmi d’innombrables drogues de synthèse ayant fait leur apparition, capables de transformer un paisible éleveur de bétail nain en impitoyable tueur ou de faire d’une fête estudiantine une gigantesque partouze gay. Avec une imprimante 3D et un peu d’imagination, tout est possible. Mais c’est avant tout sur les effets du Numineux que se focalise l’auteur, ses effets et les interrogations qu’il suscite. La question de la foi, de la spiritualité, est au cœur du roman, non seulement à travers le personnage de Lyda Rose, consciente de l’aspect artificiel de ce qu’elle ressent en son for intérieur et pourtant incapable de s’en passer, mais aussi à travers ce que d’autres vivent au quotidien, de ce jeune paumé persuadé que son esprit se trouve enfermé dans un minuscule coffre au trésor qu’il porte au tour du cou, à cet autre dont la personnalité s’est entièrement effacée pour ne plus être que l’hôte de la divinité qu’il porte en lui. Les lignes de réflexion que lance Gregory rejoignent celles qu’abordait déjà Greg Egan il y a vingt ans dans des nouvelles comme « Orbites instables dans la sphère des illusions » ou « Paille au vent », et elles n’ont rien perdu de leur pertinence.
Sur la forme, Afterparty a des allures de course poursuite pas vraiment frénétique, tant son objet premier semble plutôt être de passer le plus de temps possible en compagnie de ses personnages, d’entrer dans leur intimité et de faire ressentir au lecteur tant leur désarroi que leurs espoirs. Comme dans ses précédents romans, Daryl Gregory met en scène des individus que la vie n’a certes pas épargnés, mais qui n’en sont jamais sortis brisés, qui ont gardé au fond d’eux même cette étincelle que les événements qu’ils traversent vont raviver. Plus encore que de l’empathie, c’est avant tout de la sympathie que l’on ressent pour eux, sentiment qui achève de faire d’Afterparty une lecture on ne peut plus réjouissante.