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Les critiques de Bifrost

Aux douze vents du monde

Ursula K. LE GUIN
LE BÉLIAL'
416pp - 24,00 €

Critique parue en juillet 2018 dans Bifrost n° 91

Paru outre-Atlantique en 1975, Aux douze vents du monde constitue le tout premier recueil de nouvelles de Ursula K. Le Guin (une vingtaine d’autres suivrons, ainsi que le rappelle la bibliographie des œuvres de Le Guin établie par Alain Sprauel et incluse dans Aux douze vents du monde ; très détaillée, cette recension englobant aussi bien les œuvres de fiction que les poésies et les essais de l’auteure vient compléter celle proposée à l’occasion du dossier qui lui fut dévolu en 2015 dans le Bifrost n°78.) Les dix-sept textes composant cette anthologie ont été choisis et commentés par l’auteure elle-même. Se dessine ainsi un remarquable autoportrait littéraire susceptible d’intéresser aussi bien les néophytes que celles et ceux qui fréquentent l’œuvre de Le Guin de longue date… Pour les premiers, Aux douze vents du monde peut être appréhendé comme une très riche introduction à l’univers de la créatrice des cycles de «  Hain » et de «  Terremer ».

Ce recueil dresse d’abord un panorama des formes de l’Imaginaire chères à Le Guin. Aux douze vents du monde souligne ainsi l’attachement particulier de l’auteure aux registres de la science-fiction et de la fantasy. De cette dernière relèvent des nouvelles telles que « La Boîte d’ombre », « Le Mot de déliement » et « La Règle des noms ». Campant tous trois des affrontements à la fois héroïques et magiques entre créatures humaines et légendaires, ces récits témoignent du goût de l’écrivaine pour un certain médiéval-fantastique. « Neuf existences », « Plus vaste qu’un empire » ou « Le Champ de vision » illustrent quant à elles la manière science-fictionnelle de Le Guin. Constituant autant d’odyssées spatiales en miniature, ces nouvelles mêlent au thème de l’exploration intersidérale des questions telles que celles du clonage ou bien de l’intelligence extraterrestre. Fantasy et SF peuvent aussi coexister en une même histoire, comme dans « Le Collier de Semlé ». Épousant une trajectoire narrative allant du conte merveilleux à l’anticipation scientifique, cette nouvelle atteste de la capacité de Le Guin à se réapproprier de la manière la plus personnelle les formes les plus canoniques de l’Imaginaire. Une liberté littéraire dont témoigne peut-être plus encore un ensemble de récits — « Les Maîtres », « Les Choses », « Le Chêne et la Mort », « Ceux qui partent d’Omelas » — relevant du « psychomythe ». Un genre forgé par Le Guin elle-même, consistant en « des fables quasiment surréalistes qui ont en commun avec le fantastique de se dérouler hors du temps et de l’histoire ». Quasi exhaustive, cette ample cartographie formelle dressée par Aux douze vents du monde inclut encore les veines humoristique (« Avril à Paris ») ou historique (« Étoile des profondeurs ») de l’auteure. Restituant au mieux la variété narrative de l’imaginaire le-guinien, le recueil permet d’en cerner la cohérence thématique de façon pareillement éclairante. Chacune des dix-sept nouvelles fait en effet de la rencontre avec l’Autre sa question centrale. Certes, comme l’auteure l’écrit dans « Neuf existences », « rencontrer un étranger n’a rien d’évident. Même le plus grand extroverti, face au plus paisible des étrangers, ressent une certaine crainte, parfois même sans s’en rendre compte. […]. Il y a cette chose terrible : l’étrangeté de l’étranger. » Mais pareil trouble doit être dépassé car, ainsi que l’exprime « Le Roi de Nivôse » : « c’est notre variété qui fait notre beauté. Si l’on fusionnait tous ces mondes si divers par leurs esprits, leurs vies, leurs corps, quel tout harmonieux l’on pourrait en faire ! » S’imposant comme une initiation idéale à l’œuvre métisse de Le Guin, Aux douze vents du monde n’en séduira pas moins les plus averties de ses admiratrices et admirateurs. Précédemment publiées en français dans des ouvrages épars, ces dix-sept nouvelles sont enfin réunies en un seul volume respectant fidèlement la forme que lui avait initialement conférée Le Guin. Tous les textes sont en outre proposés dans des traductions révisées par Pierre-Paul Durastanti. Aux douze vents du monde inclut par ailleurs des « nouvelles séminales » à l’occasion desquelles l’écrivaine ébaucha les contours de quelques-uns de ses romans les plus fameux. Soient autant de précieuses archives pour les leguiniens et leguiniennes désireuses d’en savoir (encore) plus quant à la genèse de La Main gauche de la nuit, de L’Ultime rivage ou bien encore des Dépossédés. Nul doute donc qu’une fois achevée la lecture de ces dix-sept nouvelles, l’on éprouvera une irrésistible envie de (re)lire tout Le Guin.

Et c’est ainsi un très bel hommage que Le Bélial’ rend à l’auteure récemment décédée en publiant Aux douze vents du monde.

Pierre CHARREL

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