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Les critiques de Bifrost

Bankgreen

Bankgreen

Thierry DI ROLLO
LE BÉLIAL'
368pp - 20,00 €

Bifrost n° 62

Critique parue en avril 2011 dans Bifrost n° 62

Après sept romans, deux recueils de nouvelles et plus de vingt ans d’écriture, Bankgreen marque une évolution importante dans la carrière de Thierry Di Rollo. Après la science-fiction, le fantastique et le roman noir (lorsque vous lirez ces lignes sera paru son second polar et premier « Série Noire », Préparer l’enfer), il s’attaque ici pour la première fois à la fantasy, et le résultat est tout à fait étonnant, car sa manière d’aborder le genre est très différente de son approche de la S-F. Alors que dans un cas, en fin connaisseur du genre, il lui suffisait d’un roman à l’autre de recycler les mêmes tropes pour donner corps à ses visions d’avenir, ici au contraire il fait montre d’une candeur inattendue et ignore tous les poncifs propres à la fantasy, donnant ainsi naissance à un univers aussi unique que riche.

Parmi les nombreux personnages qui habitent ce roman, le premier d’entre eux est Bankgreen, monde sauvage, immense, partagé entre un continent unique — Pangée — et une mer en grande partie inexplorée — GrandEau. Y cohabitent plus ou moins bien (plutôt moins) plusieurs races : les Digtères et les Arfans, les deux principales cultures à s’y être développées, en constante rivalité ; les Shores, esclaves consentants des deux autres peuples ; les Katémens qui, pour ne pas subir le même sort, se sont réfugiés à bord du Nomoron, navire à la fois fabuleux et cauchemardesque — comme si les sept cercles de l’Enfer de Dante avaient trouvé refuge dans les cales du Nauti-lus — sillonnant GrandEau ; les énigmatiques êmuls qui ont accompagné les Katémens dans leur exil maritime ; et les Runes, aussi vieilles que le monde lui-même, observant et manipulant sans cesse tout ce petit monde. A cela s’ajoutent une faune et une flore des plus exotiques.

Et puis il y a Mordred, le dernier des va-raniers, un être que beaucoup croient im-mortel sous l’armure qu’il ne quitte jamais, arpentant sans relâche ce monde qui n’est pas tout à fait le sien, semant dans son sillage chaos et destruction. Mordred a le pouvoir de savoir comment ceux qu’il croise vont mourir, et ce n’est jamais de manière paisi-ble.

« Sur Bankgreen, tout a une raison », répètent à l’envi ses habitants. Il est vrai que le hasard tient peu de place dans les évènements qui nous sont décrits. L’intrigue déroule un plan minutieusement élaboré, dont les ramifications s’étendent sur près de deux siècles, et où la plupart des protagonistes jouent leur partition sans être conscient des réels enjeux en cours. Le roman raconte la fin d’un cycle, à l’échelle de la planète, et l’histoire de ceux qui l’ont mené à son terme.

La mort est omniprésente dans Bankgreen. Brutale le plus souvent, subite, inévitable. « La mort répond à la première et à la dernière des logiques, celle de la nécessité. » Mais c’est toujours à son aune que chaque personnage définit ce qu’est sa vie. Et pour chacun elle revêt une signification différente : paradoxale pour Mordred, issu d’une race de quasi immortels et pourtant dernier de ses représentants ; absurde pour les membres de l’escorte initiatique qui l’accompagne, obligés de s’entretuer afin que le dernier d’entre eux puisse connaître un sort tout aussi funeste ; source inépuisable de haine pour Niobo, l’enfant que Mordred a pris sous son aile après avoir tué ses parents ; obsédante pour Silmar, le capitaine du Nomoron, qui a pourtant encore plusieurs siècles devant lui. Des Shores qui s’épuisent dans les mines aux Runes dont la longévité ne se mesure pas, les habitants de Bankgreen ne sont pas plus égaux devant la mort que devant la vie, et chaque espèce vit dans un rapport au temps différent. Mais pour tous le temps avance, celui des changements proches et irréversibles. Sur Bankgreen, tout a une raison, parce que tout a une fin.

Par-delà la noirceur de Bankgreen, on éprouve pourtant une véritable jubilation à sa lecture. En creux, le roman est aussi une ode à la vie, dans toute sa variété et sa luxuriance. D’une écriture toujours aussi précise et affutée, Thierry Di Rollo nous donne à voir un monde d’une incroyable richesse, sauvage et envoutant. Plus qu’un simple cadre aux aventures qui s’y déroulent, il est le personnage central du roman, en même temps que le terrain de jeu idéal pour permettre au romancier de déployer tous ses talents. Je serais surpris que cette rencontre s’arrête là.

Philippe BOULIER

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