Rich LARSON
LE BÉLIAL'
112pp - 9,90 €
Critique parue en janvier 2024 dans Bifrost n° 113
Après la révélation du recueil La Fabrique des lendemains, après Ymir (cf. Bifrost n°101 et 109), un récit intéressant mais qui montrait que Rich Larson était plus à l’aise sur la forme courte que sur la longueur du roman, voici l’auteur revenu à un format qui devrait mieux lui convenir, à savoir la taille intermédiaire de la novella. Qui permet à la fois de construire un univers cohérent et de maintenir un rythme élevé sans trop craindre l’essoufflement. Yanna, une contrebandière, accompagné de Hilleborg, son compère réduit à une tête depuis qu’il a été condamné pour un larcin à la place de ladite Yanna, sont embauchés par deux jumeaux pour se rendre sur un nagevide, gigantesque créature en orbite autour d’une géante gazeuse. Habituellement, les touristes sont plutôt friands de nagevides vivants, mais les deux loustics, qui fricotent sexuellement ensemble, ont choisi un nagevide en décomposition. Ce qui aurait dû mettre la puce à l’oreille de Yanna, pourtant aguerrie, mais qui, fauchée, se jette tête la première dans un pétrin à nul autre pareil…
Ce que l’on avait retenu de La Fabrique des lendemains, c’était une inventivité de tous les instants, dans les décors, les situations, portée par un vrai sens du rythme et des trouvailles lexicales à foison, parfaitement cohérentes. Tout ceci se retrouve ici : pour invraisemblable qu’il soit au premier abord, l’écosystème du nagevide semble complètement naturel après quelques pages, entre créatures voraces et végétation tout autant envahissante, en droite ligne de ce qu’ont pu produire les auteurs de pulps, mais assaisonné selon une recette un peu piquante, moderne, dont l’aspect sarcastique et décalé cache mal un vrai respect pour celles et ceux qui l’ont précédé. Bref, on est en plein sense of wonder (quoi de plus normal pour un livre publié chez un éditeur ayant une collection intitulée « Pulps »), à l’énergie revigorante rythmée par des rebondissements incessants. On ne saurait toutefois réduire ce texte au seul plaisir d’un cocktail survitaminé : s’ils n’avaient pas une réelle profondeur, les personnages seraient vite réduits à l’état de pantins et le texte à un exercice de style plaisant mais finalement assez vain. Ici, le background des protagonistes est travaillé, les jumeaux, initialement des touristes superficiels, acquièrent finalement une épaisseur quand on connaît l’aspect tragique de leur lignée, les relations entre Yanna et Hilleborg se complexifient à mesure que les anecdotes anciennes affleurent… Pour finir, rappelons la créativité de Larson, qui passe par des mots-valises et autres néologismes bien sentis, parfaitement rendus par Pierre-Paul Durastanti, et l’on pourra conclure sur un sentiment partagé par beaucoup : Rich Larson est désormais une des principales références en matière de textes courts sur les dix dernières années. Au rythme où le bonhomme – à peine trente ans au compteur ! – écrit, on lui prédit déjà une carrière monumentale.