Ça commence comme un roman post-apocalyptique qui, étrangement, convoque des images de Colbalt 60, le comix culte de Vaughn Bode. Dans une Terre future dévastée, on suit la mission d’un certain Dwayn Darker, enfant des cités-poubelles, chargé d’aller récupérer deux chiens jumeaux capables de prédire des tremblements de terre. Le monde romanesque se déploie alors peu à peu. On découvre, via des flash-backs, l’amour perdu de Darker puis la géographie de cette Terre futuriste que les plus ri-ches comptent bien quitter à bord du Drift, gigantesque vaisseau destiné à faire migrer une partie de l’humanité sur une planète qu’elle espère plus habitable. Evidemment, Darker sera du voyage et le roman bascule alors dans un autre « classique » de la SF : le vaisseau générationnel. L’espace devient alors pour Di Rollo un lieu de claustrophobie où le temps défile lentement, se répète, où la vie n’est guère plus belle chez les riches qui foncent vers un hypo-thétique paradis que sur Terre, dans la fange des bas-fonds.
Une fois de plus, comme lorsqu’il s’attaque à un genre, ici la SF post-apo’ et le vaisseau gé-nérationnel, Thierry Di Rollo se joue des clichés. Il contourne habilement le côté « générations » grâce à des humains rendus quasiment immortels et retourne cette idée classique de SF en la pervertissant habilement. Comme d’habitude chez l’auteur remarqué depuis des années pour ses récits sombres et puissants, la force du texte réside dans son personnage principal travaillé et hanté par des démons, des souvenirs, et qui se dresse face à une humanité amorale et déliquescente. Di Rollo oppose l’empathie et la droiture au comportement incompréhensible d’une catégorie d’humains qui reflète la classe dirigeante d’aujourd’hui. Drift, roman de classe ? Probablement. Mais pas que. Post-apo’, space op’, indéfinissable au final, le dernier livre de Thierry Di Rollo annihile consciencieusement tout espoir — un mouvement que le quotidien n’a rien à lui envier, ouvrez donc un journal —, mais le fait avec la maîtrise et, osons le mot, tout l’amour dont l’auteur est capable. On aime et on pleure, chez Di Rollo, bien avant de saigner. La violence des hommes est toujours plus douloureuse que celle du monde. Et si le côté sombre et dur des textes du romancier est une constante, il ne pourrait s’agir au final que d’un trompe-l’œil, d’un voile au-delà duquel se trouvent les vrais sujets, les véritables obsessions de l’auteur. Car, comme un archéologue des immondices, le lecteur découvre, au milieu des comportements affreux de la majorité des personnages, des actes de compassion, d’amour, d’humanité qui forment autant de pépites dont le contexte fait ressortir l’éclat — l’amour de Darker pour Kenny, ici à l’épicentre. Il n’y a pas d’espoir, certes, pas de raison ni de happy-end chez Di Rollo, mais pourrait-il y avoir malgré tout la possibilité d’un amour, d’un moment de grâce, de beauté auquel se rattacher ? Etre heureux, ne serait-ce qu’un instant ?
Au final, Drift se paie le luxe de regrouper plusieurs histoires de SF dans un seul excellent roman tout en continuant de malaxer les obsessions du bonhomme (les Beatles comme d’habitude en guest stars). Une lecture qui peut être éprouvante pour ceux qui découvrent l’auteur, mais tellement gratifiante.