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Les critiques de Bifrost

Hadès Palace

Francis BERTHELOT
LE BÉLIAL'
270pp - 14,00 €

Critique parue en janvier 2006 dans Bifrost n° 41

[Chronique commune à Bibliothèque de l'entre-mondes et à Hadès Palace]

Noël 2005, c'est deux Berthelot pour le prix d'un. Le genre de promotion impossible à refuser, d'autant que le produit répond à toutes les attentes. D'un côté, un roman, Hadès Palace, sixième variation (ou déviation) inscrite dans le grand œuvre Le Rêve du démiurge cher à l'auteur. De l'autre, Bibliothèque de l'entre-mondes, un travail de recherche beaucoup plus universitaire autour du thème des transfictions. Indispensable guide de lecture qui complétera en beauté les trois guides Folio « SF » précédents (Passeport pour les étoiles, de Valéry, Atlas des brumes et des ombres, de Marcel, et Cartographie du merveilleux de Ruaud), le guide de Francis Berthelot définit enfin (et avec élégance) l'indéfinissable : les romans et textes qui relèvent de l'imaginaire sans y appartenir vraiment, les histoires bizarres, tordues, vicieuses et si personnelles que la grande famille de la S-F ne pouvait qu'y retrouver ses petits. Dès lors, après une introduction qui explique avec à propos les raisons qui font basculer un roman mainstream dans la transfiction (processus détaillé allègrement et que l'on pourra résumer en un seul mot lourd de sens : transgression), Francis Berthelot convoque son lecteur et le promène agréablement au milieu d'œuvres aussi classiques que Le Rivage des syrtes, Le K ou Gormenghast, tout en s'autorisant quelques pas de côté (c'est là tout le sel du livre) en évoquant des œuvres beaucoup plus singulières, voire méconnues (dont on pourra citer Lanark, de Gray, ou encore L'Autre côté, de Kubin). Au final, la Bibliothèque de l'entre-mondes rassemble cent fiches de lecture, mais c'est plutôt mille qu'il faudrait, tant le voyage est inépuisable. Reste que Berthelot livre ici un travail de pionnier qui fera date et ouvre un chemin que l'on espère royal. Aux autres de prendre la relève et d'augmenter un corpus qui réconcilie enfin les genres tout en les séparant. Paradoxe ultime, sans doute, mais vrai plaisir de lecture, vraie balade riche en découvertes et chemins de traverses, avec le gai savoir pour seule récompense, ce qui n'est pas mal quand même 1.

Retour à la fiction (légèrement transgressive, cette fois) avec Hadès Palace, roman sombre et angoissé qui raconte la descente aux enfers (au sens le plus littéral) de Maxime, jeune mime séduit par les sirènes de l'Hadès Palace, temple de la création à la mode et ticket d'entrée assuré pour le succès. Une fois accepté au saint du saint, le jeune homme ne tarde toutefois pas à déchanter : ici, l'art est vivant. Pour plaire à un public aussi voyeur qu'exigeant, l'artiste doit se sacrifier, faire don de ses propres tripes et atteindre la grâce en crevant de beauté. Asile de fous, mais aussi métaphore des paillettes et du strass qui séduisent trop vite et qui finissent par brûler, l'Hadès Palace est dirigé par un homme qu'on dit immortel, protégé par des vigiles tout droit sortis d'un film de Pasolini. Pour Maxime, la visite au pays des morts commence. Premier cercle où tout semble aller de soi, deuxième cercle où l'on rééduque les artistes avec des méthodes nazies, puis troisième encore plus inquiétant et dont on ne pipera mot. Maxime connaîtra-t-il le destin de tous ces artistes sacrifiés sur l'autel d'une passion aussi cruelle qu'exigeante ?

Evidemment écrit de façon magistrale (une habitude, chez Berthelot), Hadès Palace est au final un roman d'une grande limpidité, en totale opposition avec Nuit de colère (son roman précédent, chez Flammarion). La narration est fluide, les rebondissements bien agencés et la morale de l'histoire claire et nette. On décèle même une certaine note d'optimisme dans ce qu'il faut bien appeler un happy-end. Autant dire que le plaisir de lecture est bien réel et parfaitement accessible. Hadès Palace, roman idéal pour découvrir Francis Berthelot ? Sans doute. La langue est déliée, les thèmes tous présents et l'ensemble fonctionne remarquablement bien.

Résumons. Nous avons le Berthelot romancier et le Berthelot chercheur. Miracle, les deux se complètent harmonieusement et nous passionnent toujours autant. Chapeau, monsieur. Beau travail, comme on dit à la Légion.

Notes :
1. Précisons que nous consacrerons, dans notre prochain numéro, une étude plus détaillée, signée Jacques Goimard, à cet essai de Francis Berthelot. [NDRC].

Patrick IMBERT

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