On est plus habitué à trouver les livres de Loïc Le Borgne au rayon jeunesse, un segment de l’édition où l’auteur jouit d’une bonne réputation. Avec Hysteresis, il saute le pas de la littérature adulte, optant pour le récit post-apocalyptique. Cependant, si tous les indicateurs pointent vers un lectorat plus âgé, le registre n’en demeure pas moins celui du conte. Un récit des temps futurs, situé après la catastrophe ayant emporté notre civilisation, écrit par un enfant et destiné à des adultes. Un texte en forme de supplique adressée au passé, notre époque, pour y réveiller les consciences et éviter la tragédie à venir. Car, s’il est désormais probable que nous laisserons la planète en piteux état pour les générations futures, tant l’inertie de nos modes de vie demeure difficile à vaincre, on ne sait toujours pas à quels enfants nous transmettrons ce patrimoine dégradé. Seront-ils animés par un esprit de vengeance ? Commettront-ils les mêmes erreurs ? Ou sauront-ils tirer les leçons de nos excès s’ils en ont seulement la possibilité ?
A ces questions, Loïc Le Borgne répond via le prisme de la fiction, imaginant un huis clos où le contexte post-apocalyptique ne sert finalement que de décor. L’auteur évacue ainsi les circonstances de l’effondrement de notre civilisation pour se focaliser sur un microcosme rural. Sans préambule, il nous immerge à Rouperroux, misérable village jouxtant une ancienne route nationale. Dans ce lieu, plus qu’ailleurs, les habitants ont fait le deuil du passé. On peut même dire qu’ils en ont fait table rase, renonçant au confort procuré par la société de consommation pour lui préférer une existence plus proche de la nature et des arbres. Un retour à la terre empreint de superstitions. A Rouperroux, on craint les fées et on se méfie des étrangers, surtout les plus âgés car ils détiennent la mémoire des temps anciens. A Rouperroux, on n’hésite pas à bannir les curieux et les autres questionneurs qui veulent étancher leur soif de savoir. On maudit la nouveauté et le changement et on décrète hérétique toute allusion aux pollueurs, cause des malheurs présents. A Rouperroux, l’arrivée de Jason Marieke réveille des souvenirs jusque-là couverts par le sceau du secret. Le vieux, comme tous l’appellent assez vite, se fait remarquer par sa liberté d’esprit et de parole. Un comportement qui déclenche des réactions contrastées dans le village où ses questions et ses chansons agacent au moins autant qu’elles suscitent la sympathie.
En achevant la lecture d’Hysteresis, on hésite entre la déception et l’enthousiasme. Bâti comme un western, le roman se distingue par sa tonalité classique et le manichéisme de son histoire. Marieke fait figure de right man in the right place, déstabilisant par sa présence le fragile équilibre du village. Son arrivée provoque les commentaires et les confidences des uns et des autres, soulignant l’hypocrisie qui prévalait jusque-là. Au terme d’un lent crescendo dramatique, la vérité finit par éclater au grand jour, mais d’une manière que l’on peut juger convenue. Et si l’atmosphère asphyxiante s’avère réussie, elle est hélas desservie par des caractères sans réelle profondeur, car à l’exception de Marieke, tous restent trop monolithiques et prévisibles, enfermés dans une intrigue balisée ne ménageant guère de mystère. De même, le mélange entre le registre écrit et oral ne fonctionne pas vraiment non plus. Censé assurer le lien entre le passé et le présent, les extraits de textes librement adaptés de Bob Dylan, Jim Morrison, Jacques Brel et d’autres chanteurs ne contribuent qu’à hacher le récit, introduisant certes un peu de poésie et de lyrisme, mais au détriment de sa fluidité. Ainsi, Hysteresis apparaît comme un roman d’apprentissage à l’envers où ce sont les descendants qui font la leçon à leurs parents. Toutefois, si le questionnement interpelle, on reste au final déçu par le caractère superficiel de la réponse. D’aucuns pourraient juger le résultat raté, on se contentera de le trouver juste banal et sans éclat, du moins pour un lecteur adulte.