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Les critiques de Bifrost

Jardins de poussière

Ken LIU
LE BÉLIAL'
544pp - 24,90 €

Critique parue en janvier 2020 dans Bifrost n° 97

Quatre ans après le très bon La Ménagerie de papier, Le Bélial’ propose aujourd’hui Jardins de poussière, nouveau recueil du multiprimé Ken Liu, une fois encore organisé par les Quarante-Deux et traduit par Pierre-Paul Durastanti. Non contents d’avoir réuni des textes écrits par Liu durant toute sa carrière, les Quarante-Deux les ont regroupés par thèmes, offrant ainsi à l’ensemble une cohérence multithématique qui a surpris l’auteur lui-même.

Le premier texte du recueil concentre pour le mieux ce que sait faire l’auteur : « Jardins de poussière » est le récit vertigineux d’une colonisation spatiale au bord de l’échec sauvée de justesse par un acte mêlant rigueur scientifique, beauté poétique et une once d’amour.

Tout au long de l’ouvrage, on trouvera ce mélange assez inédit qui caractérise le travail de Liu. Car touchant à beaucoup de genres SFFF différents – donc, à beaucoup de formes différentes –, c’est à son fond que l’auteur est reconnaissable, au mix de justesse, de sensibilité et de tendresse qu’il met dans des histoires qui racontent la difficulté des sentients à vivre ensemble, mais aussi la chaleur réconfortante qu’apportent la présence et l’amour des autres. Des nouvelles qui, peu ou prou, parlent toutes de famille, de contact, d’Histoire, d’exploration, de changements, voulus ou forcés. De la difficulté donc d’avancer vraiment sans perdre en route ce qu’on est, ce qui fut, sa culture ou son entourage.

Revue en flashes non résumés :

« La Fille cachée » et « Bonne chasse » – cette dernière adaptée en anime dans la série Love, Death, and Robots par Netflix – sont silkpunk et steamfantasy. Mais dans les deux cas, c’est de changement qu’il s’agit pour des personnages profondément émouvants.

« Rester » , « Ailleurs, très loin de là, de vastes troupeaux de rennes », et la très jolie « Souvenirs de ma mère » s’interrogent, Ken Liu-style, sur les déchirements et les évolutions radicales qu’entraîneront les techniques de numérisation des consciences. Excellents et à rapprocher du meilleur d’Egan.

« Le Fardeau » est un texte de xéno-archélogie vraiment drôle sur lequel il importe de ne pas spoiler. Quant à « Nul ne possède les cieux », on y mêle science et religion au service d’innovations qui, les hommes étant ce qu’ils sont… N’en disons pas plus.

« Long courrier » , assimilable à un texte de climat fiction, dépeint un monde nouveau rendu meilleur, sans doute, par un retour à une technologie plus propre. Il montre ce qu’apportent l’ouverture et le contact ; ce qu’ils coûtent, aussi.

Ouverture et contact encore dans « Sauver la face », où Liu réintroduit joliment l’incontournable facteur humain dans la rationalité algorithmique.

« Une brève histoire du Tunnel transpacifique » dit plutôt la face noire du contact et du progrès imparfaitement distribué.

« Jours fantômes » raconte le désarroi existentiel de colons spatiaux pris entre une Histoire prégnante et un avenir inédit à forger.

« Dolly, la poupée jolie » est un conte cruel sur la fin de vie des objets sentients – qui peut rappeler « Le Petit soldat de plomb » d’Andersen, par exemple. Là où « Animaux exotiques », tragique aussi mais bien loin d’être un conte, est un récit quasi cyberpunk très touchant qui dit les horreurs possibles d’une génétique devenue prométhéenne au service d’une humanité hélas égale à elle-même.

« Vrais visages » montre les excès de l’éthique différentialiste – mais le texte est démonstratif et prévisible. « Moments privilégiés », en revanche, pointe les risques toujours inattendus des nouvelles technologies censées améliorer la vie humaine ; il rappelle les mises en garde de quelqu’un comme Peter Watts.

« Imagier de cognition comparative pour lecteur avancé » est un texte à liste qui, en ajoutant de l’humain, réussit le tour de force d’être émouvant, ce que ne sont pas toujours les textes de ce genre.

« La Dernière semence » émeut encore, autant qu’elle navre et précisément parce qu’elle le fait.

« Sept anniversaires » met en scène l’amour, difficile mais jamais éteint, qui lie mère et fille prises dans le tourbillon d’une panspermie d’origine humaine. Quant à « Printemps cosmique » elle nous amène, à grands renforts de gigantisme cosmique, vers la mort thermique de l’univers et le début d’un nouveau cycle. Les deux textes sont aussi beaux que vertigineux.

Concluons en disant que, mis à part un ou deux textes dispensables, l’ensemble est de très bonne tenue car Ken Liu parvient à mettre beaucoup d’humain dans ses textes, y compris dans ceux – à échelle cosmique – qui pourraient être les plus secs. High-tech, beauté, wonder, la (belle) couverture dit tout.

Éric JENTILE

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