Royaume-Uni, fin du XXe siècle. Le bloc soviétique est tombé, la Russie est en pleine confusion, l’Ouest ne sait trop comment se positionner dans cette reconfiguration politique dictée par le chaos. Toutefois, comme le dit Tade Thompson, « les gouvernements vont et viennent, mais les agences de renseignements perdurent ». Dans un ultime baroud d’honneur, sans véritable cause sinon d’accomplir une tâche, Gove, pour les services britanniques, et Vitali Ignatiy Nikitovich, au sein d’un programme nébuleux, vont engager, respectivement, Mykhaila Southbourne et Tamara Koleosho, afin de fermer définitivement le dossier Molly. C’est compter sans ses répliques, doubles ou sœurs, dans tous les cas ses héritières.
Il est rare, toutes littératures confondues, de découvrir un ouvrage qui se pose comme achèvement d’un cycle. D’ordinaire, la fin apparaît au terme du dernier volume, mais ne fait pas l’objet d’un récit entier. C’est pourtant le cas ici, Tade Thompson parvenant une fois encore à nous surprendre, de nouveau sans utiliser les effets déployés dans les précédents volets, Les Meurtres de Molly Southbourne (Prix Julia Verlanger 2019 et Grand Prix de l’Imaginaire 2020) et La Survie de Molly Southbourne. Au-delà des communautés plus ou moins viables des mollys et des tamaras, l’auteur ouvre l’intrigue à la totalité de la condition humaine, un monde privé de repères, en quête de stabilité. Les combats époustouflants qui animaient l’histoire auparavant n’ont plus lieu d’être, Tamara échoue d’ailleurs d’entrée au Tournoi contre les Cent Hommes, signe pour Thompson que l’enjeu est ailleurs.
C’est bien la quête de la normalité qui anime l’ensemble des protagonistes, l’attrait du banal lorsque celui-ci vous est refusé. On pense à John le Carré et L’Espion qui venait du froid, quand les agents sont fatigués et aspirent au repos. Précisément ce qu’offre Tade Thompson à son héroïne, mais aussi à sa mère dans un arc éblouissant, Mykhaila « Myke » Southbourne, origine et fin de tout.
L’Héritage de Molly Southbourne clôt donc l’histoire. Une clôture, comme on le dit de ce qui contient un périmètre, l’espace fictionnel d’un grand auteur qu’il est le seul à pouvoir arpenter. Y reviendra-t-il ? Libre à lui d’en décider ou non, Tade Thompson a fait de l’Imaginaire son territoire de jeux.