Dans les arts littéraires, la science-fiction est une fabrique de lendemains, avec ce pluriel qui qualifie la diversité présente plus que la quantité à venir. Se pose alors la question « Qui sort du lot ? » à laquelle Ellen Herzfeld et Dominique Martel, anthologistes de la collection « Quarante-Deux », répondent : Greg Egan hier, Ken Liu aujourd’hui, Rich Larson demain. Plus qu’un jeu de comparaisons, il s’agit de positionner un auteur sur le théâtre des opérations. Rich Larson est jeune et a l’imagination fertile, avec deux cents nouvelles publiées à 28 ans. Il est aussi quasiment inconnu chez nous. La publication du recueil La Fabrique des lendemains chez Le Bélial’ est un geste de découvreurs. L’auteur canadien écrit principalement de la science-fiction, mais ses horizons sont variés, allant de l’horreur parfois au cyberpunk souvent, sur Terre ou dans les étoiles. Il a fallu trier, choisir, pour guider le lecteur dans le foisonnement. La composition du recueil, c’est-à-dire l’agencement des nouvelles, participe au travail de mise en cohérence d’un univers qui à chaque instance gagne en ampleur, creuse plus profond le sillon. La traduction ciselée de Pierre-Paul Durastanti tisse les liens et déploie la trame.
De fait, les vingt-huit textes présentés forment un ensemble, une vision d’avenir, où les récits se suivent et se répondent, directement pour certains, thématiquement pour d’autres. Ce n’est d’ailleurs pas dans les thématiques abordées que l’on trouvera le plus d’originalité puisque celles-ci ne sont ni plus ni moins que les briques de base qui font la science-fiction d’aujourd’hui : réseaux connectés, technologies invasives, modifications génétiques et biomécaniques jusqu’à l’outrance. L’auteur nous propose un avenir sombre où la chair et le silicium font rarement bon ménage, où, comme chez Greg Egan, on livre sa conscience aux implants, où, comme chez Peter Watts, on se défonce par ennui aux virus mortels. L’originalité et la qualité de l’auteur se trouvent dans la manière. Les écrits de Rich Larson se distinguent par leur point de vue. Les récits sont à hauteur d’homme, et si les personnages évoluent dans des univers complexes, c’est à travers eux que le lecteur y accède. Tout est dans la précision des gestes, dans la qualité d’observation, dans le récit de l’humain, dans sa justesse. Lorsque Rich Larson parle d’un soldat du futur, modifié, immortel, il ne narre pas ses exploits guerriers, mais raconte l’enfant qu’il a été et les souffrances subies. S’il parle de machines ou d’intelligences artificielles, c’est par leurs interrogations face à l’intangible du monde. Le recueil aurait pu s’intituler L’humanité retrouvée. Ces textes possèdent une humanité qui souvent manque en SF. Je ne dirai pas que toutes les nouvelles se valent. Les plus courtes sont souvent les moins intéressantes. Mais il y a dans ce recueil des fulgurances bouleversantes : « Indolore », « De viande, de sel et d’étincelles », « On le rend viral ». Et que dire du magistral « Innombrables lueurs scintillantes » qui convoque le meilleur d’Adrian Tchaikovsky et de Ted Chiang ?
Le talent de Rich Larson est de nous convaincre que ce futur il ne l’a pas imaginé, mais il en a été le témoin, il l’a senti, il l’a vécu. De manière poignante. Lire La Fabrique des lendemains donne le sentiment d’assister à la naissance d’un immense auteur de SF.