Entre work in progress intergénérationnel et familial, fantasy foutraque et feuilleton diffusé via le Net, Mille Saisons opère désormais sa mue vers une déclinaison papier, enluminée par Stéphane Perger et maquettée par Laure Afchain, atterrissant pour l’occasion dans le giron du Bélial’ sous la férule débonnaire d’Erwann Perchoc. Premier opus de ce monstrueux projet, La Géante et le naufrageur compile les épisodes de la première année, illustrant bellement la volonté de raconter et de partager des histoires sans chercher à se prendre la tête. Entre hiver et automne, on y suit le périple de Patito, le grouillard sans attache, et de Syzygie, la géante amnésique tombée de nulle part. Un
duo aussi dissemblable qu’inséparable, en dépit des nombreux fâcheux lancés à leur trousse, attirés par la voix d’or de la géante, un trésor bien caché aux tréfonds de sa carcasse, ou chauffés à blanc par les rodomontades du gamin, guère avare lorsqu’il s’agit de défier dame Fortune ou de chercher le charivari. En leur compagnie, on se familiarise ainsi avec l’Archimonde, contrée vaguement médiévale et incontestablement fantastique, n’ayant rien à envier à Newhon ou à l’univers des jeux de rôle, sillonnant les routes du Capobert, de ses crêtes battues par les vents au plus profond de ses vallées boisées, en passant par la voie souterraine en dépit des pièges qu’elle recèle. On se frotte ainsi à des créatures d’ombre qui complotent sur d’autres plans de réalité, à des monstres effrayants ou hilarants (question de point de vue), à des corsaires, des sorcières et des magiciens dans un décor de bric et de broc mais d’où se dégage peu à peu une réelle cohérence géographique. Dans cet univers, Léo Henry se plaît à tricoter un récit vif et enjoué, aménageant les péripéties et les rebondissements à partir des suggestions nées des réactions et des discussions avec ses enfants. On passe ainsi de périls indicibles en situations croquignolesques, sans véritable solution de continuité. On flirte avec l’horreur, avec le comique, avec une forme d’hommage décalé au corpus de la fantasy, sans jamais se prendre au sérieux mais avec toujours l’intention sincère de s’amuser et de faire sens.
On suivra donc avec curiosité L’Éveil du Palazzo, la deuxième année de Mille Saisons, histoire de découvrir d’autres lieux de l’Archimonde, toujours en agréable compagnie et dans le souci d’aventures renouvelées. Et on se réjouit par avance d’en prendre pour dix ans.