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Les critiques de Bifrost

La Maison des Soleils

La Maison des Soleils

Alastair REYNOLDS
LE BÉLIAL'
512pp - 24,90 €

Bifrost n° 115

Critique parue en juillet 2024 dans Bifrost n° 115

Ce space opera nous projette six millions d’années dans le futur, bien après que l’Humanité a essaimé dans toute la Galaxie. Des civilisations naissent, s’épanouissent, disparaissent au bout de quelques centaines de millénaires. Seules les Lignées sont pérennes : elles sont constituées des clones d’une même personne qui parcourent la Voie lactée à bord de gigantesques vaisseaux spatiaux et se retrouvent tous les 200 000 ans pour mettre en commun leurs souvenirs. Le roman se concentre sur la Lignée Gentiane et, en particulier, sur deux clones d’Abigail Gentian, Campion et Purslane, qui étaient déjà les protagonistes de la novella La Millième nuit (même éditeur, critiques in Bifrost 108 et 110), mais aussi de la nouvelle « Les Nuits de Belladone », au sommaire du Bifrost n°114, des récits situés dans le même univers (l’ensemble pouvant se lire indépendamment). Alors que les deux Frags (fragments de la Lignée) viennent de secourir un représentant du Peuple Machine (des robots animés par une IA ayant atteint la conscience), une attaque sans précédent est lancée contre la Lignée Gentiane. Campion et Purslane vont devoir découvrir ce qu’est la mystérieuse Maison des Soleils qui a juré leur perte et surtout quelles sont ses motivations, mais aussi le rôle du Peuple-Machine, ou encore le lien avec d’étranges phénomènes qui affectent la galaxie d’Andromède…

L’intrigue est foisonnante et se complexifie de chapitre en chapitre, rythmée par des retournements de situation spectaculaires. Des éléments en première apparence anecdotiques se révèlent fondamentaux par la suite, à l’instar des chapitres consacrés à l’enfance d’Abigail Gentian, dont les aventures dignes d’un roman d’heroic fantasy finissent par faire sens, ce qui ramènera les lecteurs d’Eversion (cf. le Bifrost n° 110) en terrain familier.

Alastair Reynolds a habitué ses lecteurs à des récits où la démesure est le maître-mot, et celui-ci ne déçoit pas :; au contraire, il semble bien surpasser les autres textes de l’auteur gallois. Dès les premiers chapitres, on déplace des systèmes stellaires, on utilise des trous de ver pour empêcher l’explosion d’une supernova, on monte des projets sur plusieurs millions d’années… jusqu’au nœud de l’intrigue, qui prend les allures d’un retour du refoulé à l’échelle de la Galaxie. Et toujours avec la même rigueur scientifique : les situations les plus extravagantes, les constructions les plus titanesques sont justifiées par des arguments solides. Comme dans le « Cycle des Inhibiteurs », Reynolds réussit la gageure de livrer un space opera flamboyant et plein de rebondissements sans recourir à des facilités telles que la vitesse supraluminique. En découlent des scènes de bataille hors du commun où des vaisseaux lancés à des vitesses relativistes s’affrontent sur la base d’informations qui vont à peine plus vite que les missiles qu’ils s’envoient.

La longévité, la capacité à parcourir la Galaxie, à terraformer des planètes ou à remodeler des systèmes solaires, la technologie dont ils disposent font des Frags l’équivalent de dieux dans cet univers, mais ce sont des dieux semblables à ceux de la mythologie grecque : ils se chamaillent, s’aiment ou se détestent, ils se mêlent aux humains, ils sont guidés par leurs pulsions et se rendent coupables, à l’occasion, de mesquinerie ou de cruauté avant de se racheter avec panache ; bref, ils sont profondément humains. Campion et Purslane bravent l’interdit des relations entre clones et défient le reste de la Lignée. Ils paraissent à la fois étranges par leurs pouvoirs et leur expérience accumulée depuis des millénaires, et tellement familiers par leurs sentiments et leur humour.

Ainsi donc, si La Maison des Soleils est un space opera époustouflant qui explose toutes les échelles de temps et d’espace, un roman de hard-SF plein de sense of wonder, c’est aussi une belle histoire d’amour qui se déploie sur six millions d’années et 250 millions d’années-lumière. Une réussite majeure.

Jean-François SEIGNOL

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