Comme le disait Terry Pratchett : « La science-fiction, c’est de la fantasy avec des boulons. » Et comme le rappelait Arthur C. Clarke : « Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie. » Avec Le Dernier des Aînés, Adrian Tchaikovsky s’est amusé à illustrer ces deux affirmations en mêlant les deux genres dans une même histoire racontée à deux voix.
Quand Lynesse donne sa version des événements, le récit se fait fantasy épique avec quête pour défendre le royaume d’un ennemi démoniaque. Quand c’est Nyrgoth, il devient de la SF mélancolique et nostalgique d’un paradis technologique disparu. Comment l’auteur a-t-il réussi ce tour de passe-passe ? Tout simplement en appliquant la recette d’Anne McCaffrey dans La Ballade de Pern. Comme la planète Pern, le monde où vit Lynesse a été, dans des temps lointains, colonisé par l’Humanité qui, confrontée aux difficultés de son nouvel environnement et à l’absence de communication rapide avec la lointaine patrie, a oublié sa technologie et son passé. Seuls certains anthropologues, les fameux Aînés dont fait partie Nyrgoth, s’en souviennent. Ils passent leur temps en hibernation et se réveillent de loin en loin pour surveiller l’évolution de la colonie et envoyer des rapports vers la Terre en restant à distance des autochtones – en théorie. Car en pratique, Nyrgoth a un cœur sensible et l’ennui tenace. Ce qui l’ai poussé naguère à se mêler des affaires locales, et le pousse de nouveau à répondre aux demandes de Lynesse.
Plus que la résolution de la quête, qui aurait peut-être mérité quelques pages de plus, c’est le voyage qui fait tout le sel de ce récit. Et l’incompréhension mutuelle des deux protagonistes qui multiplie les quiproquos, tantôt comique, tantôt dramatique. En effet, durant les millénaires écoulés depuis le début de la mission de Nyrgoth, le langage a évolué et des mots semblables peuvent recouper des concepts complètement différents : le drone ouvrier de l’un est le démon semi-domestique de l’autre, et les faits vécus par Nyrgoth ont été déformés pour devenir des mythes et promesses poussant Lynesse dans son aventure. Une même histoire, deux versions : deux fois plus de plaisir à la lecture ? Certainement.