Paris, 2099. Macrosoft et Virtual, deux sociétés d'informatique, se livrent une course effrénée pour la mise au point du procédé Cogito, une méthode d'immersion dans le virtuel qui permette au cybernaute d'oublier non seulement la réalité extérieure, mais encore sa propre personnalité, comme s'il vivait un rêve où son rôle investisse son moi intérieur.
Malheureusement pour eux, les tests achoppent toujours au même point, avec une perte de contrôle de l'univers du rêveur pour en arriver à un cadre cauchemardesque qui est le même pour tout le monde.
Arthur Taillandier travaille pour Virtual, mais ses préoccupations sont bien loin de refléter une parfaite loyauté d'entreprise. Essayer (sans le moindre succès) de sortir avec sa collègue Marie, fumer joint sur joint, et s'enfoncer dans des univers virtuels de plus en plus pervers, voici la trame de son quotidien. Et qu'importent les bruits de révolution qui grondent dans les cités périphériques, ou les élections à venir qui promettent l'arrivée au pouvoir d'un candidat fasciste. Le plus ennuyeux pour Arthur, ce seraient plutôt ces attentats commis dans le cyberspace par le mystérieux groupe RV. Et l'effilochage de la trame de son quotidien qui se manifeste d'abord par des phénomènes inexpliqués dans son appartement, dont la maladie mentale pourrait rendre compte ; puis par l'accès inopiné à un dixième cercle du cyber-espace, dont les activités économiques ou culturelles sont organisées en neuf cercles, les deux derniers étant voués respectivement à la pornographie et à la violence avec douleur réellement ressentie. Ce dixième cercle est lui un univers unique et de taille inédite dans l'espace et dans le temps, qui retrace les conquêtes d'une religion nouvelle, suivant un schéma emprunté à l'histoire de l'islam.
On s'en doute, la majeure partie du récit se déroule dans des univers virtuels. Et ce jeu du virtuel, ou de l'hallucinatoire, ne se joue à son niveau d'intérêt maximal que si personnages et lecteurs peuvent se méprendre sur le niveau de réalité auxquels ils se trouvent — depuis Simulacron 3, depuis Philip K. Dick cité en exergue de ce roman, l'amateur de SF a dû apprendre la leçon. Le Dixième Cercle ne déroge pas à cette règle, même s'il ne compte qu'un vrai retournement ; moins extraordinaire, mais plus solidement étayé que celui qui était au cœur des Paradis Piégés de Richard Canal.
On ne peut guère pousser plus loin la comparaison ; là où Canal est poétique dans les images comme dans le langage (jusqu'à l'excès, s'il le faut), Thuillier est direct dans son style, et la société future qu'il postule relève d'une extrapolation linéaire. Arthur Taillandier, comme il est d'emblée confessé, est certes un anti-héros, et porte sans cesse sa balourdise et l'ordinaire de ses goûts. Et la lutte pour le pouvoir dans la société européenne, jusqu'à ses coulisses, est réduite à une caricature. Si l'on peut trouver des justifications logiques au grain plutôt grossier de l'image ici développée, ces défauts de finesse n'en rendent pas moins la lecture moins excitante à l'échelle d'un roman. Toutefois celui-ci ne manque pas d'énergie, et devrait plaire beaucoup. Il a le mérite d'être l'œuvre d'un auteur nouveau, qui pourrait trouver un public nouveau, pas encore blasé de la thématique des univers artificiels emboîtés.