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Les critiques de Bifrost

Le Laboratoire de l'imaginaire

Fabrice CHEMLA
LE BÉLIAL'
352pp - 20,90 €

Critique parue en janvier 2025 dans Bifrost n° 117

Dans sa conclusion, l’auteur dit de la chimie qu’il s’agit d’une « science de partout et de nulle part ». Et il est vrai que, si vous demandez à un lecteur de SF de vous citer un livre dont la chimie est l’argument central de l’histoire, il y a fort à parier qu’il échoue. Pourtant, la chimie est un constituant inévitable, dès lors qu’on parle des caractéristiques géologiques ou de la faune de mondes explorés par les humains, de formes de vie extraterrestres, de moyens de propulsion de fusées et astronefs en tous genres, et de technologies associées à la SF (exploitation minière ou agricole, industries textiles et de santé, et bien d’autres…). C’est ce que s’attelle à démontrer ici Fabrice Chemla, maître de con­férences et professeur de chimie à Sorbonne Université, au travers d’un livre passionnant qui se lit comme un cours de chimie, largement — et très clairement — vulgarisé, illustré de très nombreux extraits d’œuvres de SF, parmi lesquelles, bien sûr, celles d’Asimov, qui fut docteur en biochimie, notamment sa fameuse thiotimoline (qui se dissout avant d’être en contact avec l’eau), mais aussi Verne, van Vogt, Herbert… et même Tolkien ! C’est dense, très dense — on pourra conseiller de laisser reposer le cerveau de temps à autre, sous peine de risquer l’effervescence — mais passionnant, car le livre aborde tout à la fois l’histoire du développement de la chimie, multiséculaire, ses relations avec les autres disciplines scientifiques, son rapport aux technologies, ses différentes branches de recherche, tout en rebondissant régulièrement sur des exemples de la vie courante : quel mécanisme nous permet de voir ? pourquoi sentons-nous quand nous transpirons ? et comment le savon permet-il de nous nettoyer ? À l’aide d’un découpage en chapitres qui pénètrent progressivement au cœur de la discipline, en gardant en permanence à l’esprit le fait de ne pas perdre son lecteur, Fabrice Chemla agrémente son cours d’une bonne dose d’humour, salutaire pour bague­nauder au milieu des formules chimiques et expérimentations décrites. Et, comme tout cours un tant soit peu sérieux, cela se termine par des travaux pratiques, en l’occurrence la description minutieuse des expérimentations — qui le sont tout autant — qu’un chimiste ferait s’il devait décortiquer l’Épice de Dune, en s’intéressant à ses différentes caractéristiques (son odeur, les yeux bleus associés, le développement du don de pre­science). On trouvera en annexe quelques molécules d’intérêt où le lecteur-explorateur, fort des savoirs acquis durant sa lecture, pourra s’amuser à décrypter le nombre d’atomes en jeu, de liaisons covalentes… et à se souvenir de leur utilité !

Si la chimie n’a pas toujours la faveur des étudiants (le signataire de cette chronique l’a un peu malmenée au cours de ses études scientifiques), et joue parfois le rôle du parent pauvre vis-à-vis des mathématiques et de la physique, gageons que ce Laboratoire de l’Imaginaire saura inverser la tendance, tant la passion et l’érudition de Fabrice Chemla sont communicatives. On ressort pleinement convaincu, et on a hâte de voir si, et comment, les prédictions de l’auteur en conclusion de son ouvrage vont se réaliser dans les prochaines années, tant la recherche fondamentale en chimie peut apporter, notamment en matière d’environnement et d’énergie.

 

 

 

Bruno PARA

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