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Les critiques de Bifrost

Les Coureurs d'étoiles

Les Coureurs d'étoiles

Poul ANDERSON
LE BÉLIAL'
352pp - 22,00 €

Bifrost n° 91

Critique parue en juillet 2018 dans Bifrost n° 91

Trois nouvelles, une novella, un prélude et un interlude sont au sommaire de ce troisième volume consacré à la Hanse galactique. Poul Anderson y déploie son modèle d’échanges commerciaux avec toujours la même rigueur scientifique pour le contexte, le même pragmatisme dans l’élucidation, l’humour décalé, voire cynique, face à des situations qui imposent de « savoir comment a évolué une espèce avant de pouvoir l’exploi… Je veux dire : la comprendre », selon les propres termes du maître de la compagnie des Épices et alcools, Nicholas van Rijn.

Démonstration immédiate avec « Territoire », sur t’Kela, où une société carnivore, au comportement de meute, méprise les pacifistes, proies dont on dispose à sa guise, ainsi que les clans errants dépourvus de terrain de chasse, nécessaire corollaire au statut de prédateur. L’absence de prise en compte de ces paramètres ne peut que compromettre l’intervention de coureurs d’étoiles, surtout s’ils entendent apporter gracieusement de l’aide à un monde qui se meurt.

Le commerce ayant besoin de stabilité génère « les tordeurs de troubles », chargés avant toute transaction de résoudre les situations conflictuelles, en cherchant à établir un équilibre qui les inclue comme nouvelle composante avec laquelle désormais compter. C’est le rôle du trio de choc de van Rijn, composé de David Falkayn, cliché du héros d’aventures, du pacifique wodenite Adzel, impressionnante combinaison de centaure et de saurien, et de l’acariâtre Cynthienne Chee Lan, à l’apparence d’animal domestique. L’opposition entre obscurantisme et connaissance, entre phratrie ployant sous le joug des traditions et cité ouverte et libre, est ici compliquée par la présence d’anciens humains ayant tout oublié de l’espace.

« La structure d’une société est déterminée par sa technologie », est-il rappelé dans le prélude, extrait d’un récit déjà publié, ce qui est démontré à chaque fois, la meute correspondant aux chasseurs, la phratrie assignant une place immuable à chacun dans la société superstitieuse des « Tordeurs de troubles ». Cet ordre figé est aussi la résultante du milieu : la planète, présentant toujours la même face à son étoile, est dépourvue de saisons comme de cycle circadien, alors que la cité savante, à la lisière de l’hémisphère nocturne, connaît des épisodes climatiques plus marqués qui incitent à davantage de réactivité. Avec « Le Jour du grand feu », c’est encore une rivalité de castes qui risque de compromettre le sauvetage d’un monde menacé par les radiations d’une supernova. Dans la société plus frustre de « La Clé des maîtres », sans règles définies, aucun Yildivan ne donne ni n’accepte d’ordre, au risque de passer pour un Lugal, humanoïde très obéissant envers les dominants. Ici aussi, la méconnaissance des règles et des hiérarchies peut se révéler mortelle.

L’étroite imbrication de la société avec un environnement lui-même tributaire de la configuration du système solaire fait le sel de ces récits, lesquels relèvent souvent de l’énigme holmésienne qu’un détail révélateur permet de résoudre. Ce n’est pas un hasard si « La Clé des maîtres » est entièrement rapportée à la façon d’un « club story », comme le fait remarquer Jean-Daniel Brèque dans sa préface.

La solution des problèmes se fait à la hussarde, à coups de bluff ou de menace, peu glorieux mais efficaces, au nom des intérêts supérieurs du commerce. Ce qui permet à van Rijn de donner à l’émissaire choquée d’une nation spécialisée dans l’aide humanitaire une leçon de libéralisme sauvage totalement décomplexé, d’un cynisme assumé : « l’entreprise privée (…) ça, c’est stable. La politique, ça va et ça vient, mais l’appât du gain est éternel. » Comme l’indique l’interlude inédit, « Plus Ça Change, Plus C’est La Même Chose » : le contexte de la Hanse galactique, d’inspiration élisabéthaine, où le négoce, moteur de croissance et de prospérité, attire aussi les prédateurs et les escrocs. Rien n’est parfait.

Par ailleurs, le personnage, excessif en diable, incite à ne pas prendre ces récits trop au sérieux : on admire avant tout l’érudition scientifique, la brillance et l’astuce, le tout parsemé de scènes d’action, persillé de situations comiques et de réflexions vachardes. Un space opera mâtiné de hard science qui ne perd jamais de vue le plaisir du lecteur.

Claude ECKEN

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