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Les critiques de Bifrost

Les Ferrailleurs du cosmos

Eric BROWN
LE BÉLIAL'
280pp - 17,90 €

Critique parue en juillet 2018 dans Bifrost n° 91

Eric Brown fut publié en France une première fois dans l’anthologie périodique Univers chez J’ai Lu en 1989, puis dans un fanzine en 1992. Mais c’est entre 1995 et 1998 qu’il explosa vraiment, proposé au lectorat français par Sylvie Denis et Francis Valéry, alors aux manettes de la revue Cyberdreams et d’une anthologie devenue mythique, Century XXI, chez Encrage, qui faisaient la promotion de la nouvelle SF anglaise. Le point d’orgue en fut la publication d’un recueil d’excellente facture, Odyssées aveugles, toujours chez Cyberdreams, qui, croyait-on, allait définitivement installer Eric Brown au panthéon de la SF traduite. Nous étions donc en 98. Et ensuite ?

Ensuite… plus rien jusqu’en 2011.

On n’essaiera pas de comprendre une telle aventure éditoriale, d’ailleurs inexplicable, on saura simplement louer les éditions du Bélial’ pour avoir exhumé Eric Brown des oubliettes. Ainsi, en 2011, 2012 et 2017 nous furent dévoilées au sein de Bifrost trois nouvelles, qui étaient autant d’épisodes de ce qui constitue Les Ferrailleurs du cosmos. J’avoue qu’à la lecture dans la revue, ces textes ne m’avaient guère laissé de souvenir impérissable, hormis la première d’entre elles, « Exorciser ses fantômes ». Loin de ce que les nouvelles des années 90 avaient suscité, en tout cas. Il faut dire que le présent recueil — ou plutôt roman fix-up, mais nous y reviendrons — tranche fortement avec la SF d’Interzone (cette revue anglaise dans laquelle l’auteur fit ses débuts) : nous sommes ici en pleine aventure spatiale, plutôt light, sympatoche en diable, faisant la part belle à l’action et aux situations invraisemblables. À ce titre, Les Ferrailleurs ont parfaitement leur place au sein de la collection « Pulps » de l’éditeur. À bord du Loin de chez soi, Ed et Karrie parcourent la galaxie à la recherche de bons plans, la plupart du temps des vaisseaux perdus ou abandonnés, qu’ils peuvent ensuite monnayer pour gagner leur vie. Quand soudain débarque dans leur vie Ella, une somptueuse jeune femme qui éveille des choses inattendues chez Ed, vieux célibataire endurci… et le fait qu’il découvre après quelques péripéties qu’Ella n’est rien d’autre qu’une créature synthétique ne change rien à l’affaire. Karrie a beau protester contre cette attirance, qu’elle juge contre-productive pour leur métier, elle devra bien convenir qu’avoir une IA du calibre d’Ella à bord du vaisseau va parfois grandement leur faciliter la vie et les sortir de pièges redoutables…

Les Ferrailleurs du cosmos contient onze nouvelles, parues indépendamment, mais on aurait tort de le qualifier de recueil : si la plupart des textes peuvent se lire seuls, ils narrent une histoire continue, où les relations des personnages évoluent progressivement, où certaines affaires ressurgissent quelques récits plus loin… On parlera donc bien ici de roman fix-up comme la SF sait si bien en générer, notamment à l’époque de l’Âge d’or, auquel rend hommage ce livre. Eric Brown a parfaitement compris les ressorts d’une telle mécanique, qui procure un plaisir de lecture indéniable, plaisir comparable, en fait, à celui qu’on éprouve au visionnage d’une série. On rapprochera notamment ce livre de la série Firefly, pour sa construction psychologique des protagonistes, autour d’un quotidien assez banal malgré le décorum SF. Lire ces textes à la suite participe donc grandement du plaisir, et explique en partie le relatif anonymat éprouvé à la lecture individuelle de trois des récits.

Bien évidemment, tout ceci ne renouvelle en aucune façon le genre, et l’on ne pourra s’empêcher de trouver dommage que Brown nous revienne par le biais d’une série fun alors que sa SF traduite jusque-là semblait plus ambitieuse, mais le genre est ainsi fait, qui oscille entre œuvres exigeantes et pur plaisir de lecture, dualité dont on ne pourra que se réjouir, tant elle apporte de liberté à la science-fiction. On goûtera donc sans rechigner à ces trépidantes aventures des Ferrailleurs du cosmos.

Bruno PARA

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