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Les critiques de Bifrost

Lum'en

Laurent GENEFORT
LE BÉLIAL'
320pp - 19,00 €

Critique parue en juillet 2015 dans Bifrost n° 79

Parce qu’elle a tenté de pirater une porte à discontinuité spatiale de Vangk, Lum’en, une Dépositaire, est condamnée à dix mille ans de réclusion, peine ultime pour cette race qui place l’accès à l’information au-dessus de tout. Sa psyché est enfermée dans une plaque de carbone, elle-même enfouie très profondément dans le sol de Garance, une planète inhabitée. Quelque temps plus tard (cent mille ans !), des colons humains débarquent sur Garance pour tenter d’y trouver des matières premières. Lum’en parviendra-t-elle à sortir de son emprisonnement et à nouer le contact avec ses industrieux voisins ? C’est le point de départ de l’histoire de Garance, dont l’écosystème va devoir composer avec cette race envahissante : l’être humain.

Deux sources ont présidé à l’écriture de ce roman : deux nouvelles de Laurent Genefort et… Gabriel García Márquez ! En effet, la structure de Lum’en est la même que celle de Cent ans de solitude ; simplement, le village de Macondo est remplacé par la planète Garance, isolée non par un marécage mais par l’espace. Le roman est par ailleurs, on l’a dit, bâti sur deux nouvelles déjà publiées par l’auteur, en 2000 et 2012. Il prend la forme d’une narration en six épisodes séparés entre eux par quelques semaines, mois ou années, que vient lier un fil rouge consacré à Lum’en.

Les différentes étapes du développement de Garance ressemblent à ce que l’on pourrait voir dans nombre de colonies : après un début prometteur, marqué par la solidarité entre colons, le doute s’insinue tant que l’on ne trouve rien qui vaille la peine d’être exploité. Puis, lorsque la manne céleste est découverte, la frénésie s’empare à nouveau des habitants, qui vont se lancer dans une exploitation intensive et non raisonnée de leur environnement.

Le principal questionnement de ce roman est de nature écologique : jusqu’à quel point l’homme peut-il arriver dans un espace vierge (ici, une planète) et décider de s’en servir pour ses propres besoins, sans prendre une seule seconde en considération l’écosystème ? Malgré son aspect enchanteur de planète-forêt, dotée d’une faune et une flore d’un haut intérêt scientifique, Garance n’est jamais envisagée comme un monde où vivre, mais bien comme un réservoir de matières premières, réservoir qui deviendra fatalement l’enjeu de luttes de pouvoir. Genefort confronte les points de vue : aux représentants de la compagnie Saber-Henji, obnubilés par l’appât du gain, il oppose les défenseurs de la planète. Certains optent pour la paix, préfèrent s’enf(o)uir au cœur de la forêt dans l’espoir de vivre en harmonie avec leur milieu. D’autres useront de procédés plus radicaux pour faire comprendre que les colons courent à la catastrophe… Ces aspects résonnent évidemment avec des événements récents de l’actualité, quand défenseurs de l’environnement s’opposent aux chantres du libéralisme galopant.

Mais Genefort ne se contente pas de cette seule thématique : il s’interroge aussi sur l’être humain, son rapport à la vie, ce qui le fait avancer, ses craintes et ses espoirs ; sur la manière avec laquelle notre environnement influence notre caractère. Il convoque ainsi un certain nombre de personnages archétypaux (le religieux, le diplomate, des artistes, des militaires, des scientifiques…) qui vont lui permettre de brosser un tableau assez complet des différents mécanismes présidant à l’évolution personnelle de chacun. Et on n’oubliera bien évidemment pas dans cette liste de protagonistes celle qui donne son nom au roman : Lum’en (l’humaine) qui, bien que se situant aux antipodes de l’Homme, a finalement des aspirations proches des nôtres : besoin de contact, curiosité… Reste à savoir si l’espèce humaine est un bienfait pour l’univers et y a un avenir, autre interrogation qui sous-tend tout le livre.

Au final, cette fusion de différentes thématiques, combinée à la crédibilité globale du roman et à un style discret et précis, font de Lum’en un excellent Laurent Genefort, à ranger parmi les meilleurs dans la bibliographie (réalisée par l’habituel Alain Sprauel, et disponible en fin d’ouvrage) déjà très fournie de l’auteur.

Bruno PARA

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