Sept Redditions poursuit et achève le diptyque commencé avec Trop semblable à l’éclair mais aussi la première partie du cycle « Terra Ignota ». Vaste fresque futuriste et utopie ambiguë, l’œuvre d’Ada Palmer nous projette dans un avenir aux apparences désirables dont les fondations reposent sur un changement total de paradigme. L’autrice nous pousse dans nos ultimes retranchements, nous contraignant à abandonner nos certitudes et nos repères pour mieux nous fondre dans un habitus différent, même si en grande partie infusé à la pensée politique et morale des philosophes des « Lumières ». Hélas, en dépit de tous les efforts pour pacifier l’humanité et assurer son bonheur, la religion, les nationalismes, les genres et toutes les autres sources de tensions ou de discriminations ayant été effacées, la machine molle animale n’a pas renoncé à son emprise biologique sur les consciences. L’esprit de domination, de revanche, la violence et le lucre guident plus que jamais les appétits. Un triste constat dont Mycroft Canner s’est fait le porte-parole omniscient, certes non fiable, interpellant le lectorat pour susciter moult questions.
Si Trop semblable à l’éclair posait le décor, nous invitant à découvrir un univers dense et foisonnant où chaque détail, chaque révélation ajoutait une couche supplémentaire de doute à l’intrigue, l’heure est désormais venue de dévoiler les secrets inavouables et de démasquer les caractères, tout en révélant la duplicité des uns et des autres. Ada Palmer ne sacrifie pas en effet l’intrigue sur l’autel de la complexité conceptuelle ou de l’esbroufe stylistique. Bien au contraire, si les amateurs de philosophie politique trouvent ici encore matière à satisfaction, la narration ne laisse cependant aucune zone d’ombre, aucun mystère à l’écart de la résolution finale. Les événements s’enchaînent, à défaut de se précipiter, mettant en lumière les coulisses d’un véritable drame pascalien où le Léviathan de Hobbes et le droit naturel de Locke se disputent le devant de la scène avec la conception sadienne de la liberté. On assiste ainsi à l’effondrement d’une utopie fondée sur une paix usurpée et au surgissement de la guerre comme avenir inscrit au champ des possibles.
Pièce maîtresse des puissances agissant hors champs, gambit malicieux et monstre bien malgré lui, Mycroft Canner reste au centre d’enjeux politiques dont il peine à saisir les contours et dont il ne souhaite pas restituer toutes les vicissitudes. Il demeure pourtant l’explorateur des soubassements sordides d’une utopie élaborée sur le mensonge. Le pouvoir mais aussi la foi figurent au cœur de Sept Redditions. Entre raison d’État, idéal politique et mystique religieuse, Ada Palmer bouscule nos certitudes et provoque les dilemmes, nous amenant à reconsidérer à plusieurs reprises les faits. Elle sonne le glas de l’utopie agitant le spectre de la guerre de tous contre tous. Sept Redditions marque ainsi la fin de l’illusion, annonçant un retour brutal au principe de réalité. On est maintenant curieux de voir si toutes les promesses esquissées ici seront tenues avec The Will to Battle (annoncé au Bélial’ en 2021) et Perhaps the Stars. En attendant, nul doute que l’on frôle le chef-d’œuvre, en dépit de quelques passages bavards, mais pas au point de refroidir l’amateur d’immersion profonde.