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Les critiques de Bifrost

Stark et les rois des étoiles

Leigh BRACKETT
LE BÉLIAL'
704pp - 26,00 €

Critique parue en juillet 2014 dans Bifrost n° 75

Six ans après Le Grand Livre de Mars, les éditions du Bélial’ achèvent la publication de l’intégrale des récits mettant en scène le héros emblématique de Leigh Brackett : Eric John Stark. Au sommaire : trois nouvelles, chacune intéressante à un niveau différent, et ce qui constitue l’ultime offrande de la romancière à un genre qu’elle a en grande partie façonné : la trilogie de Skaith.

Ne vous fiez pas à la quatrième de couverture, qui promet d’homériques combats spatiaux opposant des myriades de vaisseaux interstellaires : Stark a beau cette fois quitter le système solaire pour poursuivre ses pérégrinations sur la lointaine Skaith, sitôt le pied posé sur l’astroport, il retrouve ses vieux réflexes d’antan et se débarrasse de ses oripeaux d’être civilisé pour enfiler pagne et sandales et partir chercher l’aventure l’épée à la main. Et quelle aventure ! Venu retrouver Simon Ashton, son père adoptif, dont il est sans nouvelles depuis des semaines, Stark est accueilli en homme providentiel par les uns, en fossoyeur de ce monde par les autres.

Le premier héros de ces romans, c’est bien entendu Skaith, cette planète en orbite autour d’une étoile mourante, dont l’époque glorieuse est depuis longtemps révolue et où les conditions de vie sont de plus en plus précaires à chaque nouvelle saison. Leigh Brackett a toujours aimé mettre en scène des civilisations déchues, décadentes, vivant dans l’ombre et les ruines d’un passé mythique. Elle s’offre cette fois un terrain de jeu d’une ampleur inédite, qu’elle va explorer minutieusement au fil de cette trilogie. Elle y décrit une société complexe et variée, où les derniers détenteurs d’un savoir millénaire y côtoient des humains retournés à la barbarie et des créatures issues d’expérimentations génétiques ratées. Cette découverte se fait au fil des combats que mène Stark, qui s’enchainent sans répit. Le rythme est à ce point trépidant que les personnages que l’on rencontre, y compris ceux qui constituent la garde rapprochée de Stark, ne sont souvent qu’esquissés, et manquent en tous cas de place pour exister pleinement. C’est le principal reproche que l’on pourra faire à cette histoire.

En revanche, Leigh Brackett accorde toujours autant de soins à son héros, que l’on découvre plus complexe encore que lors de ses précédentes apparitions. Jamais sa dualité ne s’est exprimée de manière aussi dramatique que dans ces pages, à la fois être civilisé et sauvage primitif, comme on le découvre dans les ultimes pages du premier roman, L’Etoile Rousse, où il connait une métamorphose qui va marquer tout le reste du récit et lui donner une tonalité qui le démarque assez nettement des récits précédents.

Sans être un chef-d’œuvre, la trilogie de Skaith conclut de fort belle manière le parcours d’Eric John Stark et en fait l’une des œuvres majeures d’un genre que Leigh Brackett a pour beaucoup contribué à définir : la space fantasy.

Terminons par le commencement : les trois longues nouvelles qui ouvrent ce recueil. « Lorelei de la Brume Rouge », qui date des années 40, met en scène un cousin guère éloigné de Stark (jusqu’à son nom, Hugh Starke), et a surtout la particularité d’avoir été en partie écrit par Ray Bradbury, remplaçant au pied levé son amie partie travailler à Hollywood. Et l’on est bluffé par l’aisance avec laquelle l’écrivain a réussi à adopter un style d’écriture pourtant fort éloigné du sien. « Magicienne de Vénus » voit Stark affronter une sorte de famille totalement dégénérée dont chaque membre est plus monstrueux que l’autre. C’est ce genre de personnage haut en couleurs dont on regrette quelque peu l’absence dans la trilogie de Skaith. Quant à « Stark et les Rois des Etoiles », coécrit avec son compagnon Edmond Hamilton, aussi bon soit-il, force est de constater que l’univers de ce dernier prend très vite le pas sur celui de Brackett, et que Stark n’y fait guère plus que de la figuration, en plus de se faire voler la vedette par Shorr Kan, l’un des vilains les plus charismatiques de l’âge d’or du space opera.

Philippe BOULIER

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