Bien connue des lecteurs du Bélial’ depuis l’excellente trilogie de « La Maison des Jeux », la collection « Une heure-lumière » propose un nouveau texte court de Claire North, prouvant l’intérêt constant de l’éditeur pour l’autrice britannique. On ne lui reprochera certes pas ce penchant, tant Sweet Harmony montre une nouvelle fois de grandes qualités, dans un registre ressortissant ici davantage à la dystopie. Sur un ton en effet proche de la série Black Mirror, une impression confirmée par la destination initiale de la présente novella (pour mémoire, une anthologie jamais parue consacrée à la série créée par Charlie Brooker), Sweet Harmony nous projette dans un avenir pas si lointain, peut-être même devrait-on parler d’à venir. Dans ce meilleur des mondes possibles, du moins celui imaginé par la société de l’auto-contrôle des apparences, il n’existe pour Harmony Meads d’autre alternative que de paraître pour être. Fort heureusement, la nanotechnologie ne manque pas de ressources pour façonner un corps à la convenance du regard d’autrui. Aucune « extension » n’est superflue lorsqu’il s’agit de protéger sa santé contre un cancer, de se prémunir contre un AVC, un infarctus et une remarque désagréable sur son teint ou son humeur. Il suffit d’acheter l’application adéquate pour stimuler ses nanos qui s’empresseront de gommer les petites imperfections corporelles, de restaurer un sourire éclatant ou de doper sa libido.
Claire North dresse ainsi le portrait d’un corps social apparemment sain, mais hébergeant un esprit malsain et toxique, surtout pour les femmes. Soumises à la pression d’une société consumériste vouée au culte de l’hypersexualité, elles ne peuvent espérer percer le plafond de verre qu’en devenant belles, désirables et parfaites à tout moment, comme Harmony consent à le faire et continue de céder, y compris après le basculement funeste de son existence. Bien au contraire, et c’est la grande force du texte de Claire North, elle reste fermement campée au cœur des injonctions pressantes de la société, cherchant moins à être elle-même que l’ersatz dont ses collègues, clients, amis et partenaires sexuels, souhaitent côtoyer. Diablement efficace dans la satire, Claire North ne force aucunement le trait, se contentant de dérouler le parcours passé et présent d’Harmony pour en révéler toute l’absurdité cruelle et l’aliénation intrinsèque.
D’aucuns ricaneront des malheurs de cette gourde d’Harmony Meads, mais qu’ils prennent garde car, à bien des égards, le monde de Sweet Harmony ressemble déjà beaucoup au nôtre. En attendant, ils peuvent nourrir leur catharsis avec ce court texte dont le mordant critique évite l’écueil de la leçon de morale.