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Les critiques de Bifrost

Ymir

Ymir

Rich LARSON
LE BÉLIAL'
384pp - 23,90 €

Bifrost n° 109

Critique parue en janvier 2023 dans Bifrost n° 109

Premier roman du prolifique Rich Larson, Ymir marque le passage de l’auteur à la forme longue (après Annex, inédit par chez nous, et destiné à un public YA). Un galop d’essai loin d’être honteux car, même s’il ne fait qu’approfondir un sillon déjà tracé par d’autres, il le fait d’une façon suffisamment convaincante pour attirer l’attention.

Yorick est un enfant d’Ymir. Né de l’union d’une sang-froid et d’un outremondain employé par une mégacorporation pour exploiter les ressources minières de la planète, il ne s’y est jamais vraiment senti chez lui. Placée sous le joug d’une répression impitoyable, la population native dépend désormais des bienfaits de la compagnie, ayant troqué la rudesse de sa vie à la surface contre plus de confort dans ses entrailles. Sur Ymir, on courbe l’échine et on grogne, affûtant les armes de la revanche, dans l’attente du moment propice pour les brandir. À Ymir, on apprécie peu les étrangers et les agents de la compagnie. Mais, on déteste davantage les traîtres et les transfuges, prêts à toutes les compromissions. Jadis, Yorick a trahi les siens, devenant l’exécuteur des basses œuvres de ses nouveaux maîtres – la compagnie honnie. Son retour imprévu sur Ymir le confronte à sa mauvaise conscience et aux souvenirs de son enfance. Elle le confronte aussi, surtout, à son frère resté sur place.

Bienvenue dans un futur n’ayant rien à envier à celui de Carbone modifié, le roman de Richard Morgan dont Rich Larson reconnaît lui-même l’influence (comme il reconnaît celle de Peter Watts). Les humains n’y sont plus en effet que des variables d’ajustement dans le business plan de compagnies multiplanétaires souveraines, usant des pouvoirs régaliens pour soumettre des mondes entiers et réduire leur population à des objets démontables, recyclables à l’infini. Bienvenue dans un avenir post-cyberpunk reprenant à son compte le décor et l’atmosphère des textes de William Gibson et Bruce Sterling, mais aussi les spéculations hard SF de Greg Egan.

Les lecteurs ayant lu La Fabrique des lendemains, recueil paru au Bélial’ en 2020 (Grand Prix de l’Imaginaire 2021), apprécieront sans doute de retrouver dans ce roman l’imaginaire d’un auteur nous dressant le portrait d’un futur morcelé, écartelé entre l’humain et le posthumain, mais toujours en proie aux sempiternels impératifs biologiques. Dans ce futur, la révolution est vouée à l’échec, condamnée avant même de pouvoir éclater. Les héros sont des durs à cuire désabusés, convaincus qu’il n’y a pas de bien ou de mal, juste des gens qui disent non et boivent un coup après, parce que c’est dur. Les frères restent ennemis, séparés par un mur d’incompréhension, de non-dits, et par un sentiment de trahison insurmontable. Sur fond de mythologie nordique, de mégacorporations prédatrices et de tragédie humaine, Rich Larson déroule ainsi une histoire sombre où l’espoir ne pointe cependant pas complètement aux abonnés absents, même si ses lueurs sont chiches.

Ymir réunit donc un grand nombre de qualités, à la condition d’apprécier les retournements de situation surprenants et les quelques longueurs qui émaillent le récit. Expert de la forme courte, Rich Larson ne peut bien sûr que progresser. L’avenir nous dira si les promesses esquissées ici sont tenues.

Laurent LELEU

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