La science-fiction est partout. Elle n'est plus uniquement cette distraction issue des pulps magazines qui colportaient un sense of wonder aventureux auquel ses détracteurs la réduisent souvent encore pour mieux la vouer aux gémonies. Elle colonise notre quotidien par le biais de la littérature, de la bande dessinée, de la musique, de l'art, de la publicité, du grand et petit écran, des jeux vidéo… Elle est loisir, mode d'expression, manifestation de la modernité et des craintes que cette modernité suscite, support de spéculations scientifiques et philosophiques, sujet d'étude, argument de secte… La liste est longue et loin d'être achevée. C'est du moins le point de vue que défend François Rouiller, à qui l'on doit par ailleurs un excellent essai sur la drogue dans la science-fiction (Stups & fiction, Encrage 2002) et un ouvrage d'illustrations humoristiques (Après-demain, cent vues imprenables sur le futur, l'Atalante 2002).
Dans ce nouvel ouvrage, aussi indispensable aux profanes qu'aux connaisseurs, l'illustrateur/critique/auteur helvète démontre de manière fort convaincante et amusante que la science-fiction est finalement un vaste espace de liberté et de créativité. Ainsi, sur une trame imposée de 100 mots (de « ADN » à « Zut »), nous offre-t-il un panorama subjectif sans être gratuit, cultivé sans être exhaustif, méthodique sans être trop rigide pour illustrer cette démonstration. Les amateurs d'encyclopédies et de dictionnaires en seront pour leurs frais et se consoleront avec les seules concessions faites à la forme classique de l'exercice : les entrées Concentré, Guides et Frontières qui proposent pour la première, une micro bibliothèque idéale de 56 titres, pour la deuxième une liste d'ouvrages de référence en français et en anglais, accompagnée d'un bref recensement des sites consultables sur Internet, et, pour la troisième, quelques éléments pour mieux cerner les champs respectifs de la S-F, du fantastique, du merveilleux/fantasy et du surréalisme. Ils se réjouiront aussi de savoir que l'ouvrage est doté d'un avant-propos, d'une conclusion, de notes et d'un index, l'ensemble ne manquant pas de pertinence. Certains esprits chagrins pointeront sans doute des manques inhérents à leurs marottes, ou déploreront l'absence de leur auteur fétiche. Tous les autres se régaleront de l'aperçu sur cette « culture S-F » et des réflexions personnelles proposées en toute liberté par un auteur à l'érudition partageuse.
Signalons enfin que l'ouvrage de François Rouiller recèle quelques perles savoureuses. Ruez-vous notamment sur l'article rédigé sous l'entrée Rumeur et, pour le plaisir, goûtez cette allusion — pêchée dans l'article Amateur — à la très sérieuse (?) analyse psychanalytique d'Alexandre Hougron (Science-fiction et société, collection « Sociologie d'aujourd'hui », PUF, 2000) qui épingle les lecteurs de science-fiction « comme de jeunes hommes, tous relativement immatures, et, pour certains, peu doués et mal à l'aise dans toute forme de communication », et le même d'ajouter : « ils sont la preuve vivante que la fascination croît de manière proportionnelle avec le refoulement. » Si si.
Bref, si vous êtes définitivement allergique aux ouvrages théoriques à la formulation académique, si vous dédaignez les guides de lecture routiniers, les dictionnaires et les encyclopédies raisonnés trop raisonnables, le livre de François Rouiller propose une alternative décomplexée, amusante et non dépourvue de rigueur afin de découvrir ou de redécouvrir la science-fiction. Un livre dont l'objectif avoué est de donner envie, ce qu'il réussit pleinement.