Le Cycle des Épées
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Est-il encore nécessaire de présenter Fafhrd et le Souricier Gris ? Ces deux acolytes, le premier barbare du nord, grand et fort, et le second petit mais rusé, vivent de trépidantes aventures dans le monde de Nehwon, et notamment sa ville emblématique, Lankhmar. Les personnages sont hauts en couleurs, leur histoire est faite d’embûches et de combats, contre des hommes ou contre des créatures surnaturelles, mais aussi de rédemption, de moments de grâce, de découvertes de trésors. Oui, il est sans doute nécessaire de les présenter, notamment aux jeunes lecteurs, qui n’ont peut-être pas connu les précédentes éditions de ce cycle de nouvelles et romans, publiés sur toute la carrière de l’auteur, soit un demi-siècle s’étendant entre 1939 et 1988. Il faut dire qu’avec l’invraisemblable quantité de cycles de fantasy qui se sont déversés sur les présentoirs des librairies ces vingt dernières années, on en viendrait à oublier qu’il y eut de glorieux ainés… Pour un Tolkien qui reste omniprésent, combien de grands maîtres sont plus ou moins tombés dans l’oubli ? Fritz Leiber n’est pas de ceux-là, pas encore ; on le doit en grande partie à Bragelonne, qui avait ressorti le « Cycle des Épées » dans une nouvelle traduction signée Jean-Claude Mallé il y a quelques années (d’abord en volumes indépendants, puis en deux intégrales). Celle-ci a davantage de souffle que la précédente, œuvre de plusieurs traducteurs, et rend donc davantage hommage au style très riche et précis de Leiber. Très curieusement, des sept tomes de la saga, seuls six avaient été publiés par Bragelonne – le sixième uniquement au sein du deuxième tome de l’intégrale –, et le septième était resté inédit dans la traduction de Mallé, qui existait pourtant. C’est donc bien un événement que cette intégrale, puisque l’on pour la première fois depuis très longtemps l’intégralité du cycle disponible. Si l’on voulait chipoter, cette intégrale n’en est pas tout à fait une : il existe en effet un huitième volume, mais il n’est pas signé Leiber. Robin Wayne Bailey avait été en effet autorisé à reprendre les aventures de Fafhrd et du Souricier Gris, mais ce tome n’a jamais été traduit. On conviendra qu’il n’en valait sans doute pas la peine, et on peut donc considérer qu’il s’agit bien d’une intégrale, qui pèse son poids : 1890 pages, tout de même. C’est d’ailleurs tout le défaut de ce type d’ouvrage : pour faire tenir autant de matériel en un seul volume, l’éditeur est forcé d’utiliser un papier fin, et celui-ci l’est particulièrement ; il vous sera difficile à la lecture de cet ouvrage de le conserver dans l’état initial. Autre défaut, la couverture, particulièrement inexpressive et repoussante : il est dommage, quand on veut réhabiliter un tel classique de la fantasy, de ne pas proposer quelque chose de plus sexy, qui donne envie aux lecteurs hésitants de se plonger dans le volume. Dommage, car le « cycle des Épées » vaut vraiment le coup, à la fois bourré d’inventivité et d’humour, même si le ton peut parfois se faire grave voire dramatique (l’un des épisodes, notamment, fut écrit après la mort de l’épouse de Leiber, ce qui s’en ressent dans l’ambiance mortifère qui se dégage du texte). Les aventures picaresques des deux compères reposent beaucoup sur leur opposition féconde, et sur leur filouterie permanente. Sans doute que des lecteurs n’ayant lu que des ouvrages récents de fantasy trouveront que cela manque parfois d’envergure, mais à l’époque la Big Commercial Fantasy n’existait pas, et Leiber façonnait ses nouvelles comme un artisan, avec son style inimitable, qui emprunte notamment à son héritage théâtral familial. Il a ainsi posé les bases d’une fantasy lumineuse – c’est lui qui a du reste inventé l’expression sword & sorcery – qui a connu de nombreux descendants (Steven Brust, par exemple), et qui, de près ou de loin, a inspiré nombre des jeunes plumes de la fantasy. Il n’est donc que justice que de proposer à nouveau au lectorat français son « Cycle des Épées » disponible en intégralité, qui plus est avec une nouvelle traduction.