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Natures

Ah ! le joli mois de mai… Ses fleurs, sa douceur, ses Imaginales… Difficile de deviner la ligne de force de l’anthologie derrière la couverture en forme de manifeste « Thorgalien », le choix de la directrice du festival s’étant porté cette année sur le thème un peu fourre-tout de la nature, à prendre au sens propre et au figuré.

Dans un recueil, l’importance des textes introductifs et conclusifs n’est plus à démontrer. Au cas présent, ils nous font dire d’emblée que cette édition a peu de chance de résister à l’épreuve du souvenir. Le petit jeu littéraire de Jean Pruvost en fin d’ouvrage est illisible, et le « coup de cœur » des Imaginales (David Bry, « Je suis forêt ») donne une variation tragique sur la marche des Ents qui n’impressionnera que les lecteurs de fantasy débutants. La magie antillaise qui se dégage du « Mal de Mer » de Ketty Steward avait de quoi séduire, mais cette histoire de dieu des eaux déprimé se résout trop tôt et de manière trop paresseuse pour convaincre. On rêve de ce qu’aurait pu faire Lucius Shepard d’un tel matériau… Sur le thème de la nature vengeresse, Aurélie Wellenstein plaque une histoire de spectres maritimes qui se prennent pour des Juges des Enfers grecs. De belles images qui pâtissent d’un style quelconque et d’une morale naïve. Et boum ! La claque de l’antho (la seule, d’ailleurs) est signée Stefan Platteau : « Les Enfants d’Innana », à l’ambiance shepardienne (encore !), relate l’ascension d’un sommet himalayen par deux expéditions concurrentes afin de voler ses secrets à une entité extraterrestre, le tout dans le contexte de la seconde Guerre mondiale. Exploits alpinistes, batailles en altitude et magie tibétaine au menu, le tout décrit dans une langue méticuleuse. Lucius, sors de ce corps ! Le désert est le point commun des productions de Charlotte Bousquet et Ariel Holzl : à l’ambiance orientale de l’une répondent chez l’autre des vignettes d’un Paris ensablé – qui m’ont évoqué fugacement le Peut-être de Klapisch –, les deux textes se caractérisant par des intrigues aussi faméliques et dépouillées que leur décor. Autant pour l’effet d’immersion… On passe rapidement sur la fanfic d’Estelle Vagner à base de lycanthropes chagrins et sur le post apo’ autoritariste des époux Belmas, guère original mais qui vaut tout de même pour sa noirceur crasse et son remake futuriste du « big crunch » franco-anglais (avec provocations à l’avenant, genre : « French men feuque Anglish women ! »). Gregory Da Rosa se vautre dans les grandes largeurs avec son histoire moyen-âgeuse de gamine presciente et idiote, humiliée par des villageois bas du front, et où décidément rien ne fonctionne : ni le style, ni les personnages, ni l’ambiance. Ancien auteur de jeux de rôle, Philippe Teyssier signe pour sa part une amusante fable mettant en scène des animaux anthropomorphisés lancés dans une (en)quête des origines. Jean-Laurent Del Socorro revient, d’une manière à peine décalée, sur le parcours de la prix Nobel de la paix Malala Yousafzai (« Armée d’un livre et d’un crayon »). Un biopic certes émouvant, mais qui détonne un peu dans le contexte. Le forçage génétique, ses limites et effets pervers, sont au cœur de la nouvelle de Loïc Henry (« Malaria ») : la démonstration fait froid dans le dos mais a un goût de déjà-vu. Peu d’optimisme non plus, voire du cynisme, chez Vincent Mondiot (« Par-delà les ruines »), qui conduit ses primitifs dans une expédition suicide au terme de laquelle l’unique survivante découvrira que le monde n’est peut-être qu’une illusion, ou un terrain de jeu… En quelques pages qui rappellent le récent Passengers, Estelle Faye raconte le voyage d’un vaisseau quasi vidé de ses occupants et lentement colonisé par les plantes. La vision d’une arche de verdure fonçant à travers les étoiles a quelque chose d’onirique.

Depuis ses origines, l’anthologie dédiée au festival des Imaginales se fait fort de mélanger écrivains en devenir et chevronnés. Le casting 2019 aura dérogé quelque peu, puisque si le sommaire ne comporte aucun néophyte, aucun poids lourd du domaine n’y figure non plus. Natures souffre peut-être de cette absence. Le constat n’en est pas moins brutal : sur les quinze nouvelles, moins de la moitié retiendront tant soit peu l’attention d’un lecteur entraîné et exigeant. Platteau, Teyssier, Del Sorroco, Faye ; Mondiot et les Belmas, à la rigueur. C’est tout ? C’est tout. Rendez-vous au printemps 2020. Ou pas.

Ce qui vient la nuit

La Bretagne médiévale est un pays mythique, que des générations d’auteurs ont parcouru en pensée, avant d’écrire des épopées à partir de ces chevauchées oniriques. Ce qui vient la nuit a pour point de départ Bisclavret, conte écrit par Marie de France au XIIe siècle, empreint de merveilleux celtique et de lieux commun de la lyrique courtoise.

Du lai médiéval, l’histoire d’un chevalier affligé d’une malédiction qui se venge d’une épouse infidèle, les auteurs semblent tout d’abord ne vouloir proposer qu’une variation fantasy centrée sur la figure du loup-garou, mais le récit s’avère plus subtil et ne cesse de lorgner vers le matériau originel, poussant l’intertextualité jusqu’à faire de la poétesse anglo-normande l’un des personnages principaux.

Nous sommes donc au XIIe siècle. Les temps sont troubles. Sur l’injonction du pape Eugène III et de Bernard de Clairvaux, tout ce que l’occident chrétien compte de noblesse s’est lancé dans un nouveau périple vers la Terre Sainte, pour sauver le royaume de Jérusalem. Cette seconde croisade se solde par un fiasco pour les européens, qui ne remportent aucune victoire en Orient. De retour chez lui, le chevalier Jildas renoue avec son épouse Clervie, qui a administré le fief durant son absence. Le guerrier harassé espère y trouver le repos du corps et de l’âme, mais rien ne va tourner comme attendu. Les retrouvailles entre les époux s’avèrent plutôt fraîches. Clervie ne reconnait plus l’homme qui partage sa couche, Jildas dissimulant son mal-être derrière des manières de soudard. Par contraste, la personnalité de la poétesse qui s’invite brièvement dans leur vie est un facteur d’irritation autant que de fascination. Cette femme qui se conduit en homme, qui manie les mots et l’épée avec la même maestria, est pour Clervie une source d’inspiration et pour Jildas une énigme aussi difficile à percer que les meurtres horribles qui endeuillent la bourgade. À ce point-là commence un jeu de piste qui va mener le chevalier, aiguillonné par la femme de lettres, sur les traces de créatures métamorphes et d’un mal venu du fond des âges…

Discrètement érudit, méticuleux et mélancolique, Ce qui vient la nuit n’est pas qu’un récit de genre ou le portrait d’un trio désuni, mais un tableau inquiet des croyances et superstitions des populations du Moyen Âge. Lorsqu’une chasse à l’homme s’achève, une autre prend la relève. Après les Sarrasins, vient le tour des païens, des Lombards nomades, avant plus tard celui des Juifs, des Roms, et on en passe. Circonscrite au XIIe siècle, la novella retrace cet éternel retour de la violence et du rejet, ce ballet de la haine de l’étrange et de l’étranger.

S’il n’existe pas d’indice d’une telle préoccupation dans l’œuvre de la véritable Marie de France, plusieurs thèmes deCe qui vient la nuit s’inscrivent dans la filiation du Bisclavret, tout en s’en démarquant. Chez Marie, les femmes sont infidèles, le lycanthrope gentil, et la morale est sauve. Chez Bétan et consorts, les femmes sont plus vertueuses mais tentent de s’émanciper, la morale est un marais brumeux dans la forêt, et il y a un loup-garou dans le cœur de chaque homme.

Les deux contes sont donc traversés par la problématique de la place des femmes. On retrouve en Clervie ces héroïnes confrontées aux tourments de la vie conjugale qui font une grande partie de la matière des récits de Marie de France. Par ailleurs son émancipation progressive sonne juste. Les épouses des seigneurs bretons, normands, anglais se voyaient souvent confier les affaires de leurs époux, assumant ainsi un rôle grandissant et jouissant du loisir d’animer une cour. On a plus de mal à croire au personnage de Marie de France en voyageuse aux savoirs occultes et enquêtrice du surnaturel, même si le mystère entourant sa filiation dans l’histoire officielle autorise à échafauder des hypothèses audacieuses.

Les développements autour de la figure de Jildas paraissent plus convenus. Hanté et fragilisé par les horreurs vécues lors de la croisade, doutant de sa foi, incompris et solitaire, le chevalier vit sa traque comme une manière de purger son âme. C’est bien sûr le contraire qui advient. La violence de l’affrontement contre les métamorphes va lui révéler qu’un monstre sommeil en chaque homme… Le récit n’est pas parfait, il lui manque – de mon point de vue – une conclusion plus aboutie (comme si les auteurs, à l’image de ce qu’ils font dire à Marie à propos du chevalier, n’avaient pas su choisir), ainsi qu’une réflexion plus poussée sur la question du mal. Reste une histoire prenante, racontée dans une langue élégante et évocatrice, magnifiée par l’objet-livre lui-même. À la manière dont ils le firent pour Tout au milieu du monde (même éditeur, 2017), les auteurs jouent en effet de l’alternance entre texte et illustrations pour optimiser leur mise en scène, les dessins prenant parfois le relais des mots dans des séquences graphiques d’une force narrative stupéfiante. Du bel ouvrage !

Vorrh

Loué par Alan Moore dans une préface où l’auteur de Northampton évoque à son propos Ghormenghast de Mervyn Peake et Gloriana de Michael Moorcock, Vorrh paraît dans nos contrées auréolé d’une réputation élogieuse, pour ne pas dire tapageuse. De quoi nourrir quelques craintes, tant cet assaut de dithyrambes peut paraître forcé. Fort heureusement, il ne faut pas long-temps pour constater que cela n’est en rien usurpé, et que l’on se trouve bien face à une fresque foisonnante dont la complexité et la densité font échouer toute tentative d’en rendre compte de peur d’en affaiblir l’effet. Reste qu’il nous faut néanmoins nous y essayer, avec nos faibles moyens.

Oubliez tout ce que vous savez sur la fantasy et ses archétypes devenus stéréotypes à force d’être usés jusqu’à la trame. Le roman de Brian Catling enracine son propos dans le terreau fertile de la Vorrh, une selva mystérieuse dont les arpenteurs échouent à fixer les limites, et que les mots peinent à décrire. Sous ses frondaisons errent des explorateurs déboussolés, ne comprenant pas que la carte n’est définitivement pas le territoire. Des hordes de bûcherons, réduits à des pantins à force de fréquenter ses parages, abattent ses arbres pour en tirer les grumes qui font la fortune des commerçants d’Essenwald, la vaste cité coloniale greffée à sa lisière comme un chancre, où prospèrent aussi des individus aux intentions inquiétantes. Mais les luxuriances de la forêt échappent à l’entendement, cachant bien des secrets et nourrissant la foi des mystiques. D’aucuns y auraient aperçu des créatures contrefaites dont le visage semble incrusté dans le torse, monstres anthropophages dénués de moralité et d’humanité. D’autres sont persuadés que ses profondeurs sylvestres abritent le Jardin d’Éden, Adam et légions d’anges ou démons y compris. Bien peu peuvent cependant prouver leurs dires car ne dit-on pas que la Vorrh absorbe la mémoire des hommes, leur faisant perdre la raison et oublier jusqu’à leur identité ?

Omniprésente et pourtant toujours lointaine, la Vorrh reste donc un creuset propice aux spéculations les plus oiseuses, une forêt de symboles où se matérialisent tous les possibles et tous les fantasmes de l’inconscient collectif. Elle est pourtant aussi une réalité prégnante dont les manifestations influencent la vie des uns et des autres, forgeant les destins. Avec une imagination créatrice intarissable, Brian Catling opte pour une approche rappelant celle du réalisme magique. Les éléments irrationnels se mélangent à un contexte se voulant réaliste, subvertissant les conventions de la fantasy et empruntant également sa matière à l’Histoire ou à la vie de personnages historiques, tels le photographe Eadweard Muybridge, l’inventeur du zoopraxiscope, ou l’écrivain Raymond Roussel. On croise ainsi un mystérieux archer doté d’une arme consciente, un enfant cyclope, des créatures en bakélite vivant aux tréfonds d’une bâtisse vénérable, le dernier survivant de la tribu des « Vrais Humains », des shamanes en pagaille, des entités surnaturelles issues d’un passé antédiluvien, des hommes transformés en zombies, sans volonté mais pas sans âme, et bien d’autres personnages fantasmagoriques. Brian Catling multiplie les fils narratifs dans un apparent désordre qui finit par faire sens, façonnant une œuvre mutante où l’ancien est appelé à se fondre, sous le pouvoir transformateur des mots, en un récit débarrassé des pesanteurs de la tradition. Attendons maintenant de voir où l’auteur nous mène en découvrant The Erstwhile et The Cloven, deuxième et troisième tomes d’une trilogie dont le premier opus fascine et n’a pas fini d’ensemencer l’imaginaire par ses nouvelles expériences.

Trop semblable à l’éclair

Après une période de troubles ayant failli entraîner sa disparition, l’humanité a opté pour un changement de paradigme aussi brutal que radical. États-nations et religions ont été ainsi remplacés par une oligarchie composée de sept Ruches qui dirigent le monde, redessinant la société à la lumière de la philosophie du XVIIIe siècle. Sept Ruches pour les gouverner tous, et peut-être sept Ruches pour les lier tous… Parce qu’il a commis un crime effroyable, Mycroft Canner a été condamné à une forme d’esclavage. Instrument du pouvoir des Sept, mais aussi principal souffre-douleur de leurs éminences grises, il est chargé d’enquêter sur le vol et la falsification d’une liste de noms dont l’ordre importe beaucoup dans l’équilibre du pouvoir. Et, comme si cela ne suffisait pas, le voilà bombardé protecteur d’un enfant capable de donner vie à l’inanimé et apte à ressusciter les défunts…

Ne tergiversons pas. Trop semblable à l’éclair fait partie des nouveautés très attendues qui doivent paraître à l’occasion du festival des Utopiales (où l’autrice sera présente). Ce fait est sans doute le résultat d’une légitime curiosité titillée par les louanges d’une blogosphère portée à ébullition, par une critique élogieuse et quelques récompenses, notamment le prix Compton Crook et un Campbell Astounding Award. Bref, avec la parution du premier opus de la tétralogie «  Terre Ignota », le Bélial’ fait le pari de l’audace, de l’exigence et de la sidération. Dès les premiers chapitres, le lecteur se retrouve en effet immergé dans un futur où le meilleur des mondes possibles, issu du creuset de la philosophie des Lumières, a abouti à l’émergence d’une utopie aussi étrangère à nos yeux que pourrait paraître notre présent à un homme ayant vécu à la Renaissance. Ada Palmer n’a cependant pas oublié les leçons d’Ursula Le Guin, pour laquelle toute utopie recèle une part d’ambiguïté. Dans ce futur ultra-connecté, unis par un réseau centralisé de voitures volantes, où chaque individu est tracé, où le genre est considéré comme un archaïsme ou un objet de fétichisme, y compris dans la langue, où les religions sont proscrites au profit de directeurs de conscience chargés des questions métaphysiques (les sensayers), où les nations ont cédé la place à des organisations communautaires librement constituées, où les familles ne sont plus fondées sur les liens du sang mais sur les affinités, il y a tout de même quelque chose de pourri, pour paraphraser Shakespeare – qui donne par ailleurs son titre au roman. Et il ne faut guère compter sur le narrateur, Mycroft Canner lui-même, pour contester cette impression. Bien au contraire, il aurait même plutôt tendance, en bon narrateur non fiable, à brouiller les pistes, interpellant régulièrement le lecteur d’une manière très théâtrale afin de susciter adhésion ou réprobation.

À n’en pas douter, Trop semblable à l’éclair est un roman clivant, d’une densité confinant au repoussoir pour les uns, d’une érudition foisonnante et d’une ambition incroyable pour les autres. Le premier volume de la tétralogie «  Terra Ignota » n’est pas en effet un livre facile d’accès. L’autrice ne s’embarrasse pas de didactisme pour livrer au lecteur les clés de son univers. Le roman d’Ada Palmer demande que l’on s’accroche, que l’on persévère afin d’aller au-delà de la linéarité apparente de son double arc narratif. Il demande que l’on s’intéresse à la philosophie et à la pensée des Lumières, sans renoncer à une certaine dose de sense of wonder. Pourvu de l’illustration de couverture originale de Victor Mosquera déployée sur de larges rabats, et d’une interview de l’autrice américaine en guise de postface, Trop semblable à l’éclair se pare au final des vertus d’une science-fiction complexe et stimulante, formant une sorte de diptyque avec Sept Redditions, à paraître en mars prochain au Bélial’. On réserve d’avance notre caddie.

Le Triomphe

Voici déjà le quatrième volet des aventures du Capitaine Futur, le héros des quadras et quinquas, fans de l’anime du studio japonais Toei Animation. Une nouvelle fois traduit par Pierre-Paul Durastanti dans la collection « Pulps » dont il est par ailleurs l’initiateur et l’animateur infatigable, l’ouvrage ne décevra pas les amateurs de rétro-fiction. Rien de neuf en effet sous le soleil des neuf planètes, une fois de plus menacées par un péril insidieux et implacable. Ne lésinons pas sur les superlatifs car ils composent l’ordinaire du sorcier de la science, ce géant roux dont la carrure athlétique n’a d’égale que l’esprit vif et alerte. Meneur né des Futuristes, cette association de héros extraordinaires, à laquelle le gouvernement planétaire fait appel lorsque le désordre se répand parmi les peuples du Système solaire, Curt Newton ne semble animé que par la passion de la connaissance et un sens de la justice surhumain. Cette fois-ci confronté au seigneur de la vie, un mystérieux criminel promettant la jeunesse éternelle aux plus chenus des citoyens, via un élixir aux effets secondaires mortels, il doit prêter une nouvelle fois main forte à la police des planètes, incapable de déjouer la redoutable accoutumance qui se répand dans les neufs mondes. La routine, en somme, dans le plus pur registre du pulp et du comics dont Edmond Hamilton applique les recettes avec cette série née dans les années 1940. L’amateur retrouvera donc la démesure d’une intrigue ne s’embarrassant guère de vraisemblance, lui préférant la patine d’une histoire recyclant des motifs plus anciens, comme ici celui de la fontaine de jouvence. Inutile en effet d’attendre autre chose que le dépaysement suranné d’un space opera trépidant, où une péripétie en chasse une autre, sur fond de ranch saturnien, de forêt de champignons aux spores mortels et de brumes impénétrables hantées par des hommes oiseaux. L’aventure à un saut d’astronef ou de voiture fusée, jalonnée par les saillies d’un humour potache, certes un tantinet répétitif, avec une foi dans le progrès scientifique chevillée au corps. Toute une époque et un état d’esprit différent, celui qui prévalait durant l’âge d’or américain, mais avec une légère touche de nostalgie dont on goûte un aperçu dans la salle des trophées du Capitaine Futur.

Bref, Le Triomphe, quatrième aventure du Capitaine Futur, reste un texte d’une exubérance juvénile, à peine entaché par quelques tournures familières, qui ne cède rien en matière de distraction sans conséquence. Et, ce n’est pas un fan de Starwars qui lui jettera la première pierre.

Le Monde de Satan

Avec la parution du roman Le Prince-Marchand en 2016 (critique in Bifrost 84), les éditions du Bélial’ ont entamé, sous la houlette de Jean-Daniel Brèque, traducteur et maître d’ouvrage pour l’occasion, la publication intégrale des textes ressortissant à « La Ligue polesotechnique », première époque de «  La Civilisation Technique », l’un des cycles majeurs de Poul Anderson. Le temps passant très vite, le quatrième tome est désormais disponible. L’amateur y trouvera une traduction très révisée du roman Le Monde de Satan, et un inédit sous la forme d’une novelette intitulée « L’Étoile-Guide ». Pour qui serait passé au travers des trois précédents volumes, peut-être n’est-il pas inutile de procéder à un bref rappel. Dans le futur, le Commonwealth englobe une multitude de planètes et de colonies habitées par des humains et des extraterrestres, rebaptisés sophontes. Mais la véritable puissance reste l’association des libres marchands, la fameuse Hanse galactique, dont les affaires s’autorégulent dans le respect des principes de l’intérêt bien compris, de la concurrence libre et non faussée, contribuant ainsi à la stabilité de la civilisation technique. Si Le Prince-Marchand avait été l’occasion de découvrir Nicholas van Rijn, le fondateur de la Compagnie Solaire des Épices & Liqueurs, personnage fantasque, jouisseur et roublard au langage fleuri, les tomes suivants nous ont permis, au fil d’aventures périlleuses et un tantinet répétitives, de lier connaissance avec d’autres collaborateurs de la compagnie, en particulier le trio de pionniers marchands formés par David Falkayn, Chee Lan et Adzel. Un aristocrate beau gosse et intelligent, parfait cliché pour belle-mère, une Cynthienne menue et d’apparence faussement adorable, à la langue bien affûtée et au caractère caustique, et enfin un Wodenite, sophonte à l’impressionnante envergure de centaure mâtiné de saurien ne laissant pas deviner sa nature débonnaire et non-violente. Bref, trois mousquetaires au service d’un quatrième tenant plus de Falstaff que de d’Artagnan. Si Le Monde de Satan permet de renouer avec cette complicité, voire cette amitié indéfectible, forgée au fil des missions accomplies pour le compte de van Rijn, le présent roman relève surtout d’un changement dans la continuité. Aucune allusion politique malvenue dans cette assertion, même si le regard de Poul Anderson sur la Ligue polesotechnique se fait progressivement plus désabusé, surtout dans le texte « L’Étoile-Guide ». Certes, les péripéties vécues par van Rijn et consorts ne brillent toujours pas par leur originalité. On reste dans une veine populaire, où l’humour, le rythme soutenu et les stéréotypes confèrent au récit un caractère divertissant indéniable, sans pour autant renoncer complètement à la science, notamment dans des passages flirtant avec une hard SF au didactisme un tantinet agaçant. Quant au changement mentionné plus haut, d’abord sous-jacent, il perce de plus en plus au travers d’Adzel, sans doute le plus sensible à l’égoïsme bien compris de la Ligue polesotechnique, puis de Coya, la petite-fille de van Rijn, au point de briser la belle entente qui prévalait entre les associés dans Le Monde de Satan. Si le roman s’achève en effet sur une note joyeuse, celle-ci est sévèrement tempérée à la lecture de « L’Étoile-Guide ». Le cabotinage du prince-marchand et l’esprit d’entreprise cèdent alors la place à l’amertume et au dégoût.

Mésestimé lors de sa première parution en France, comme en témoigne la critique assassine de Jean-Pierre Andrevon dans Fiction, Le Monde de Satan apparaît pourtant comme l’apogée des aventures de van Rijn, Falkayn, Chee Lan et Adzel. Mais, l’apogée comme l’orgueil précèdent toujours la chute, déjà annoncée par la novelette «L’Étoile-Guide ». En cela, le quatrième tome de «  La Hanse galactique » apparaît comme un ouvrage de transition, entre optimisme et fatalisme, bouffonnerie et drame, John W. Campbell et Paul Valéry. Le laissez-affairisme et la ploutocratie étant désormais au cœur du Commonwealth, les temps sont dorénavant ouverts pour Le Crépuscule de la Hanse, ultime tome du cycle. Ne cachons pas notre impatience.

Horror

Dario Argentio, pour la portion pré-cacochyme du lectorat, c’est d’abord le giallo ; puis Phenomena : Donald Pleasance, Jennifer Connelly, BO par Iron Maiden ; enfin, la Trilogie des Mères, histoire de sorcières étalée sur 30 ans de production et inspirée par le Suspiria de Profundis de De Quincey. Un maître de la lumière succombant trop souvent à son goût immodéré du grotesque. Une œuvre dont la légitimité artistique est de plus en plus régulièrement contestée.

Aujourd’hui, à 77 ans, Argento sort son premier recueil de nouvelles d’horreur, sobrement intitulé Horror. Était-ce bien nécessaire ?

Horror est constitué de six textes de longueurs variables. « Une nuit aux Offices » se déroule dans le musée éponyme. Argento, à la première personne, y fait une visite nocturne de repérage et y est saisi par la violence trop longtemps contenue des fem-mes exposées, d’Artemisia « Holophern » Gentileschi à la Méduse du Caravage – un rappel en abyme de son propre Syndrome de Stendhal. Trop ou trop peu, au choix. « Rouge pourpre à la Biblioteca Angelica » rappelle un peu L’Oiseau au plumage de cristal. Voilà. « Villa Palagonia » entraîne le lecteur sur les traces d’un visiteur peureux de la célèbre Villa palermitaine des Monstres pour une histoire d’adultère, de meurtre et de fantômes. Convenue et prévisible. « Les Oubliettes de Merano » renoue avec l’ambiance de la Trilogie des Mères, quand un enfant citadin est placé chez une étrange nourrice. Peut-être la plus engageante par l’alternance froideur/moiteur qu’elle propose. « Alchimie macabre au château de Gilles », sur Gilles de Rais, les enfants, tout ça… Que peut-on écrire de neuf sur Gilles de Rais ? Une espèce de petit conte peu crédible à la Hansel et Gretel. Enfin, bouquet final, « Les Démons de Singa-pour », resort, terroristes sanguinaires, varans (!) salvateurs. Absolument grotesque.

Par-delà le détail de chaque texte, l’ensemble – écrit en collaboration (jusqu’à quel point ?) avec Pamela Ferlin – est vraiment mauvais. Textes poussifs et ennuyeux, vocabulaire limité ou répétitif (plus lu de « cantilène » que durant toute ma vie), monologues internes naïfs et pénibles, personnages et situations peu crédibles ou atrocement datés. On pourrait juste dire, ce qui serait déjà rédhibitoire, que, non content d’être souvent inférieur à une rédaction de collège, le recueil Horror est sop-horrifique. On ajoutera, pour la route, que décrivant de façon graphique un massacre terroriste sans oser, dans la nouvelle précédente, faire de même avec les nuits de Gilles de Rais, on est ici, en plus, dans de « L’horreur sans estomac ».

L’Empire savant

L’Empire savant est un joli petit fascicule à l’histoire étonnante qui commence comme un scénario de L’Appel de Cthulhu. En 2013, Vincent Haegele prend ses fonctions de directeur des bibliothèques de Compiègne. Faisant une tournée détaillée de son fonds, il découvre un lot coté VDC 130. À l’intérieur des boites, dorment depuis bientôt deux siècles de nombreux manuscrits. Il s’agit de papiers ayant appartenu à Pierre-Marie Desmarest, un révolutionnaire devenu policier politique impérial sous les ordres de Fouché. Poussé vers la sortie en 1814, l’homme participe aux Cent Jours comme « représentant », avant d’être définitivement écarté à la Restauration. Après des années de retraite studieuse, il reprend du service en 1830, puis meurt du choléra en 1832. Années de retraite qu’il passa à écrire ses mémoires – Témoignages historiques – et à composer un roman inachevé dont n’existent que des fragments. C’est L’Empire savant, qui est publié aujourd’hui après mise en ordre stylistique et logique par Haegele, et en dépit des trous qui en mitent, hélas, la narration – comme le dernier message politico-philosophique d’un honnête homme étonnamment clairvoyant.

Début du XIXe siècle. Isidore est un fils de bonne famille, idéaliste et bon, qui rêve d’explorer le centre de l’Afrique, alors encore terra incognita. Il croit au doux commerce de Montesquieu et veut aller en frère à la rencontre des peuples. Dans ce but il embarque, contre l’avis familial, sur un navire à destination de l’Égypte, sa première étape. De là, le récit compte structurellement deux parties, mais d’un point de vue logique, on peut en distinguer quatre.

D’abord un long voyage plein de merveilles, d’imprévus et de tribulations, qui rappelle finalement moins les péripéties de Gulliver que les voyages des Mille et une Nuits que Desmarest avait sans doute lus dans la traduction de Galland. En effet, on y trouve la même combinaison de hasards providentiels, d’emportements des puissants, de risques mortels, d’intrigues de palais, et même d’esclaves énamourées, que dans le texte arabe. Isidore est donc capturé par des Barbaresques et vendu comme esclave. Il enseigne une langue italienne qu’il ne maîtrise pas, fait route à travers le désert avec une caravane dont il devient sans titre l’interprète des songes, est choisi comme favori d’un seigneur qui veut sa science de la poudre à canon, puis réquisitionné par le sultan qui le fait bouffon, avant d’enfin partir vers le centre de l’Afrique en compagnie de Pinda, une esclave originaire de sa destination finale.

Atteignant enfin ses montagnes rêvées, Isidore a d’abord l’impression de plonger en sauvagerie. Puis, aidé par une Pinda qui semble retrouver sa nature première en revenant dans son monde, il fait de la région un Jardin d’Eden, primordial et pur, plein de mille végétaux, bêtes, fruits, plus merveilleux et nourriciers les uns que les autres. Le ton ici est au merveilleux mythologique ; quant à Pinda, en Vendredi personnel du jeune homme, elle se débarrasse des oripeaux de l’esclavage et devient une sorte de Bon sauvage rousseauiste.

Enfin, le couple arrive dans la société et la famille dont Pinda est originaire. Ici, avec la superstition, c’est le patriarcat qui domine, avec mariages polygames et dots obligatoires.

Grand saut dans le texte ensuite car manquent les parties de liaison. Au-delà du pays des griots, Isidore atteint une civilisation très avancée : « la cité des sciences ». Là, dans un monde qui devance de cent coudées le niveau technologique de l’Europe d’alors, il est accueilli par une population paisible qui lui montre ses prodiges scientifiques sans lui en cacher les effets secondaires. Desmarest est ici impressionnant. Il imagine des avancées stupéfiantes, puis en pointe toujours les effets pervers — sagement contrôlés par La cité des sciences. Éducation approfondie pour tous – mais des débats existent sur le contenu d’une « bonne » éducation, et l’auteur entrevoit l’hyperspécialisation à venir des champs de la connaissance. Un « conservatoire des arts » et une île où trouver l’ataraxie mettent à l’écart les inventions devenues problématiques : système de surveillance de masse, publicité, sondages et opinion publique, radiologie, culte du corps, prolongation artificielle de la vie, procréation médicalement assistée.

Isidore finit par retourner à la « simplicité » de la vie européenne, où il peindra les merveilles d’une civilisation étrangère à prendre pour modèle.

Inversant l’ordre de la supériorité technique, Desmarest crée une fable amusante qui montre le caractère contingent de la domination scientifique — comme Jared Diamond, ailleurs. Il livre au lecteur un texte tout inspiré par la pensée des Lumières. Même si certains stéréotypes affleurent, les descriptions de tyrans orientaux empruntent plus aux Mille et une Nuits qu’à Voltaire, et la volonté sous-jacente est clairement bienveillante. Montrant que les rapports de forces auraient pu être inverses, il affirme que la colonisation n’est que contingente, qu’elle n’a pas de fondement naturel, et que donc elle est politiquement critiquable.

Eltonsbrody

1958. La Barbade. Mr Woodsley, peintre, est là quelques jours pour mettre sur toile les paysages enchanteurs de l’île. Hélas, les deux seuls hôtels de Georgetown sont complets. Sur les conseils d’un chauffeur de car, il demande asile à Mrs Scaife, une gentille et respectable vieille dame qui vit avec ses domestiques dans la vaste demeure défraîchie d’Eltonsbrody — le « manoir » local, perché sur Staden Hill.

Les trois premiers jours se passent très bien. Woodsley est accueilli avec une grande générosité par son hôtesse ; la maison, quoiqu’ancienne et un peu défraîchie, est confortable, les repas – préparés par Jack-man, la cuisinière – sont bons, et le peintre profite autant du calme des lieux que de la beauté sauvage du « côté écossais » de l’île, non loin de la ville de Bathsheba.

Mais voici que le soir du quatrième jour, Mrs Scaife vient de façon tout à fait inappropriée demander à Woodsley, dans sa chambre même, si rien ne l’a incommodé ce soir. Woodsley ne sait que répondre, tout va bien, rien n’est inhabituel si ce n’est la visite nocturne de la vieille dame. Il ne sait pas encore que, de là, tout va déraper et devenir de plus en plus étrange, inquiétant et choquant.

Eltonsbrody est un roman « gothique » de Edgar Mittel-holzer. Une grande maison à l’écart, sur une colline dominant des villages de cahutes. Un cimetière non loin, où gît notamment le défunt mari de Mrs Scaife – à la tombe duquel elle voue un culte ; clairement, la veuve vit confite dans le souvenir omniprésent de son cher décédé. Elle est, en revanche, en froid avec son fils Mitchell et sa bru, et n’aime, de sa famille, que son petit-fils Grégory, que Mitchell lui amène de temps en temps. Son seul entourage est constitué de cinq domestiques aux tâches variées, tous Noirs – comme feu Mr Scaife – alors qu’elle-même est Blanche.

À Eltonsbrody, le vent souffle follement. Dans les arbres mais aussi, semble-t-il, à l’intérieur, en courants d’air entêtants. Et il n’y a pas que le vent. Les vieux meubles, les marches d’escalier, les planchers, tout craque. D’étranges odeurs fleurissent. Les ombres jouent des tours aux yeux de Woodsley. Et pourquoi ces trois chambres condamnées à l’étage ? Paranoïa ? Voire. Car plus les jours passent, plus la vieille dame s’avère étrange. Affirmant sans vergogne des choses folles, passant sans cesse de la dignité aimable à la provocation la plus outrancière, elle donne d’elle un spectacle maniaque qui amène à se demander si elle est une folle meurtrière, une folle qui fantasme une malfaisance rêvée, ou une vieille folle qui s’amuse à choquer. Disant toujours trop mais jamais assez, elle se place elle-même dans une posture « cachée en pleine vue » qui rappelle « La Lettre volée » de Poe. Car l’ambiance ici est clairement à Poe, un Poe illustré par Corben.

Au-delà du divertissement, Eltonsbrody est aussi un livre triste sur la malédiction des origines et les inégalités structurelles dans les sociétés coloniales. Derrière la carte postale – nature magnifique, mer traîtresse, couchers de soleil grandioses et poissons grillés –, la réalité est plus sordide. Les pêcheurs pauvres de la Barbade vivent dans de misérables masures. Les champs sont encore de canne à sucre. Les domestiques d’Eltonsbrody – tous Noirs – parlent un créole très basique qui exprime leur absence d’éducation et n’ont que des noms sans Monsieur ni Madame, contrairement à Scaife et Woodsley. Mrs Scaife les aime pourtant, de son surplomb, comme des enfants. Et si feu Mr Scaife était noir, il était médecin et riche, ce qui faisait de son mariage avec la pauvre mais blanche Mrs Scaife un mariage « de haut en bas » et simultanément « de bas en haut » (cf. Bourdieu, Le Bal des célibataires) tant pour l’un que pour l’autre ; double intérêt bien compris qui, pourtant, fit un mariage d’amour. Mais de ce mariage naquit Mitchell, que sa mère n’aima jamais car il avait pris le côté noiraud de son père (comme Mittelholzer lui-même, issu aussi d’un couple mixte et qui en souffrit sa vie durant) et que, cerise sur le gâteau, il épousa une Portugaise créole. Et ici, dans ce malheur de Mitchell qui fait écho à celui de son auteur, c’est à Lovecraft qu’on pense. À la hiérarchie raciale de l’époque, à la vision racialiste d’un monde qui différenciait les droits selon d’obscures divagations biologisantes, et à la peur panique de ce sang impur qu’on ne peut dissimuler si on a la peau sombre. D’où, peut-être, dans Eltonsbrody, la quête folle des os et des squelettes qui devraient prouver que les différences ne sont que superficielles, mais qui est aussi une façon d’éliminer ce qui fâche : la couleur de la peau.

Six mois, trois jours

Après la publication en 2018 de Tous les oiseaux du ciel, premier roman de Charlie Jane Anders, couronné par les prix Nebula et Locus, les éditions J’ai Lu proposent au lectorat francophone un recueil de six nouvelles – dont le texte éponyme audit recueil, lauréat du Prix Hugo catégorie novellette. Doug et Judy ont chacun le don de voir l’avenir. Doug ne perçoit qu’un seul futur tandis que Judy est capable de discerner tous les futurs possibles. Le premier n’a pas le choix et, résigné, subit sa vie. La seconde trie et choisit ce qu’elle va vivre. Ils tombent amoureux, mais savent que leur histoire ne durera que six mois et trois jours. Doug le voit et aucun des avenirs que Judy anticipe ne permet d’éviter la rupture… La narration maîtrisée, le traitement émouvant dénué de pathos, l’exploration subtile des relations entre deux personnages que tout oppose et les questionnements sous jacents sur le libre-arbitre et le déterminisme, font de cette novella le récit de référence du présent recueil. Dans « Notre modèle économique ? Le Paradoxe de Fermi », le ton léger contraste avec le propos glaçant autour d’un premier contact fortuit entre extraterrestres écumant les galaxies et humains décimés par un cataclysme écologique. Charlie Jane Anders choisit d’adopter le point de vue de l’étranger, même si ce dernier cache plutôt un alter ego. « Comme neuf » joue avec un objet emblématique du conte : la lampe magique. Marisol, dramaturge en plein doute existentiel, survit à un cataclysme mondial en se réfugiant dans la panic room du manoir dans lequel elle travaille comme femme de ménage. À sa sortie, elle trouve une bouteille contenant un génie prêt à lui exaucer trois vœux et tente de remettre le monde en état. Un récit qui tient grâce aux digressions autour de l’écriture théâtrale et aux ruses déployées par la narratrice afin d’éviter que ses souhaits ne tournent au désastre. « Intestat » se penche sur le transhumanisme en mode nostalgie et cynisme. Lors d’une réunion de famille dans les bois, chacun se demande quelle partie du corps du patriarche modifié il recevra en héritage à la mort prochaine de ce dernier. Malgré une critique sous-jacente de la guerre économique sans merci autour des innovations techno-biologiques, le texte reste très en surface des thématiques abordées. « Cartographie des morts soudaines » aborde voyage temporel et dystopie. L’Empire entrevu offre peu de perspectives pour les gens du commun – la plupart destinés à vivre et à mourir en esclave, et les portes qui permettent de se déplacer dans le temps ne s’ouvrent qu’au moment de morts brutales et inattendues. Un texte qui semble à l’étroit dans ce format court, et tend à frustrer son lecteur. « Trèfle » met en scène l’histoire d’un couple gay qui reçoit, en guise de porte-bonheur, un chat. Pendant neuf ans, comme convenu, tout leur sourit, mais passé ce délai et l’arrivée d’un autre félin, le vent tourne. La magie a toujours un prix ; cette nouvelle de fantasy urbaine l’illustre doublement.

Même si le résultat n’est pas toujours à la hauteur des attentes, Charlie Jane Anders fait preuve d’audace dans le mélange, parfois improbable, des genres et des thématiques – réjouissant à défaut d’être totalement réussi.

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