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“Le temps fut” chez Just A Word

« Grâce sa construction narrative implacable et à son exploration de l’amour et de la haine à l’ombre de l’incertitude du temps, Le Temps fut s’impose comme une novella intelligente et poignante qui convoque les démons de l’Histoire et la force inaltérable des sentiments humains. » Just A Word

Sept Redditions

Sept Redditions d'Ada Palmer, la suite attendue de Trop semblable à l'éclair, est désormais disponible !

Archangel

Il arrive, parfois, que le Destin ou le fil de l’Histoire déraillent. La Seconde Guerre mondiale, dont un aspect de la conclusion est au centre d’Archangel, est tissée elle-même de questions historiques mal résolues, en forme d’occasions manquées ou de moments de basculement que les protagonistes n’ont pas toujours identifiés avant qu’il ne soit trop tard. L’imaginaire en fait sortir les uchronies par la magie du « et si… ? » Ainsi, dans Archangel, c’est au nombre des bombardements nucléaires qui ponctuent la Seconde Guerre mondiale que l’on reconnaît la transition d’une réalité à l’autre : si aux deux d’Hiroshima et de Nagasaki s’ajoute une troisième au-dessus de la ville soviétique d’Arkhangelsk, alors à la Guerre Froide se substitue la « Pax Americana » suivie au début du XXIe siècle de la destruction radioactive. Les derniers hommes, après avoir été les maîtres de la Terre, ne sont pas résignés à perdre le contrôle des destins de l’humanité : il se trouve qu’ils disposent d’un instrument (quantique, ainsi qu’il se doit) par l’intermédiaire duquel une autre réalité leur devient accessible, dans laquelle il leur suffirait d’atomiser Arkhangelsk pour qu’elle devienne conforme à leur propre version de l’Histoire.

Deux points de vue s’opposent dans cette intrigue : celle des principaux antagonistes – représentés par Junior Henderson, fils du PotUS et Vice-Président lui-même, les États-Unis s’étant changés en dictature héréditaire peu de temps après la fin du monde – pour qui la transformation en profondeur du flux historique d’un autre univers est légitime dans la mesure où elle garantit que le jeu puisse continuer sans avoir à en changer les règles (que l’on pourrait sans doute résumer d’un « j’ai fini cette planète, je peux en avoir une autre ? ») ; et celle d’un mouvement de résistance guère plus aux abois que les infects ultimes dirigeants des USA. Derrière cette opposition s’en dessine une autre : celle qui fonde l’équilibre délicat qu’il convient de maintenir entre le bien commun et les intérêts particuliers. Il n’est pas anodin que la continuation de ce conflit – importé depuis un autre flux historique – trouve à s’exprimer en plein cœur de la Seconde Guerre mondiale finissante. La « Grande Alliance » contre l’Axe vacille sur les ruines mêmes du « Reich de mille ans », montrant que les intérêts particuliers (ceux des nations) peuvent recommencer à l’emporter sur le bien commun (celui de l’humanité). Ce monde, au mois d’Août 1945, est donc mûr pour tomber aux mains des Henderson. La résistance, depuis le futur, va devoir compter sur quelques personnages positifs car plus sensibles – à leur façon et pour leurs raisons – au bien commun.

Uchronique, l’Archangel de Gibson ? Oui, et pour deux raisons dont l’une est en partie involontaire. Dans cette opposition d’idées – l’intérêt particulier avant le bien commun et inversement –, il est difficile de ne pas lire une référence très nette à notre époque actuelle. Notre monde est le descendant de celui de 1945, né au moment des bombardements atomiques sur le Japon : il n’a pas eu à connaître la guerre nucléaire – mais les forces qui conduisent dans cet album au conflit entre les Henderson d’une part et ceux qui leur résistent en 1945 comme en 2016 d’autre part y sont bel et bien actives. À ce titre, le dessin – réaliste et documenté, restituant fort bien pour les scènes berlinoises l’ambiance ambiguë des ruines de la guerre et du demi-monde qui s’était mis à prospérer – contribue tout à fait à cette mise en abyme. La postface de l’album, signée par Gibson lui-même, explicite ce projet dont les origines plongent leurs racines dans un souvenir d’enfance : dissonance historique supplémentaire, il a fallu, après l’élection de Donald Trump, en modifier la fin prévue. L’année 2016 que nous avons connue est donc celle que les personnages positifs d’Archangel rendent possible : nul doute que bon nombre d’entre eux seraient capables d’en penser « tout ça pour ça ! »…

Pour une première expérience en tant que scénariste sur un comics, il semble bien que William Gibson ait réalisé un coup de maître : Archangel saura parler aux amateurs d’histoire alternative, à ceux de romans graphiques et bien sûr à ceux de SF.

Distrust that particular flavor

Une part non négligeable des écrits de Gibson est constituée d’articles, de préfaces, de conférences ou de posts d’un blog aujourd’hui disparu ;Distrust That Particular Flavor (titre qu’on pourrait traduire par « Ne faites pas confiance à cette saveur particulière ») rassemble vingt-cinq d’entre eux. Se sentant plus auteur de fictions que d’essais, Gibson reconnaît dans la préface la gêne certaine que lui pose l’exercice. Une gêne à même de devenir un atout : le romancier aborde ainsi l’écriture d’essais avec les outils de la fiction. Voilà qui donne une tonalité toute particulière à ce recueil, qui permet d’en apprendre davantage aussi sur l’auteur de Neuromancien. Chaque article s’accompagne d’une brève remise en perspective par le Gibson de 2012.

«  L’idée d’une autobiographie directe, sans filtre, me mettait encore plus à mal à l’aise.  » Raison pour laquelle la présence de « Since 1948 », ce post de blog de novembre 2002, régulièrement cité par Gary Westfahl dans son article biographique proposé plus haut dans nos pages, est d’autant plus précieuse. Rétif à l’exercice, Gibson se montre pourtant facilement disert quand il s’agit de parler de lui-même : dans « My Obsession », il évoque ainsi longuement sa découverte d’eBay et sa passion pour les montres ; d’autres articles sont l’occasion de raconter ses voyages, tel « Disneyland with the Death Penalty » relatant une excursion peu enthousiasmante à Singapour, ou « Shiny Balls of Muds », curieuse incursion japonaise. Gibson parle parfois de ses œuvres : un discours pour la Book Expo de New York nous apprend la genèse d’Histoire Zéro, « William Gibson’s Filmless Festival », sous prétexte de parler de films tournés en numérique, permet d’entrapercevoir le Kubrick de Garage, proto-personnage qui trouvera sa place dans Identification des schémas ; « Johnny: Notes on a Process » raconte de façon désillusionnée la genèse du film Johnny Mnemonic. Tout cela, sans jamais céder pour autant à une ostentatoire mise en scène de soi : l’auteur de Neuromancien y apparaît comme un homme normal – chose que confirment les articles sur ses goûts musicaux (Steely Dan) ou cinématographiques (Takeshi Kitano) – quoique doté d’une intuition unique.

Si Gibson confirme son peu d’attrait pour les nouvelles technologies, surtout lorsqu’on lui demande de parler d’ordinateurs, un sujet qui, en dépit de l’impression laissée par la « trilogie Neuromantique », ne le passionne guère, cela ne l’empêche pas de faire preuve d’une forme de prescience : dans « Rocket Radio », article paru dans Rolling Stones au sujet de l’écoute/la consommation de musique, il emploie le terme de « Net » (« réseau ») pour désigner l’ensemble des moyens de communication d’avant l’internet. On le voit également s’interroger avec pertinence sur la question du cyborg et de la réalité augmentée au fil des âges (« Googling the Cyborg ») ou sur l’hyper-modernité du Japon (« Modern Boys and Mobile Girls »).

Si Distrust That Particular Flavor intéressera surtout les fans hardcore (et anglophones) de l’auteur de Neuromancien , les autres lecteurs auraient tort de se priver d’y jeter un coup d’œil, tant le Gibson essayiste s’y montre intéressant, pertinent et plaisant à lire.

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