Fées, weeds et guillotine
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Marc-Aurèle Abdaloff, détective privé, comme son nom ne l’indique pas, reçoit la visite d’une femme pas exactement fatale mais tout de même remarquable, ne serait-ce que par son accoutrement déclinant dans son entêtement monochrome des nuances pourpres et violacées. Il s’agit de retrouver une femme à partir d’indications aussi minimalistes qu’atypiques : trois portraits, non ressemblants, entre l’enluminure médiévale et la miniature du XVIe siècle, et dont le seul point commun est le sourire étonnamment semblable. Jaspucine Corday semble avoir un vieux compte à régler avec elle, et remet des rubis en guise de rémunération, Marc-Aurèle ayant refusé les assignats qu’elle lui proposait. Parallèlement, Etienne, son ami policier, a sur les bras une affaire atypique, celle d’un enfant retrouvé seul dans un appartement avec trois vieilles femmes enfermées dans des cages de fer et un important stock de diamants dans un saladier. L’action se précipite quand le petit garçon et les vieilles s’échappent et que la cliente de Marc-Aurèle est arrêtée pour détournement de fonds…
L’intrigue se délite toujours davantage à mesure qu’on progresse vers son élucidation. Ses racines remontent à la Révolution et exportent chez les humains un conflit qui perdure depuis des siècles dans le monde des fées, lesquelles n’ont pas la générosité ni le dévouement que leurs prêtent les contes, leur société se révélant par ailleurs aussi hiérarchisée et verrouillée qu’une dystopie à la 1984. Bien que s’estimant largement supérieures aux humains, les fées adoptent à leur égard des comportements de coucous, qui permettent aux rivales du pouvoir d’ourdir un complot que les protagonistes humains vont déjouer, contraints et forcés.
Sur une trame improbable et barrée, où la beuh s’avère une arme efficace contre de redoutables créatures de la nuit, Karim Berrouka brode avec savoir-faire un récit des plus loufoques. Il multiplie les situations farfelues en jouant sur le décalage entre les univers, et fait surtout preuve d’un humour décapant et d’une verve réjouissante. Le récit pastiche les polars hard boiled, cuisinés à la sauce San-Antonio (on trouve d’ailleurs un épique flic obtus mais vaillant qui n’est pas sans rappeler Bérurier), par les situations, certes, mais aussi du fait de son écriture enlevée qui confère tonus et rythme à l’histoire. Vraiment, on aurait tort de bouder son plaisir avec ce roman survitaminé.
Karim Berrouka est en passe de devenir un pilier des éditions ActuSF immédiatement identifiable par sa fantasy parfois sombre, mais surtout par la richesse d’un univers débridé et des délires maîtrisés.