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L'Écrivain fantôme

Après « Le Trou dans le mur », dans Fiction n°2, aux Moutons électriques, « Puzzle » dans Utopiae 2006, à l’Atalante, La Bouquineuse chez Xénia, voici un quatrième texte de Z. Zivkovic traduit en français. C’est assez peu pour un auteur jouissant de la réputation qui est la sienne, lauréat du World Fantasy Award (catégorie novella) pour « The Library ». Le problème semble partout le même : on dispose aisément de ce qui est écrit dans le patois local ou traduit de l’anglais, et c’est tout ou presque. Un brin d’allemand, un zeste d’espagnol, un rien d’italien, un semblant de russe… Alors, le serbe… Mais il existe des éditeurs, tout petits, certes, qui font de louables efforts.

Editeur qui, ici, présente ce court roman comme le moins fantastique de Zivkovic, et, pour tout dire, on n’y trouve pas la moindre once de surnaturel. Si fantastique il y a, c’est celui de la situation, improbable, tout juste à la limite de l’absurde. C’est un roman minimaliste s’il en est. Un unique personnage sur la seule scène d’un bureau à domicile, un ordinateur et un gros chat pataud comme un jeune labrador nommé Félicien. Toute l’action, si tant est qu’action il y ait, se déroule en une matinée pour un one man show silencieux hormis les coups de gong annonçant l’arrivée des courriels dans la boîte email du notre « auteur », écrivain en mal d’inspiration qui tue le temps en répondant à ses cinq correspondants plus déglingués du chapeau les uns que les autres.

L’ « admirateur anonyme » voudrait que l’ « auteur » écrive un roman dont il lui céderait la paternité. Hautemer, narcissique et jaloux, écrivain lui aussi, non pas raté, mais médiocre, désire que l’ « auteur » lui écrive des pastiches de ses propres œuvres… Banana souhaite voir l’ « auteur » terminer le roman onirique qu’elle ne saurait finir. P-O pastiche les nouvelles de l’ « auteur » et voudrait que celui-ci écrive les nouvelles-sources dont il aurait déjà rédigé les pastiches par avance ! Et enfin, Pandore, qui n’a d’autre désir que de voir l’ « auteur » écrire un roman sur et pour son chien Albert, dont elle détiendrait l’unique exemplaire pour en faire la lecture au fantôme de son clebs… Tous ces braves gens qui mériteraient bien un entonnoir à jugulaire envisagent chacun derrière leur écran que l’ « auteur » se plie à leurs desiderata en utilisant pour pseudonyme le nom de son chat, comme il le fait sur Internet pour correspondre avec eux.

La quatrième de couv’ dit tout sur L’Ecrivain fantôme, une œuvre joyeuse et espiègle. Une sorte de farce. Un jeu où le lecteur se demande comment l’auteur et l’ « auteur » vont s’en tirer. Le salto de sortie n’est peut-être pas tout à fait à la hauteur des espérances, mais l’essentiel de l’intérêt réside dans la démarche qui nous y conduit. Brillant, virtuose et, surtout, amusant, L’Ecrivain fantôme est une pochade plaisante, loin, très loin des sombres registres où se déploie la plus grande part de l’Imaginaire.

Au fil du temps

Ce recueil de sept nouvelles, en grande partie inédit en français, constitue le quatrième livre de George R. R. Martin chez ActuSF en attendant Au fil du rêve… L’éditeur continue de nous proposer les nouvelles écrites par Martin à l’aube de sa carrière, dans les années 70 et 80. Ces récits ne sont en rien des fonds de tiroir, on n’en est pas encore là… À cette époque, Martin n’était pas la star qu’il est devenu depuis, et bien que ses nouvelles fussent souvent remarquables, elles n’étaient pas une garantie de succès commercial. Certaines connurent l’heur d’une traduction, d’autres non.

Les quatre nouvelles centrales sont honnêtes, mais en rien transcendantes : on reste assez loin de ce que Martin produisit de meilleur. « Et la mort est son héritage » met en scène l’effet contre-productif de l’assassinat politique (ou de l’attentat) par la génération d’un martyr fasciste. « Week-end en zone de guerre » nous fait assister de l’intérieur à une métamorphose pas moins hideuse que celle de Kafka ; on assiste à la volte-face psychologique du personnage qui, en peu de temps, passe de l’autre côté du cheval. Il est clair, à travers ces deux textes, que les problématiques sociales ou politiques ne sont pas la tasse de thé de Martin : il s’avère bien plus à l’aise et efficace dans des problématiques exclusivement centrées sur l’humain.

« Une affaire périphérique » est un petit space-opera sympathique, mais dont on ne saurait soutenir qu’il a révolutionné le genre ; c’est surtout un jeu triangulaire entre les divers personnages. « Vaisseau de Guerre » est incontestablement la nouvelle la plus anecdotique du recueil, mais on y trouve en germe deux de ses romans : Le Volcryn et Les Voyages de Haviland Tuff.

Martin conte deux fois la même histoire, dans « La Forteresse » et « Assiégés » : la reddition aux Russes, sans combat, en 1808, de la forteresse de Sveaborg défendant Helsinki, et le rôle ambigu joué par les nationalistes finlandais préférant en la circonstance l’ennemi russe à l’allié contraint suédois. La première version est un texte historique que Martin rendit comme travail de fin d’année en école de journalisme. « Assiégés » raconte exactement les mêmes événements, mais sous la forme d’un récit de science-fiction. Le rapprochement des deux textes crée une synergie remarquable et procure une excellente occasion de montrer ce qu’est la SF.

« Variantes douteuses » est le plus long et le meilleur texte du volume, un récit nourri de la passion de l’auteur pour les échecs, une histoire qui, avec « Assiégés », justifie le titre du recueil (et sans doute son achat). À l’origine de l’intrigue, une partie d’échecs en tournoi où des outsiders faillirent bien créer l’exploit. Un joueur bon mais timoré se retrouve en position de gagner face à un adversaire réputé plus fort, mais il bat en retraite au lieu de jouer un coup évident pour pousser son avantage, puis finit par perdre. Pour ses équipiers, il est clair « qu’il n’a pas eu les couilles » de gagner. Il va dès lors traîner sa défaite comme un boulet faisant de lui un homme aigri et revanchard… La SF va bien sûr s’inviter dans le texte, et si la fin de la nouvelle est peut-être un brin faible, l’essentiel est bien dans les rapports entre les personnages. Dire que Martin est brillant dans l’exercice relève du pur euphémisme…

Bref, si ce recueil n’est pas le meilleur de George R. R. Martin, la plupart s’en satisferont largement.

La Voie de la colère

Dun Cadal, ancien général de l’Empire déchu, fait profil bas dans une cité cosmopolite pour échapper aux purges orchestrées par la nouvelle république, ruminant ses erreurs et sa gloire passée en se détruisant méthodiquement les neurones au gros rouge qui tache. Jusqu’à ce qu’une jeune historienne républicaine à la recherche de l’épée impériale, symbole de l’ancienne dynastie, que Cadal aurait cachée après avoir fui le palais impérial en ruine lors de l’attaque finale des révolutionnaires, le perce à jour. Notre héros, fatigué et amer, accepte alors malgré lui de raconter son histoire, qui se confond avec la chute annoncée d’un empire décadent qu’il aura défendu jusqu’au bout. Acteur de premier ordre de l’agonie relativement rapide de la dictature dont il reconnaît les torts, il n’en reste pas moins fidèle à son serment et défend encore ses actions, ultime coquetterie d’un vieillard aigri…

Ce qui débute comme un remake nouveau siècle du « Loup de Deb » de Nicolas Jarry se transforme rapidement en une magnifique aventure fantastique à l’intrigue d’une rare intelligence. L’auteur nous balade avec une maîtrise étonnante, surtout pour un premier roman, dans une épopée ébouriffante où les surprises et les rebondissements sont non seulement crédibles, mais qui plus est parfaitement imprévisibles.

Rien ni personne n’est ce qu’il semble être, si ce n’est, peut-être, le vieux général, manipulé, usé et abusé par tous les partis en présence et qui maintiendra son honneur et sa naïveté tout au long du récit.

Les combats sont homériques, les héros surpuissants sans être invincibles, et les batailles de masse alternent avec les échauffourées à la Dumas.

Un livre que l’on ne lâche plus tant on veut savoir absolument les tenants et les aboutissants de ce drame qui est tout sauf manichéen. Une fois refermé, on reprend son souffle en regrettant d’abord l’absence de fin manifeste, puis, au bout de quelques minutes, en exultant à l’idée d’une suite, voire de plusieurs.

Un auteur est né, et si ce qui est à venir s’avère du même niveau, une grande fresque de fantasy vient de débuter.

Précisons enfin que contrairement à ce que pourrait laisser penser le prix de vente assez salé de ce roman, il n’en a pas moins été écrit en français. Le style s’avère du coup beaucoup plus fluide que nombre de traductions, a fortiori celles de Bragelonne, qui ne nous a que trop habitué à des massacres à la Google Translate effectués par des stagiaires fans de rap et parlant couramment le SMS.

Talulla

L’année dernière, peu de temps après les fêtes, paraissait Le Dernier loup-garou, roman séminal, dans toutes les acceptions du terme, où Glen Duncan se livrait à une interprétation personnelle du mythe de la lycanthropie, impulsant à ce lieu commun du fantastique une forte dose d’ironie et de sexe. À l’époque, on avait beaucoup apprécié le résultat, mais le dénouement en forme de cliffhanger nous avait laissé quelque peu sur notre faim. Avec ce deuxième titre, on reprend presque les mêmes, et on recommence…

Jake étant mort, il revient à Talulla d’assurer la survie de l’espèce, une tâche pour laquelle elle ne manifeste dans l’absolu guère d’intérêt. Enceinte jusqu’aux crocs, elle porte l’enfant de Jake et l’avenir du genre lupin dans son ventre. Une bien sombre perspective aux yeux des chasseurs les plus fanatiques de l’Organisation Mondiale pour la Prédation des Phénomènes Occultes. Réfugiée en Alaska, en compagnie de son familier Cloquet, elle espère y donner jour à son enfant dans la clandestinité. Las, les menaces viennent frapper à sa porte. À l’OMPPO et aux cinquante familles, vampires imbus de leur pouvoir et de leur richesse, s’ajoute désormais une secte attendant la venue d’un messie vampirique. Bien sûr, il ne manque plus à ses membres qu’un loup-garou à sacrifier pour exaucer leur rêve de vie éternelle sous le soleil. Faute d’adultes, ils se contenteront de la progéniture lupine de Talulla.

Avec ce deuxième épisode de sa saga fantastique, Glen Duncan recycle les recettes éprouvées de son précédent roman, optant juste pour un nouveau point de vue. La survie de Talulla et de sa descendance devient ainsi l’enjeu central, et même si la pulsion du lukos, le baisetuemange lunatique, domine Talulla, l’amour, sous toutes ses déclinaisons, semble le véritable moteur de l’intrigue. Jake était le grand ancien, philosophe désabusé, volontiers cynique, s’apercevant au dernier moment qu’il avait un cœur et des raisons de vivre. Talulla apparaît comme une novice, découvrant dans le feu de l’action sa nature bestiale et la maternité. À bien des égards, elle manifeste beaucoup plus d’empathie, bien qu’elle s’en défende, envers le genre humain. Une faiblesse dont elle découvre l’étendue au contact de ses proches, de sa progéniture et même de l’ennemi ancestral, le vampire. Débarrassée du virus empêchant la transmission de la Malédiction, elle explore de nouvelles voies pour recréer une meute, tentant d’établir un modus vivendi avec sa nature bestiale.

À l’instar du Dernier loup-garou, Glen Duncan déroule une intrigue linéaire émaillée de révélations et de coups de théâtre. À un rythme apte à achever un sénateur, il entremêle de longues séquences d’introspection, teintée de doute, de réflexions sur la maternité, l’amour et la bestialité, avec des scènes d’action où il ne nous épargne rien des démembrements, éviscérations et autres décapitations perpétrés par Tallula et sa meute. Chemin faisant, l’auteur lorgne sans vergogne du côté du thriller. Sur ce point, il faut avouer qu’il se montre efficace, nous conviant à un véritable festival digne du cinéma de genre, où abondent transfuges, organisations secrètes et grands méchants dans la plus pure tradition du stéréotype.

Bref, même si tout ceci ne prête guère à conséquence, on se situe toujours dans le haut du panier en matière de divertissement. Alors pourquoi se priver d’un plaisir régressif ? Rendez-vous donc l’année prochaine pour le troisième volet, By Blood We Live. On en jubile à l’avance…

Le Soleil liquide

On connaît le goût des Moutons électriques pour les textes anciens. Le genre d’œuvres propre à émouvoir l’amateur d’antiquités chinées sur un bout de trottoir. En créant la collection « Le Rayon vert », l’éditeur lyonnais a choisi de se faire plaisir, ne cachant pas sa volonté de rendre à nouveau disponible quelques classiques de la littérature populaire. Des titres voués à prendre la poussière dans le grenier au lieu de trouver place sur les étalages des librairies. Des auteurs auxquels l’éditeur apporte toute son attention, leur offrant l’écrin d’une collection soignée. Bref, des beaux objets, accompagnés de préfaces et de bibliographies bien utiles au néophyte. Avec Le Soleil liquide, l’éditeur s’est adressé à Viktoriya et Patrice Lajoye (à moins que ce ne soit l’inverse), deux spécialistes de littérature populaire russe responsables des révisions de traduction des frères Strougatski chez « Lune d’encre », et pouvant s’enorgueillir d’autres projets, notamment chez Mnémos et Rivière blanche. Autant dire tout de suite que l’on n’est pas déçu un instant par la sélection des anthologistes où les inédits flirtent avec quelques rééditions.

En dépit d’un nombre déplorable de coquilles, le recueil se révèle très agréable à lire. Un charme suranné imprègne les pages de l’ouvrage, du genre à refléter son époque sans en accuser l’âge. Le ton satirique de l’auteur russe n’est sans doute pas étranger à ce fait. Il fait merveille dans les nouvelles au style plus réaliste comme « Le Foudre » ou « Une mission officieuse », mais il n’est pas négligeable dans les contes et textes ressortissant à un merveilleux-scientifique que n’aurait pas renié Maurice Renard. Si la comparaison avec Maupassant ne paraît pas abusée, à la différence de l’auteur français, le Russe ne craint pas de s’aventurer dans le domaine de la conjecture scientifique. « La Justice mécanique », mais surtout « Le Soleil liquide » s’imposent ainsi comme des récits dignes de figurer parmi les meilleurs précurseurs du genre. Alexandre Kouprine y affiche une clairvoyance admirable, un peu à contre-courant de l’époque, sur la notion de progrès scientifique, démontrant par la fiction qu’il s’agit d’un processus trop aléatoire entre les mains de l’homme. À ses yeux, le plus grand Bien de tous masque trop souvent des visées entachées par la bassesse. L’humanité n’est définitivement pas à la hauteur de ses inventions.

Observateur désenchanté de son siècle et des bouleversements de sa patrie natale dont il s’est exilé, Kouprine n’est pas dupe des promesses d’utopie. La nouvelle « Le Toast » décrit la fin de l’Histoire à l’ombre du bonheur mondial. Une euphorie très vite teintée d’ennui. Il réserve toutefois ses plus vives critiques à l’aristocratie et aux bolchéviques. Dans « Le Parc royal », il imagine une sorte de zoo où seraient parqués, comme des curiosités, les derniers souverains, princes et autres fins de race. Ecrit sur un mode touchant, non dépourvu d’ironie, la nouvelle fait mouche. De son côté, « Le Paradis » se présente comme un fragment de manuscrit écrit par un journaliste amené à enquêter sur le territoire de la Commune de toute la Russie. On y découvre un univers carcéral où tout objet de différenciation — apparence, langage, identité, vêtement — est impitoyablement effacé. Cette vision de l’égalité poussée à l’extrême fait d’autant plus froid dans le dos qu’elle préfigure le goulag. Si les six autres nouvelles du recueil n’atteignent pas toutes l’excellence, certaines pouvant même paraître anecdotiques, elles n’en demeurent pas moins émouvantes ou grinçantes, en particulier « Le Baiser oublié », qui a su caresser par sa justesse et sa simplicité la fibre sensible du chroniqueur.

Une dernière fois, saluons le travail d’exhumation de Viktoriya et Patrice Lajoye, car même s’il n’est totalement inconnu dans nos contrées, Alexandre Kouprine (1870-1938) mérite bien ce rappel. Espérons que Le Soleil liquide ouvrira la voie à d’autres (re)découvertes, récompensant ainsi les efforts des deux anthologistes.

Pur

Signe de la porosité des genres, la « Série noire » de Gallimard accueille des romans flirtant très légèrement avec l’anticipation. Des titres où le noir se mélange au penchant dystopique de la science-fiction. Thierry Di Rollo (Préparer l’enfer) et Jérôme Leroy (Le Bloc) ont ainsi apporté leur sensibilité à cette tendance où les cauchemars de l’avenir prennent leurs racines dans les dérives du présent. Pur d’Antoine Chainas semble creuser le même sillon. L’auteur français se focalise sur l’apartheid racial et socio-spatial dont les prémisses se lisent déjà dans le paysage urbain de notre république. Il choisit de pousser le curseur un peu plus loin dans le rouge, projetant l’intrigue de son roman à une époque indéterminée. Un avenir ne disant pas sa date, où aucun lieu ne livre son nom, où aucun personnage public ne révèle son identité.

Le synopsis de Pur a le mérite de la simplicité. Patrick Martin a perdu sa femme dans un accident dont les circonstances restent floues dans sa mémoire. Pour tout dire, il ne se rappelle plus pourquoi son véhicule a effectué une sortie de route, terminant sa course par quelques tonneaux fatals à son épouse. Peu à peu, des souvenirs émergent. D’abord celui d’une Mercedes qui le double. Puis, deux Arabes le menaçant d’une arme. Ces éléments dont il comble les vides le poussent au ressentiment et bientôt à la vengeance. Une pulsion attisée par sa belle-famille et le lieutenant Camilieri, adjoint du capitaine Durantal, en charge de l’enquête. Tous l’incitent à se faire justice, lui, le Blanc sans histoire dans toute l’acception du terme. Lui, le CSP+ au parcours exemplaire. Lui, le gendre idéal, dont les talents en sémiologie font merveille pour écarter les indésirables, du genre maghrébin ou Noir, des résidences fermées pour riches, sans prêter le flanc aux accusations de discrimination.

En lisant Pur, on ne peut faire l’impasse sur J. G. Ballard. Tout nous y invite. Le thème d’abord, auscultation clinique de la société et de ses névroses. Difficile de ne pas y voir un des sujets de prédilection de l’auteur britannique, du moins dans ses derniers romans. Le propos moraliste ensuite, détaché de tout affect et de toute empathie. L’écriture chirurgicale, empruntant son vocabulaire au domaine médical. Le cadre enfin, celui d’une Gated Community et de son environnement proche, un paysage n’étant pas sans rappeler celui de Sauvagerie (auparavant titré Le Massacre de Pangbourne) ou de Super-Cannes. Tous ces éléments concourent à malmener le lecteur, à instiller le malaise, en lui renvoyant en pleine face ce qu’il ne veut pas voir. L’échec du modèle d’intégration voulu par la République, englouti par la dynamique de la mondialisation. Prophétie auto-réalisatrice ? Hélas non, puisque la vision de Chainas existe déjà, née des décombres de la politique de la ville.

Mais voilà, l’auteur français ne s’empare pas de son sujet. Il hésite entre l’étude au scalpel d’une Gated Community, avec ses secrets et ses déviances, et un récit de politique-fiction, oubliant au passage son jusqu’auboutisme, tant apprécié dans ses précédents romans. Ici, le trouble se trouve désamorcé par une intrigue convenue, plombée par les poncifs et quelques personnages secondaires caricaturaux, le tout débouchant sur un épilogue bâclé.

Bref, avec Pur, Antoine Chainas suit les pas de J. G. Ballard. Malheureusement, il le fait en étant chaussé deux pointures en dessous de l’oracle de Shepperton. On a envie d’adhérer à son propos… Las, au final, on passe. Recommandons à tout hasard aux éventuels curieux ses précédents romans, autrement plus dérangeants, en particulier Une histoire d’amour radioactive (« Folio Policier »).

Guinevere

En 1998 paraissait Le Crépuscule des elfes, premier volume d’une trilogie héroïque et âpre, puisant son inspiration dans le légendaire brittonique. Avec ce roman, Jean-Louis Fetjaine réussissait un coup de maître : revisiter de très anciens motifs en leur insufflant une noirceur et une modernité assez enthousiasmante. Quelques années plus tard, le cycle s’achève avec Guinevere, et même si entre-temps trois livres moins convaincants sont venus s’ajouter à la trilogie initiale, formant une manière de chronique, l’auteur semble renouer ici avec le meilleur de son écriture.

Adonc, Uther est mort. L’union des peuples de la féerie et des hommes a vécu. Les nains ont disparu, engloutis dans les ruines de leurs cités. Les elfes ont opté quant à eux pour le passage dans l’autre monde, rejoignant les îles enchantées. Et, si les hordes de Celui-qui-ne-peut-être-nommé ont été vaincues, le monde de concorde voulu par Merlin, l’enfant du diable, ne peut plus être restauré.

Sur le champ de bataille, seuls demeurent les hommes. Installés sur des arpents de terre arrachés à la forêt d’Eliande, ils prolifèrent comme un chiendent, encadrés par des seigneurs jaloux et des prêtres superstitieux. Même Arthur semble fatigué. L’héritier d’Uther, le souverain choisi, est usé par les batailles menées pour s’imposer contre les barons félons, contre sa demi-sœur Mor-gause, épouse du roi d’Orcanie, sans oublier Meleagant. Tous lorgnent la couronne de Logres, attendant un faux-pas du roi, quitte à comploter dans l’ombre sa chute. Aussi ne voient-ils pas d’un bon œil le mariage d’Arthur avec Guinevere. Une union qui pourrait lui assurer la descendance lui faisant défaut jusque-là.

Pour les amateurs de la Matière de Bretagne, le doute n’est pas permis. Guinevere puise sa substance dans le corpus des romans arthuriens, en particulier dans La Mort le roi Artu, dernier épisode de la vulgate, plus connue sous le nom de cycle du « Lancelot-Graal » (on renverra les curieux à l’original, paru en poche dans l’excellente collection « Lettres gothiques »). Jean-Louis Fetjaine en emprunte sans vergogne tous les motifs : l’effondrement du pilier familial, miné par le mensonge, l’inceste et l’adultère, la rupture des liens d’amitié et de fidélité, facilitée grandement par les complots et trahisons. Il en reprend aussi tous les éléments du décorum : motte castrale, idéal chevaleresque, paysannerie soumise, recouvrant la patine de la légende avec une bonne pelletée de sang, d’entrailles et de boue. Il en garde enfin les personnages principaux. Lanc-lot, Arthur, Mordred, Morgause, Merlin, aucun ne manque. L’auteur leur confère juste davantage de substance pour leur permettre d’exister.

Cependant, Jean-Louis Fetjaine ne se contente pas d’écrire une énième variation de l’œuvre médiévale. Il procède à rebours, dépouillant le texte de ses oripeaux chrétiens, plaqués par des clercs empressés à christianiser le récit pour imposer une senefiance plus conforme à la religion dominante. Dans cet univers impitoyable, n’étant pas sans rappeler les intrigues du « Trône de Fer » de George R. R. Martin, l’auteur français confère à Guinevere un rôle décisif, unissant la figure folklorique de la dame blanche à l’univers arthurien, et apporte ainsi un point final des plus dramatique, bien qu’attendu, à sa réinterprétation de la Matière de Bretagne.

Le Crépuscule des chimères

[Critique commune à Le Crépuscule des chimères et Cosmos Factory.]

Il faut remonter à l’année 2002 pour goûter à la précédente version du Crépuscule des chimères. Dans un univers anamorphique voisin, le roman est paru dans la défunte collection « Imagine » chez Flammarion. En démiurge accompli, en maître des mots, Jacques Barbéri surfe sur les chronovagues, défiant les marées quantiques, pour repêcher ce titre antédiluvien et lui adjoindre un second volet, faisant de l’ensemble un diptyque aussi revigorant qu’un double scotch-benzédrine. Avertissement au lecteur : ça va tanguer dans la Structure.

Vous qui entrez dans l’universcule de Jacques Barbéri, abandonnez tout espoir. À l’instar de Dante, mais en beaucoup plus fun et déjanté, l’auteur français accouche d’une œuvre monstre. Un hybride littéraire peuplé de chimères au génome encodé dans des séquences empruntées aux règnes animal et végétal. De dangereuses visions où la métaphysique se mêle à la science selon une alchimie dont l’auteur maîtrise les arcanes. Un toboggan en forme de double hélice, celle d’un ADN nourri aux littératures populaires. Un melting-pot d’influences diverses, d’auteurs cultes, de thématiques transcendantales, mais aussi plus prosaïques, innerve le diptyque de Jacques Barbéri. Sans céder au name-dropping, difficile de ne pas relever en vrac les allusions, emprunts, clins d’œil à Philip José Farmer, Fritz Leiber, Alfred E. van Vogt, Michael Moorcock, H. P. Lovecraft, Philip K. Dick, Jules Verne, Lewis Carroll et bien d’autres… Jacques Barbéri n’est en effet pas avare en la matière. Il rend hommage à tous ces créateurs dont les univers déclinent une arborescence des possibles vertigineuse. Pourtant, loin de se contenter d’en recycler la substance, il en flocule l’existence livresque, pliant le Verbe à sa volonté pour habiller la Structure de son propre universcule d’une profusion de trouvailles langagières, de mots-valises et d’images sidérantes.

Résumer Le Crépuscule des chimères et Cosmos Factory ne rend pas justice à l’œuvre elle-même. L’acte contribue à intercaler le filtre de sa propre perception au propos de l’auteur. Optons plutôt pour le lâcher-prise. Plongeons en narcose, celle provoquée par l’ivresse des images contre-nature, celle suscitée par les concepts, les mots et les archétypes. Affrontons les légions d’Epeire/Daren, seigneur de la guerre, alliées aux créatures impies peuplant le delta de la rivière Miskatonic, à deux pas de la station balnéaire de Stellavista. Ou alors, livrons-nous avec Anjel, son jumeau bénéfique, à une étude en coupe de cet anamorphovers malade, en proie aux tiraillements de ses multiples dieux. Accomplissons une quête essentielle : celle de l’origine du monde. Non pas le tableau de Gustave Courbet, quoique… À moins qu’un séjour dans la torpeur de Kingsport, au bord d’une piscine, en accorte compagnie, ne nous convienne davantage. Une juste récompense pour oublier toutes ces créatures gluantes, aux tentacules et becs meurtriers, qui hantent le delta, annonçant le retour imminent de Yog Sothoth.

Bref, Jacques Barbéri bâtit un diptyque apparemment foutraque mais cohérent de bout en bout. Son propre monde, son volvox, de l’autre côté du miroir, à la charnière du monde réel et de son imagination. Mais de toute façon, qu’est-ce que la réalité ? Une floculation de la Structure déclenchée par l’activation d’un point de modulation perceptif ? Ou un ensemble de théories reposant sur un consensus déterminé scientifiquement ? Avec tout le respect dû à la science, que l’on nous permette de préférer la méthode Barbéri. Une méthode, certes en roue libre, mais diablement jouissive.

Cosmos Factory

[Critique commune à Le Crépuscule des chimères et Cosmos Factory.]

Il faut remonter à l’année 2002 pour goûter à la précédente version du Crépuscule des chimères. Dans un univers anamorphique voisin, le roman est paru dans la défunte collection « Imagine » chez Flammarion. En démiurge accompli, en maître des mots, Jacques Barbéri surfe sur les chronovagues, défiant les marées quantiques, pour repêcher ce titre antédiluvien et lui adjoindre un second volet, faisant de l’ensemble un diptyque aussi revigorant qu’un double scotch-benzédrine. Avertissement au lecteur : ça va tanguer dans la Structure.

Vous qui entrez dans l’universcule de Jacques Barbéri, abandonnez tout espoir. À l’instar de Dante, mais en beaucoup plus fun et déjanté, l’auteur français accouche d’une œuvre monstre. Un hybride littéraire peuplé de chimères au génome encodé dans des séquences empruntées aux règnes animal et végétal. De dangereuses visions où la métaphysique se mêle à la science selon une alchimie dont l’auteur maîtrise les arcanes. Un toboggan en forme de double hélice, celle d’un ADN nourri aux littératures populaires. Un melting-pot d’influences diverses, d’auteurs cultes, de thématiques transcendantales, mais aussi plus prosaïques, innerve le diptyque de Jacques Barbéri. Sans céder au name-dropping, difficile de ne pas relever en vrac les allusions, emprunts, clins d’œil à Philip José Farmer, Fritz Leiber, Alfred E. van Vogt, Michael Moorcock, H. P. Lovecraft, Philip K. Dick, Jules Verne, Lewis Carroll et bien d’autres… Jacques Barbéri n’est en effet pas avare en la matière. Il rend hommage à tous ces créateurs dont les univers déclinent une arborescence des possibles vertigineuse. Pourtant, loin de se contenter d’en recycler la substance, il en flocule l’existence livresque, pliant le Verbe à sa volonté pour habiller la Structure de son propre universcule d’une profusion de trouvailles langagières, de mots-valises et d’images sidérantes.

Résumer Le Crépuscule des chimères et Cosmos Factory ne rend pas justice à l’œuvre elle-même. L’acte contribue à intercaler le filtre de sa propre perception au propos de l’auteur. Optons plutôt pour le lâcher-prise. Plongeons en narcose, celle provoquée par l’ivresse des images contre-nature, celle suscitée par les concepts, les mots et les archétypes. Affrontons les légions d’Epeire/Daren, seigneur de la guerre, alliées aux créatures impies peuplant le delta de la rivière Miskatonic, à deux pas de la station balnéaire de Stellavista. Ou alors, livrons-nous avec Anjel, son jumeau bénéfique, à une étude en coupe de cet anamorphovers malade, en proie aux tiraillements de ses multiples dieux. Accomplissons une quête essentielle : celle de l’origine du monde. Non pas le tableau de Gustave Courbet, quoique… À moins qu’un séjour dans la torpeur de Kingsport, au bord d’une piscine, en accorte compagnie, ne nous convienne davantage. Une juste récompense pour oublier toutes ces créatures gluantes, aux tentacules et becs meurtriers, qui hantent le delta, annonçant le retour imminent de Yog Sothoth.

Bref, Jacques Barbéri bâtit un diptyque apparemment foutraque mais cohérent de bout en bout. Son propre monde, son volvox, de l’autre côté du miroir, à la charnière du monde réel et de son imagination. Mais de toute façon, qu’est-ce que la réalité ? Une floculation de la Structure déclenchée par l’activation d’un point de modulation perceptif ? Ou un ensemble de théories reposant sur un consensus déterminé scientifiquement ? Avec tout le respect dû à la science, que l’on nous permette de préférer la méthode Barbéri. Une méthode, certes en roue libre, mais diablement jouissive.

La Révolte d'Albi

2056. Les grandes entreprises françaises du BTP gagnent le juteux marché de la reconstruction d’Alexandrie, partiellement détruite lors de l’effondrement du mur d’Aboukir, digue gigantesque élevée au XIXe siècle et qui n’aura pas résisté à l’élévation du niveau des mers. Cerise sur le gâteau, on reconstruira même le phare d’Alexandrie comme symbole de la renaissance de la ville meurtrie. En contrepartie, la France accueille quelques centaines de milliers de réfugiés égyptiens sur son sol. Accueil très temporaire, car il est acquis que, sitôt la reconstruction terminée, d’ici trois à cinq ans, les réfugiés devront rentrer chez eux. Le voudront-ils ? Les y forcera-t-on ?

Quatre personnages tentent de faire entrer le lecteur dans cette histoire. En vain, car d’histoire, au sens de progression narrative un tant soit peu intéressante, il n’y en a pas.

L’auteur décrit les destins de Renaud, anarchiste forcené en paroles mais velléitaire en actes, qui anime la radio libre d’Albi, Ahmed, conteur égyptien réfugié à Albi et révolté par les injustices faites à ses compatriotes, Robinson, fils de Renaud et ingénieur expatrié sur le chantier du Phare, et enfin Fathi, Berbère parti chercher sa voie dans la grande ville puis retourné dans son village pour y poursuivre le rêve, brisé à Alexandrie, d’une Commune réalisée. Pourquoi pas ?

Mais ce qui pêche, c’est le récit. Ahmed part pour la France, il arrive à Albi où il rencontre Renaud qui va faire de lui un intervenant régulier de ses émissions. Puis il participe à un mouvement de protestation contre le retour forcé des réfugiés, trahis par un gouvernement français en mal de contrôle. Robinson reconstruit le phare sans grand enthousiasme puis rentre en France, où il assiste à la conclusion du mouvement. Fathi part pour Alexandrie, y intègre une Commune lovée dans les ruines de la ville, puis, après la destruction de celle-ci par la police égyptienne, rentre dans son oasis pour en organiser une autre, qui finit par connaître le même destin. C’est peu car tout ceci est rapide, survolé, dépourvu d’affect émouvant ou de progression dramatique véritable. Trois ans entre le début et la fin du roman, sans rien entre les deux. Les évènements se succèdent sans qu’on y voie tension ni construction et servent surtout de prétexte à placer, comme pour s’en pourlécher, des marqueurs de l’anarchisme ou de la gauche progressiste. Le lecteur aura donc l’occasion de voir une France où la révolte de 2029 a imposé le revenu universel, des flics génériques bêtes et brutaux et des militaires génériques qui ne le sont pas moins, un gouvernement français, menteur, comme de juste, utilisant à bien mauvais escient une découverte scientifique dans le but de surveiller les individus, une population indifférente, des immeubles nommés Ravachol ou Bakounine au sein d’une Commune autogérée dans laquelle chacun donne selon ses moyens et reçoit selon ses besoins, l’éducation des enfants décrite comme « fascisme, dictature du parti unique ». Et j’en passe.

Finalement, le roman pose une seule question intéressante. Une communauté anarchiste peut-elle échapper à la loi d’airain de l’oligarchie ? La réponse de Mamier n’est pas optimiste.

À éviter. Mieux vaut lire un tract.

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