L'Épée des cinquante ans
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Imaginez…
Vous êtes à une fête qui honore une personne que vous ne supportez pas, mais vous avez voulu faire plaisir à votre sœur jumelle, parce que vous êtes faible et que vous ne savez pas dire non (elle a insisté pour que vous vous y rendiez et vous n’arrivez toujours pas à comprendre pourquoi, vu qu’elle-même n’est pas là…). Cinq orphelins accompagnés de leur assistante sociale vous distraient, mais l’envie de partir vous tiraille de plus en plus. L’expectative d’une surprise annoncée vous empêche cependant de quitter l’endroit. Malheureusement, celle-ci est retardée par le temps glacial et la route glissante. Quand soudain, la porte s’ouvre et un homme au cœur sombre entre dans la maison, s’installe avec une boîte devant lui et se met à raconter son histoire. Vous oubliez tout et vous vous perdez avec lui dans les méandres de la Vallée de Sel et de la Forêt des Notes Filantes à la recherche de l’Homme Sans Bras. Jusqu’à ce que…
L’Epée des cinquante ans n’est pas un roman. C’est un conte qui nous est transmis sous la forme d’un album aux illustrations brodées. Ce que sa couverture sobre, d’un orange que l’on pourrait presque qualifier de rebutant, ne laisse d’ailleurs pas deviner. On pourrait même la qualifier de premier frein à même de dissuader quiconque de découvrir les merveilles enfermées dans ce livre. Or, cet obstacle n’est pas le seul… Car dès le début de la lecture, nous voici en plus avisés de la mise en place d’un système narratif qu’il nous faudra décoder : des guillemets colorés permettent de reconnaître différents narrateurs sans que ceux-ci ne soient pour autant identifiés. Et nous voilà à nous demander quel système abscons Mark Z. Danielewski a encore bien pu mettre en place. C’est que l’auteur n’en est pas à son premier essai, et qu’il nous a déjà montré son amour pour les récits déstructurés aux phrases baladeuses demandant la participation du lecteur dans le superbe La Maison des feuilles et dans le moins bien accueilli Ô Révolution.
Histoire de tester notre patience, L’Epée des cinquante ans nous demande de surcroît de passer une dernière « épreuve » avant d’accéder à son essence. En effet, si le procédé des guillemets colorés est déstabilisant, l’introduction, plutôt aride — voire agaçante —, l’est encore plus. Il faudra quelques pages pour comprendre le contexte et saisir l’intérêt de la scission des phrases et de l’utilisation abondante de néologismes (il convient ici de féliciter Héloïse Esquié, qui a fait un superbe travail de traduction).
Page 66 (quand l’introduction prend fin), le vrai conte débute et le lecteur va d’émerveillement en émerveillement. Les broderies, qui pouvaient sembler uniquement décoratives auparavant, renforcent l’impression d’immersion dans l’histoire, et nous permettent de vivre plus intensément ce récit de quête et de vengeance qui se terminera de manière trouble. Il faut malgré tout souligner le fait que cette histoire ne plaira pas à tout le monde. Non parce qu’elle demande une certaine concentration ou des connaissances particulières, mais plutôt parce que sa nature revendiquée de conte pourra rebuter ceux qui ne sont plus habitués à pareil genre narratif. C’est que L’Epée des cinquante ans est un texte qui s’inscrit dans une tradition orale, exigeant presque une lecture à voix haute pour accompagner la découverte des images, exercice auquel tout le monde n’est pas forcément enclin à se prêter. En conclusion : un livre à conseiller avant tout à ceux que la formule magique « Il était une fois » fait encore rêver…