L'Art de la guerre
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[Critique commune à Fils du ciel, Lever du jour sur la montagne de fer, L'Empire du milieu, La Glace et le feu et L'Art de la guerre.]
Zhongguo. La Chine. Vaste pays qui fascine et effraie à la fois, y compris de nos jours. À juste titre, si l’on doit croire David Wingrove. Car en cette fin de XXIe siècle, le monde va connaître un bouleversement terrifiant. Sous la conduite de Zao Chun, un haut dignitaire, la Chine lance une attaque imparable contre le monde occidental. Premières visées, les bourses, centres névralgiques où tout se décide. L’assassinat du président des Etats-Unis d’Amérique et l’effondrement des marchés financiers sont le début d’une mécanique précise à l’efficacité redoutable. En quelques mois, l’Europe retourne au Moyen Age. En Angleterre, les gens vivent tant bien que mal dans des communautés refermées sur elles-mêmes. Sans nouvelle des autres pays. Mais tandis que les survivants reconstruisent patiemment un semblant de civilisation, l’ennemi approche. Son but : unifier le monde en une gigantesque cité construite de toutes pièces ; faire disparaître un passé de guerre et de divisions ; pacifier la planète. Mais à quel prix ?
Il est des œuvres portées par leur auteur envers et contre tout. Il est des histoires qui veulent exister jusqu’à leur dénouement. « Zhongguo » est de celles-là. David Wingrove est tenace. Cette série, qu’il défend depuis des années, a déjà été publiée dans les années 80. Mais devant le tassement des ventes, elle n’est pas vraiment arrivée au bout, l’auteur bricolant une fin, plutôt décevante, avant l’heure. Depuis 2011, grâce à un nouvel éditeur, l’aventure recommence. Et, ce qui n’avait pris « que » huit volets doit à présent s’épanouir en vingt romans dont l’architecture est déjà prévue, les titres annoncés.
Les deux premiers tomes, Fils du ciel et Lever du jour sur la montagne de fer, absents de la première mouture, racontent la transition entre notre monde et celui imaginé et voulu par Zao Chun. Les personnages, européens, nous servent de guide. En effet, proches de nous, ils sont la porte d’entrée d’une société codée selon des valeurs parfois bien éloignées des nôtres. C’est d’ailleurs un des problèmes de cette introduction. David Wingrove a voulu tenir par la main son lecteur, ne pas le plonger tout de suite dans un environnement résolument asiatique, aux règles inconnues, voire dérangeantes. Il a donc situé ces deux premiers romans en Angleterre, adoptant pour seul regard celui des Occidentaux victimes d’une attaque imprévue et cruelle. D’où une impression pour le lecteur que tout ce qui vient de l’Est est mauvais, les Chinois sont des monstres sans cœur, etc. Bref, une approche assez caricaturale. Une impression que la suite de la saga dissipe, et c’est tant mieux : dès L’Empire du milieu, traîtres et criminels se recrutent aussi bien chez les maîtres de la société que chez les Hongmao, les Occidentaux.
À partir de ce troisième tome, nous voilà donc sommes immergés dans les eaux troubles du pouvoir… Au XXIIe siècle, le monde est unifié. Tous les habitants (près de quarante milliards !) sont logés dans sept gigantesques cités. La paix semble régner. Mais les rancœurs et les jalousies sont à vif. Les Hongmao ruminent leur défaite et veulent renverser une société sclérosée où ils n’ont pas leur place. Et c’est parti pour des intrigues riches et parfois surprenantes, des complots, des haines, des passions et des trahisons. Tous les ingrédients d’une série nichée dans les hautes sphères sont déployés. Avec une érudition distillée sans ostentation, à bon escient, l’auteur révèle son univers par petites touches. Les personnages n’ont rien de coquilles vides : ils prennent corps, sont animés de sentiments puissants. David Wingrove est un artisan habile. Il connaît son affaire et sait multiplier les points de vue, les intrigues, les coups du sort pour donner du souffle à une saga qui en aura besoin (vingt volumes ! rappelons-le). Souhaitons-lui de trouver son public, d’aller au bout de son dénouement, de ne pas laisser, une fois encore, au bord de la route ceux qui auront cru en « Zhongguo ». Un pari que cette série mérite…