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Chansons de la Terre mourante T1

« La Terre mourante » est à n’en pas douter une des plus fascinantes créations de Jack Vance, qui nous a hélas quittés il y a peu. Ce Monde magique attendant l’apocalypse sous les éclats rubiconds d’un soleil en fin de vie fut en son temps arpenté par des personnages aussi brillants que Cugel l’Astucieux ou encore Rhialto le Merveilleux. Superbe univers de fantasy, sans doute parmi les plus marquants jamais créés, rivalisant à sa manière unique — et généralement très drôle — avec les plus belles productions de Tolkien, Howard, Leiber ou Moorcock, « La Terre mourante » a inspiré pléthore d’écrivains au fil des années. Ainsi, Gardner Dozois et George R. R. Martin, qui ont choisi de rendre hommage à l’œuvre et son auteur en convoquant pour ce faire la fine fleur de l’Imaginaire contemporain, y compris des auteurs franchement inattendus dans ce registre. En est résulté la monstrueuse anthologie Songs of the Dying Earth, sacré pavé dont ActuSF a entrepris, et c’est louable, la traduction… hélas en trois volumes passablement aérés qui risquent de faire mal au porte-monnaie. Mais ne boudons pas notre plaisir : c’est le sourire aux lèvres que l’on entame la lecture de cet hommage fort bienvenu, riche en textes remarquables ; si cette première partie est nécessairement inégale — quelle anthologie ne l’est pas ? —, la qualité est cependant bel et bien au rendez-vous, et l’amateur de Vance retrouvera ici cet univers merveilleux qu’il a en son temps découvert auprès du Maître lui-même, et quelques-uns de ses personnages feront même leur apparition au détour des pages.

Commençons par évoquer le meilleur, tant qu’à faire. Le volume, passées deux préfaces dispensables signées Dean Koontz et Jack Vance lui-même (notons au passage que chaque auteur livre également une postface à sa contribution, témoignant de l’enthousiasme suscité par l’univers de « La Terre mourante »), s’ouvre brillamment avec Robert Silverberg, qui nous narre avec talent l’histoire du « Cru véritable d’Erzuine Thale » : un poète décadent attend la fin, comme il se doit, en gardant dans ses réserves un breuvage divin, à même de l’inspirer pour un ultime poème en guise de couronnement de sa carrière ; ce qui ne va bien sûr pas sans susciter la convoitise… L’histoire est un brin convenue, mais la plume délicieuse, l’univers bien rendu et les personnages irréprochables. Une bien belle introduction. Autre réussite remarquable, « Abrizonde », de Walter Jon Williams, nous amène à côtoyer un jeune architecte plongé par le hasard de ses errances dans une guerre apparemment désespérée, mais la magie et les démons sont de la partie, et tout le monde ici a plus d’un tour dans son sac. Malgré une conclusion sans doute un brin abrupte, cette nouvelle enlevée et palpitante constitue à n’en pas douter un des grands moments de l’anthologie. Citons enfin, parmi les plus brillants participants à cette entreprise, un des anthologistes, George R. R. Martin himself. L’auteur du « Trône de fer » nous emmène passer « Une nuit au Chalet du Lac » (« célèbre pour ses anguilles siffleuses »), auberge pas très bien fréquentée. Les personnages hauts en couleurs et la plume adroite de Martin nous ramènent habilement aux meilleurs récits vanciens de « La Terre mourante ».

Deux nouvelles, pour être inférieures à ce beau trio de tête, sont néanmoins tout à fait agréables à la lecture : « La Porte Copse » de Terry Dowling ne manque ainsi pas d’humour, et joue avec malice des sortilèges les plus improbables (jusque dans leur désignation farfelue) employés par les magiciens si hautains de « La Terre mourante » ; un peu trop téléphoné, cependant, pour pleinement emporter l’adhésion, et ça ne fait pas toujours mouche. Le cas de Jeff VanderMeer est différent : l’auteur de l’excellente Cité des saints et des fous livre avec « La Dernière quête du mage Sarnod » une nouvelle tout à fait séduisante, à l’univers riche et original, mais peut-être est-elle, pour le coup, « trop originale » : on n’y retrouve pas tout à fait la flamboyance propre aux récits de Vance, malgré des emprunts non négligeables.

Les deux nouvelles restantes sont plus dispensables, sans être d’une lecture trop désagréable pour autant. Glen Cook, avec « Le Bon Magicien », livre un récit ambitieux mais un peu bancal, où la fine fleur des magiciens est convoquée pour faire face à une terrible menace ancestrale. Byron Tetrick se la joue un peu à la « Harry Potter » dans « L’Université de maugie », récit initiatique banal qui se conclut sur une assez regrettable faute de goût, l’auteur ayant succombé à une tentation trop énorme pour ses capacités.

Mais ces deux fausses notes n’enlèvent finalement pas grand-chose à la qualité tout à fait appréciable de ce premier volume des Chansons de la Terre mourante. L’hommage est dans l’ensemble fort réussi, et les amateurs de Vance ne seront pas déçus. Aussi a-t-on hâte de lire la suite, dont on peut espérer sans trop de risque d’erreur qu’elle sera également des plus enthousiasmantes.

D'autres royaumes

Si D’autres royaumes, publié originellement en 2011, n’est pas l’ultime roman du vétéran Richard Matheson, son édition en France quelques mois à peine avant sa mort lui confère quelque peu, par la force des choses, une allure de testament littéraire. Et on ne fera pas de mystère : c’est pour le moins regrettable. On n’y retrouve guère en effet le brillant auteur de, entre autres, Je suis une légende et L’Homme qui rétrécit. Et l’on fait régulièrement la grimace à la lecture de ce livre de trop, qui tient sans doute un peu de la catharsis, mais donne aussi (surtout ?) la fâcheuse impression que son auteur n’y croit pas — et, par voie de conséquence, le lecteur pas davantage.

Alexander White, plus connu sous le nom de plume d’Arthur Black, sous lequel il a commis des dizaines de romans d’horreur lamentables, a 82 ans. Né avec le siècle, il nous narre ici les étranges événements qu’il a connus quand il en avait 18, aux environs de la fin de la Première Guerre mondiale. Engagé dans les forces américaines pour faire bisquer son horrible paternel, Alex connaît l’horreur des tranchées. Et c’est sur le front qu’il fait la rencontre de Harold Lightfoot, un jeune soldat anglais. Les deux hommes se lient d’amitié, et, avant de décéder, Harold suggère à Alex de se rendre dans son village natal, Gatford, au nord de l’Angleterre.

Démobilisé en raison d’une grave blessure, Alex, qui ne tient pas à revoir son père à Brooklyn, obéit bientôt aux dernières volontés de son camarade. Il loue un cottage dans ce village qu’il trouve à première vue somptueux, mais la petite vie paisible qu’il entendait y mener est vite perturbée par d’étranges superstitions locales : on lui dit que la forêt avoisinante est le domaine des fays, du petit peuple, autrement dit, et qu’il ne faut surtout pas s’enfoncer dans les bois en quittant le chemin… Mais il fait aussi, lors d’une promenade, la rencontre de Magda, ravissante femme qui fait une mère de substitution idéale… mais qui a la réputation d’être une sorcière. Cartésien comme son horrible père, Alex ne croit guère à ces racontars. Il a tort, bien entendu…

Sur ces bases pour le moins stéréotypées, Richard Matheson tisse dès lors une intrigue cousue de fil blanc, ce qui n’exclut hélas pas quelques incohérences ou invraisemblances ; D’autres royaumes mêle le genre féerique classique, teinté d’horreur, avec le genre sentimental, se complaisant dans la description d’amours aussi ambiguës que pénibles. Tout ça sent le complexe d’Œdipe, pas qu’un peu… et ça ne convainc guère, laissant bien vite une amère impression en bouche.

Le problème essentiel de D’autres royaumes ne réside pourtant pas dans cette dimen-sion. Le roman est prévisible, peu crédible en même temps, pas très bien construit, affligé de personnages en carton-pâte, et donne, à tort ou à raison, l’impression d’avoir déjà été lu cent fois, en mieux. Certes. Mais le véritable drame est ailleurs : en effet, Richard Matheson semble s’y complaire dans le style laborieux d’un écrivain d’horreur gothique à dix balles. Exorcisme ? Peut-être… Mais c’est rapidement insupportable, notamment du fait des incessants appels au lecteur qui parsèment chaque page ou presque de ce roman imbuvable. Arthur Black intervient en effet régulièrement pour commenter ce qu’il écrit, jugeant telle phrase bonne, telle autre mauvaise, quand elles sont toutes affligeantes. Le lecteur est sempiternellement pris à témoin, et bien vite n’en peut plus.

On est très loin, ici, du grand Richard Matheson, conteur d’exception qui a su nous régaler à maintes reprises avec son astucieux sens du récit ; on n’y retrouve pas davantage la finesse dans la caractérisation de ses meilleures productions ; ne reste au final qu’une mauvaise parodie du genre, donnant l’impression que Richard Matheson se moque de lui-même, et par la même occasion du lecteur.

« Comment aurais-je pu écrire ce livre si ma cervelle baignait entièrement dans les eaux du gâtisme ? », demande Alexander White/Arthur Black à un moment ; le lecteur, ici, ne peut pas vraiment s’empêcher de faire la grimace… De même, plus loin : « Arthur Black me collerait d’office dans une maison de repos pour auteur en fin de carrière. » Douloureuse confession…

Disons-le, même si c’est difficile, voire cruel, du fait de la proximité du décès de Richard Matheson — on aimerait se montrer charitable, voir en D’autres royaumes un roman au pire médiocre —, mais le fait est que ce livre est calamiteux de bout en bout. La forme est atroce, le fond sonne creux. L’hommage plus ou moins déguisé ne séduit pas, et tourne à la parodie laborieuse. Livre sans intérêt, livre inutile, livre de trop, D’autres royaumes ne sert guère la mémoire d’un auteur que nous avons connu tellement brillant. Aussi vaut-il mieux s’abstenir de lire cette erreur de vieillesse, qui n’aurait probablement jamais dû être publiée.

Cthulhu fhatgn !

Le Bifrost n°73, à paraître en janvier 2014, sera consacré à H.P. Lovecraft ! Découvrez l'esquisse de Nicolas Fructus pour la couverture !

Demain le monde en précommande

Le recueil best-of de Jean-Pierre Andrevon, à paraître le 8 novembre, est désormais disponible à la précommande, en papier comme en numérique.

Et téléchargez dès aujourd'hui un extrait PDF gratuit contenant la préface de Richard Comballot et les premières pages de la nouvelle La Réserve.

Stark et les rois et des étoiles illustré

Le recueil de romans et de nouvelles signés Leigh Brackett, dont certains co-écrits avec Edmond Hamilton et Ray Bradbury, est à paraître le 25 novembre au Bélial'. Découvrez dès aujourd'hui la couverture signée Elian Black'mor.

Aujourd'hui le sommaire

Sur la fiche mise à jour de Demain le monde, découvrez la liste des 22 nouvelles figurant au sommaire et la quatrième de couverture du recueil !

Bifrost 72

Le Bifrost 72 est en approche ! Mise sous pli de 800 numéros de la revue, c'est fait !

7 questions à Yannick Rumpala

Après Aurélien Police et Thomas Day, c'est au tour de Yannick Rumpala, auteur de la postface à Sept secondes pour devenir un aigle, de répondre à nos questions sur le blog Bifrost !

Le Sang des 7 rois

Le Sang des 7 rois est le volet initial d’une saga de fantasy prévue en sept volumes. Un ambitieux projet pour un auteur dont c’est ici la première publication… et un pari qu’on affirmera d’emblée gagné tant, lorsqu’on ferme le présent roman, on ressent le besoin impérieux des bonnes grandes fresques auxquelles la fantasy nous a habitués : lire la suite.

Le Sang des 7 rois se déroule sur un continent unique, de niveau technique médiéval relativement avancé, découpé en sept royaumes se faisant la guerre aussi régulièrement que mollement. Le commerce existe, malgré une topographie rendant les déplacements malaisés et longs. Le féodalisme est universel et tous les habitants partagent le même style de vie et une langue identique, ne se différenciant que par le noble auquel ils se rapportent.

L’aventure commence dans un fief isolé dans les montagnes, quand deux enfants disparaissent mystérieusement, emportés par un véritable commando non violent ayant préparé son action depuis de longs mois et déployant une logistique apparemment disproportionnée au regard de leur butin : deux simples enfants de paysan.

Ce rapt est en fait le signal d’un bouleversement profond dans l’équilibre du monde et, de facto, le point de départ de la saga. Le sergent d’armes du fief est envoyé par son maître à la poursuite des kidnappeurs avec l’ordre bizarre de ne surtout pas les rattraper. Au cours de cette poursuite marathon, notre héros malgré lui va, à la grande surprise du lecteur, se transformer radicalement, découvrir les origines du monde, des complots universels, des manipulations à l’échelle du continent, sans oublier d’acquérir des pouvoirs surhumains et même… devenir roi.

Un résumé qui synthétise, pour le moins, les qualités centrales du livre : complexité de l’intrigue, profondeur du « background », rebondissements aussi étonnants que crédibles, et absence absolue de manichéisme. Ce dernier point confère d’ailleurs un aspect remarquablement adulte au monde, s’abstenant de le séparer en gentils et méchants, mais en le peuplant d’une foultitude de groupes et d’individus ayant avant tout des intérêts personnels, religieux ou nationaux.

La richesse de l’intrigue est renforcée par sa clarté ; à aucun moment le lecteur n’est perdu dans des généalogies sans fins, des noms de personnages aussi abscons qu’incompréhensibles, des conspirations à doubles tiroirs. Du coup l’immersion se fait sans effort, et on suit avec délectation les révélations que le héros a sur le monde, ce qui procure un plaisir de lecture indéniable.

Enfin, dernier élément positif, et pas des moindres : le niveau de langue. Ce roman ayant été écrit en français, aucune traduction n’est venue l’affadir ou en abaisser le niveau. Le lecteur francophone, habitué, voire perverti par la nullité des traductions de nombre d’ouvrages majeurs de fantasy, sera de fait étonné par cette langue claire, concise, au vocabulaire riche sans être précieux. Passé sa joie et sa surprise, il conspuera les traducteurs ayant massacrés, avec la complicité de leurs éditeurs, « Le Trône de fer », « L’Epée de vérité », sans oublier « Le Seigneur des anneaux », et regrettera qu’aucune pétition en ligne n’existe pour demander le rétablissement de la peine de mort pour les coupables de sabotage caractérisé d’œuvres qui les dépassent…

En résumé un excellent premier tome pour ce qui s’annonce une heptalogie de grande qualité. Un bémol, toutefois : la platitude des noms de lieux qui manque sincèrement, pour le coup, de fantaisie. Appeler chacun des sept royaumes d’un simple numéro (premier royaume, deuxième royaume, etc.) est certes plus simple pour la lecture, mais enlève un peu de la magie au monde.

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