Starship(s)
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Après Science [Fiction] en 2002, les éditions Delcourt publient un second art book Manchu, Starship[s] : plus de cent vingt illustrations de couvertures, une vingtaine de couvertures de BD, des vues d’artiste, des roughs…
La première partie, préfacée par Laurent Genefort, est un somptueux retour sur une décennie de science-fiction. A retrouver, page après page, les images qui nous ont fait de l’œil depuis les rayons des libraires, on mesure à quel point Manchu a contribué à façonner notre imaginaire (et à martyriser nos portefeuilles !), via le Livre de Poche depuis la « Grande Anthologie de la S-F », mais aussi le Bélial’, Denoël, Bragelonne, Mnémos, Folio ou l’Atalante.
Libérées des titres et logos, ses illustrations prennent ici toute leur ampleur. C’est bien sûr un vaisseau spatial qui fait l’ouverture, le Lewis & Clark de L’âge des étoiles de Robert Heinlein, s’élevant majestueusement du satellite d’une planète qui emplit le ciel. Tout Manchu est déjà là — le réalisme de l’engin et des paysages, la fidélité au texte, l’attention aux détails physiques et techniques, la collision vertigineuse des échelles, de la gerbe d’éclaboussures du décollage aux nébuleuses lointaines. On enchaîne sur Les Chants de la terre lointaine, d’Arthur C. Clarke, l’immense Magellan en orbite autour d’une planète aquatique, et on ne se souvient de respirer que dix images plus loin.
Toutes ne sont pas aussi sereines. Certains vaisseaux sont des machines de guerre, parfois représentées en pleine bataille. « C’est malheureux, certaines de nos sauvageries ont de la gueule », constatait Franquin entre deux Idées noires. Chez Manchu, toutefois, la sauvagerie est reléguée au second plan : c’est la puissance brute qui a de la gueule, celle de la machine comme celle de la technologie qui la rend possible.
Car Manchu aime les belles mécaniques, des vaisseaux spatiaux futuristes à d’improbables créations steampunk en passant par les locomotives géantes et les belles Américaines. Mieux que personne, il sait rendre perceptible la beauté propre d’un objet technique élégamment conçu. Comme certains musiciens ont « l’oreille absolue », il saisit à la perfection les relations spatiales entre les objets qu’il met en scène : éclairages impeccables et points de vue au cordeau rendent les trajectoires limpides, et ses Terres gibbeuses valent bien des leçons d’astronomie.
Relevant aussi les défis de la hard science fiction, il invente de nouvelles représentations, aussi belles qu’évocatrices, de la violence de certains événements cosmiques (à propos de Gravité et de Singularité, de Stephen Baxter ; ou de L’Ogre de l’espace, de Gregory Benford) voire, avec un peu moins de bonheur peut-être, des paradoxes de la mécanique quantique (pour Isolation de Greg Egan, par exemple).
Quelques robots encore, quelques dragons, une poignée de monstres rigolards, comme le Lummox de L’Enfant tombé des étoiles, quelques architectures énigmatiques comme les anneaux de Retour sur l’horizon, et le feu d’artifice s’achève déjà. Le temps de retrouver ses esprits, et l’on se rappelle pourquoi on aime tant la science-fiction…
Une deuxième partie traite de collaborations avec Daniel Pecqueur, Olivier Vatine, Alain Henriet et Fred Blanchard, sur les couvertures de leurs albums de bandes dessinées ou sur des études d’objets techniques (armes, uniformes, valises réfrigérantes, etc.) que la minutie de Manchu rend parfaitement crédibles. La juxtaposition de ses études et des couvertures finies fascinera sans doute les connaisseurs, mais le Béotien que je suis regrette l’absence de commentaires explicatifs dans cette section plus technique, et s’étonne de l’accent porté sur les personnages dessinés par d’autres, dont l’expressivité souligne par contraste l’un des points faibles de son œuvre.
Starship[s] se termine sur quelques vues d’artiste de serres, d’habitats et de véhicules martiens et sur un intéressant step by step de la réalisation d’une illustration réaliste de la rentrée atmosphérique d’un véhicule habité — des outils de vulgarisation et de promotion d’une idée juste, qui ne demande qu’à être réalisée dans un futur immédiat (où signe-t-on ?).
Au final, Starship[s] ravira tous les vrais amateurs de S-F, et probablement beaucoup d’autres, par la qualité des œuvres présentées. Au-delà, on peut d’autant plus regretter la faiblesse du paratexte (les auteurs des ouvrages illustrés ne sont même pas mentionnés) comme déplorer que les préfaces soient presque illisibles en orange, vert et bleu pâles et qu’une mise en page discutable nous prive d’illustrations pleine page. Mais l’essentiel n’est pas là : Starship[s] est l’occasion rêvée de se rappeler que Manchu est un artiste majeur.