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Blade Runner 2

Voilà bien un titre ayant suscité, dans l'attente de sa sortie, tant une impatience fébrile qu'une suspicion dubitative et parfois même forcenée (si, si, j'en connais..). Pensez donc : la suite de Blade Runner, film culte lui-même inspiré d'un non moins culte roman de Philip K. Dick, écrit par un auteur somme toute assez mystérieux ayant livré, tant en science-fiction qu'en fantastique, des œuvres dignes d'un peu plus qu'un simple intérêt et bien souvent dérangeantes (Madlands, Dr Adder ou bien encore La Mante). Un auteur qui, rappelons-le, fut un proche de Dick, et que le maître lui-même décrivait comme « un grand type mélancolique doté de l'esprit le plus brillant que je connaisse ». On se permettra d'ajouter que le « type » en question doit être également pourvu d'une bonne dose de courage pour oser s'investir dans un projet où on ne peut que se savoir sacrément attendu au tournant — dans semblable cas, l'argent ne peut pas être la seule motivation.

Dès les premières pages parcourues, une évidence s'impose, le doute est levé (l'éditeur s'est bien gardé de le faire) : il ne s'agit en aucun cas de la suite de l'œuvre initiale de Dick mais bel et bien de celle du film de Ridley Scott. Autre évidence : la scène d'ouverture, le premier chapitre — cinq pages, est d'une extraordinaire maîtrise, rien moins qu'une démonstration. On y est, là, dans ce L.A. futuriste bouffé de chaleur, en déliquescence, avec sa faune hétéroclite et grouillante, ses spinners volants, ses publicités criardes, ses flics névrosés, les blade runners, et leurs cibles androïdes, les Nexus-6. L'horreur aussi est bien là, l'horreur du doute, le désespoir d'un homme fou d'amour pour une femme qui n'en est pas une et qui n'en finit plus d'agoniser dans son caisson, de ses trains souterrains emplis de réplicants « défectueux » qu'on emmène aux crématoires — horrible remake d'un holocauste revisité... Une horreur et ses anges : Deckard, Rachael. Et les questions, redondantes : comment définir l'humanité, ce qui fait qu'on est humain ou qu'on ne l'est pas ; la réalité des apparences, jusqu'où s'y fier. Comme dans le film de Scott, les grandes thématiques de l'auteur d'Ubik sont au rendez-vous. « ll avait compris que dès que quiconque commençait à douter des apparences, des niveaux de surface de la réalité, il pénétrait alors dans un labyrinthe qui se déployait à l'infini ; dans lequel les choses n'étaient pas vraiment ce qu'elles paraissaient être. » (p. 194)

Côté intrigue, Jeter exploite avec brio les nombreuses pistes à la fois tracées par Dick dans Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques et surtout par Scott dans son film, principalement dans la version longue, la pierre d'achoppement étant, bien sûr : qui est humain, qui ne l'est pas (avec, encore une fois, en ligne de mire, la question philosophique de la définition de l'état d'humanité). Le canevas de départ est d'une extrême simplicité : les androïdes hors-la loi que chassait Deckard dans le premier opus n'étaient pas cinq, mais six Le meilleur des blade runners est donc contraint de retourner au charbon. De cette ligne scénaristique qui a tout d'une énorme ficelle, Jeter battit un roman passionnant où rien n'est ce qu'il parait être, où les complots, les conspirations et les intrigues se croisent jusqu'à ce que le lecteur s'aperçoive comme Deckard, qu'il doit se méfier de tout. Avec, en points d'orgues, quelques scènes anthologiques : l'ouverture ; la clinique vétérinaire ; les retrouvailles avec J F Sebastian et Priss, misérable créature, réplicante détruite (tuée ?) par Deckard et « réparée'' par Sebastian, pathétique figure déshumanisée...

 Bref, et au-delà des préjugés, Jeter signe ici un fort bon livre, palpitant et porteur de son lot de réflexions Une bien belle pierre de plus à « l'univers Blade Runner », création exemplaire de la science-fiction moderne constitutive de trois grands talents, mêlés mais autonomes Dick, Scott et Jeter.

La Rédemption de Christophe Colomb

Il n'y a ni Serpents ni Araignées dans ce livre, ce qui n'en fait pas moins un brillant successeur du Grand jeu du temps. Et pour qui maîtrise le temps, forte est la tentation de le modifier pour conformer l'histoire à ses désirs. Ceci dit, les romans de Fritz Leiber et de Card sont bien différents. Là où Leiber était un véritable et grand écrivain, Card est avant tout un conteur, l'un des meilleurs de sa génération. S'adonner aux joies du time opera est une chose, embrasser la modification de l'Histoire en est une autre. Ce que la peinture à l'huile est à la peinture à l'eau.

Au XXIIIe siècle, alors que la Terre semble lentement se remettre d'une longue période de guerre, l'Observatoire du Temps scrute le passé. Un passé où l'humanité souffrait de tous les maux : l'esclavage — que Tagiri étudie — n'étant pas le moindre. Avec Hassan, elle forme 1a base d'une équipe que rejoindra au fil des années leur fille Diko, Kemal, le découvreur de L'Atlantide en Mer Rouge et Hunahpu, chronohistorien à la carrière compromise par son obsession à spéculer sur ce que serait advenu du monde précolombien sans Colomb...

Card met longuement Colomb en scène, ne rechignant pas à faire dans le biographique, mais à la lueur de ce fait fondamental du récit : Dieu en personne lui a ordonné de faire voile à l'ouest. Tagiri et son équipe ont assisté à la scène alors que Colomb venait de s'échouer sur les côtes du Portugal. Du point de vue de qui possède un chronoscope, notre monde apparaît dès lors comme le produit d'une modification de l'Histoire. Selon Hunahpu, cette modification visait à empêcher les Tlaxcaltèques de supplanter les Mexicas avant de dominer le monde. S'il est possible de modifier le passé, Tagiri veut le faire pour abolir les souffrances de l'esclavage. Mais peut-on effacer tout un monde ? Gommer tous ceux qui y vivent où y ont vécu depuis huit siècles au nom d'une morale bien-pensante ? Pour y renoncer, Card se voit obligé de réorienter son tableau du XXIIIe siècle pour en faire celui d'un monde condamné à court terme. Le sacrifice d'un monde en pleine résurrection manquait de crédibilité, pas celui d'un univers à l'agonie — à défaut, l'abolition de Colomb par deux noirs, deux musulmans et un maya, avait tout l'air d'un règlement de compte révisionniste.

Car la Restauration Écologique est un échec et une nouvelle glaciation s'annonce qui ramènera l'humanité à l'âge de pierre et a moins de deux millions d'âmes. Si Card avait été un écrivain écologiste, cette perspective d'une (juste) revanche de la nature lui eut semblé souriante, mais c'est un auteur chrétien et la perte du nom du Christ lui est intolérable. Ses héros vont ainsi devoir tant éviter l'hégémonie Tlaxcaltèque que la voie que nous avons suivie. Point spéculatif crucial ruais rarement évoqué : la chute de la civilisation technicienne serait définitive car, les ressources minières et énergétiques étant épuisées, aucun nouvel essor de la civilisation ne serait possible et l'humanité n'y survivrait probablement pas...

Le principal motif de réflexion dans ce roman réside toutefois dans la confrontation entre deux formes d'impérialisme chrétien. Le catholicisme renaissant et fanatique d'Isabelle de Castille s'opposant au christianisme réformé et bien-pensant que Card partage avec ses personnages. Diko et Hunahpu vont ainsi implanter dans l'Amérique précolombienne un protochristianisme véhiculant les valeurs d'égalité sexuelle (et raciale) induites par la réforme et la sécularisation de Marie afin de couper l'herbe sous le pied des conquistadores. La colonisation ne viendra ainsi pas d'Europe mais de l'avenir... Un protestantisme bien-pensant sauve le monde de la catastrophe écologique, de l'esclavage et des sacrifices humains... S'impose, quoi. Par des armes sémantiques dont l'hypocrisie ne doit pas occulter la nature. Sous ses dehors trop bien-pensant, l'éthique véhiculée par ce roman est plutôt sujette à caution. Elle n'en est que plus pernicieuse du fait que c'est un récit tout à fait passionnant, bien documenté et mené de main de maître. À lire, bien sûr, mais sans renoncer à une lecture critique.

Le Mendiant de Karnathok

Avec Le Mendiant de Karnathok, Alain le Bussy nous invite à retrouver, nombre d'années ou de siècles plus tard, l'univers space opera où il avait situé Equilibre (voir critique dans un numéro de Bifrost qu'il vous conviendra de déterminer !). La guerre, une fois encore, a fait rage ; opposant les humains à l'empire d'Aeve sur lequel règne l'Errul. La paix est néanmoins revenue Un cessez-le-feu, plutôt. Il ne fait toutefois aucun doute que l'Errul attend l'heure de sa revanche...

Ce roman renoue avec une thématique résolument vanvogtienne un peu passée de mode. Pouvoirs psy et héros amnésique lancé à la recherche de lui-même et de son passé ne sont plus très en vogue. Le Bussy ajoute bien une petite touche de clonage pour faire moderne, mais c'est tout.

Jern Alvann, le mendiant du titre, borgne et manchot, hérite un beau jour d'une fortune colossale qui le transforme illico en paratonnerre à ennuis Le voilà riche mais traqué, contraint de fuir en vain à travers toute la galaxie. Divers interludes informent le lecteur des acteurs qui dans l'ombre protègent Alvann ou au contraire conspirent à sa perte. Le procédé est peu élégant mais constitue un raccourci non négligeable.

L'absence de personnages importants, outre le héros, nuit à la profondeur du récit. Il n'y a pas de véritables relations à travers lesquelles l'auteur aurait pu conférer à Alvann l'épaisseur qui lui fait défaut. C'est un solitaire, amnésique qui plus est. En fait, il sert uniquement de vecteur à l'action. Grâce à celui dont il est le clone, il recouvrera la mémoire et, ensemble, ils parviendront à piéger l'Errul ; ce qui constituera la conclusion tant de l'action que de la quête personnelle du héros.

Malgré ça, Le Mendiant de Karnathok pèche par défaut de construction On ne saura pas d'où vient l'argent que lui a laissé un Targ (E.T) avant d'être tué, ni pourquoi l'Errul voulait sa mort puisqu'on découvrira une autre raison à l'Errul de traquer Alvann. Le roman est parsemé de nombre de scènes cauchemardesques où Alvann jouit de son œil et de son bras perdus ; on comprendra bien les raisons de ces infirmités mais pas celles de ces rêves, pas vraiment, pas de manière satisfaisante.

Même si ce roman recèle pas mal de défauts, l'action est suffisamment rythmée et trépidante pour que l'on ne s'y attarde pas. Le talent de conteur de le Bussy entraîne à la lecture. C'est donc de la littérature de quai de gare, sans ambition, à prendre et à consommer comme telle. Auquel cas on peut passer un bon moment.

Histoires de cochons et de science-fiction

À quand remonte la dernière anthologie thématique à avoir vu les presses en cette bonne terre de France ? À la Guerre de Cent Ans ? Au Déluge ? Il se pourrait cependant bien que ce fût à L'Assassin habite au XXIe siècle de Pierre K. Rey chez Londreys... en 86. Aussi ces histoires de cochons font-elles figure de petit événement.

Des histoires de cochons se devraient d'être drôles ; on s'attend plus ou moins à une anthologie en forme de boutade mais, si l'humour n'est pas totalement absent, on est à cent lieues de la franche rigolade Le ton, plutôt sombre, illustre une époque hantée par la crise économique et son corollaire, la technophobie, très sensible dans le texte de lan Lee. Après les astronefs, les voyages dans le temps, les ordinateurs, etc, les cochons sont-ils en passe de devenir le nouveau grand thème de la S-F ? Ça ne semble pas à craindre. « Que peut bien vouloir Chloé ? » de Brian Stableford (Galaxies n°6), le meilleur texte sur le sujet, étant indisponible, on aurait pu se demander si cela restait pertinent de réunir une anthologie de S-F porcine. Ce à quoi répond « oui » la longue novella de Roland C. Wagner « Honoré a disparu », véritable morceau d'anthologie — c'est le cas de le dire — tout à fait jubilatoire. Mais passons à la revue de détail.

 Thomas Day met en scène le porc le moins anthropomorphique – mais non le moins altéré – dans « Le Goût du feu », un texte qui vaut davantage par le tableau qui y est brossé de l'actuelle Roumanie que pour ses arguments science-fictifs, lesquels n'apparaissent que dans la seconde moitié de la nouvelle.

Dans le texte limite « Limite » de Ian Lee, texte introspectif s'il en est, littéraire, psychanalytique par les réminiscences qu'il met en jeu, les truies servent de mères porteuses. Texte bien sombre où il est manifeste que cet usage inédit de la gent porcine ne constitue en rien un progrès aux yeux de l'auteur.

Dans les cinq autres nouvelles, les cochons parlent et perdent donc leur statut animalier.

Esther M. Friesner nous livre une sorte de rhapsodie sur Alice au pays des merveilles où un cochon, comme dans toute fantasy qui se respecte, se métamorphose en homme...

Brian Stableford s'est, lui, fendu d'une variation sur le joueur de flûte de Hamelin où un cochon plombier biotechnicien s'en vient sur la lune jouer des phéromones pour débarrasser les artères du corps commun de l'humanité des rats qui l'infestent. Un petit quelque chose de Demain les chiens, version Super Mario s'entend.

Le traitement islamique du cochon devait bien incomber à quelqu'un. C'est Serge Lehman qui s'y est collé. Et voilà comment le Prophète est tombé dans la cité souterraine des cochons... Peut mieux faire.

Eugène Byrne signe l'un des meilleurs textes de l'antho où, à travers un cochon cyborg de foire à fric né d'une BD. Il stigmatise les travers de notre société avec laquelle il n'est pas tendre. Un humour pour le moins grinçant.

Roland C. Wagner a compacté toute la richesse de son univers personnel dans cette novella si charmante qu'on peut la raconter aux enfants (même si les fermiers peuvent s'y prénommer Psylocybe). Babe version Wagner, c'est l'intrusion de Cette crédille qui nous ronge dans Les Futurs mystères de Paris : rockloub et rapbeur des petites gamines et une I.A. qui leur fait la fée, le vivisecteur dans le rôle du grand méchant et une bonne louche de rock'n'roll... Et voilà une véritable histoire !

Pour conclure, cinq pages jubilatoires de titres de romans et/ou de films détournés en cochons avec une maîtrise consommée du mauvais goût. Genre : Foetus par truie ou bien encore Le Règne du goret...

Les textes de E. Byrne et surtout Roland C. Wagner valent largement le détour et sont les plus longs. Cette anthologie qu'on attendait plus drôle n'est pas d'une lecture indispensable mais d'un niveau très honorable.

Le Crépuscule des Elfes

Au bord d'une mare, une femme à la peau bleue se coiffe... C'est sous cette illustration trompeuse, trop sage, que se voile une fantasy aussi épique que tragique de la plus belle plume : celle de Jean-Louis Fetjaine, dont c'est là le premier roman. Un roman sombre et fort, au carrefour de la mythologie celte et de l'épopée arthurienne, dont le ton emprunte à l'Excalibur de John Boorman. Une arthurienne de plus, me direz-vous ? Oui. Mais la légende arthurienne est un matériau de tout premier choix pour qui veut inscrire sa fantasy dans la veine historique. Cependant, si noble que soit le matériau, il a déjà été forgé sur plus d'un feu ; citons Marion Zimmer Bradley, Stephen Lawhead, ou encore Gilles Servat pour des œuvres récentes estampillées fantasy – et Jean Markale pour une réécriture du mythe. On peut écrire de la fantasy sur la base des légendes des indiens Hopi ; ce qui n'est pas un sport pour européens. Par contre, la légende du roi Arthur est la borne blanche d'un celtisme très en vogue que se partagent la France et le monde anglo-saxon. Sur ce thème-là, même une approche originale ne produira pas un roman original. Grand est donc le risque de lasser ; c'est pour l'auteur un défi à relever.

Jean-Louis Fetjaine n'a pas inscrit la tragédie là où on l'attend d'un roman arthurien : dans la mort du roi. D'ailleurs d'Arthur, point. ll a trouvé mieux que la mort d'un homme : celle de tout un univers. À l'instar de Stormbringer – le roman de Moorcock – ce Crépuscule des elfes (comme celui des dieux) illustre la fin d'un monde, une inexorable apocalypse en forme de changement de paradigme.

En ce temps-là, alors qu'Uther était jeune encore, elfes, nains et hommes vivaient en paix : les elfes en harmonie avec la nature, plantes et animaux à qui ils parlaient ; les nains, forgerons nés, maîtrisaient les magies minérales. Et les hommes... l'art cynique de la politique et de l'intrigue ainsi qu'il apparaîtra au fil du livre.

Les personnages sont moins d'une trentaine en tout et pour tout – une douzaine sont importants. Au commencement, Pellehun, Baldwin et Llandon, rois des hommes, des nains et des elfes, sont réunis pour apprendre de Baldwin qu'un roi nain a été assassiné par Gael, l'elfe gris. Une compagnie formée de l'elfe Till, Lliane, la reine des hauts-elfes, le chevalier Uther, le guerrier Freihr, les nains Tsimmi, Miolnir et Rogor, respectivement sorcier, chevalier et héritier du défunt roi déguisé en page, part donc à la recherche de Gael. Blade, l'assassin à la solde du sénéchal Gorlois, conseiller de Pellehun, les rejoindra après avoir occis deux autres compagnons de moindre importance... Rien que de très classique malgré des nains rapportés de la légende des Niebelungen ou de chez Tolkien. La compagnie croisera tout un panthéon plus que de trolls, de gobelins et de gnomes... mais le monde était alors bien différent. Outre la mort d'un roi, les nains se sont vus dérober Caledfwch (Excalibur), le talisman majeur qu'ils tenaient de la déesse Dana. Quant aux elfes gris, ils ont été la cible de pogroms de la part des nains et en nourrissent rancune. Dire que les relations au sein du groupe sont tendues relève de l'euphémisme charmant.

Aussi, après qu'Uther a enfin démasqué Blade, nains et elfes s'affrontent une fois que Rogor a jeté le masque à son tour. La compagnie éclate. Ne restent qu'Uther et Freihr, la reine Lliane et le maître maçon Tsimmi, qui ne retrouveront Gael que pour découvrir qu'il appartenait à la guilde des assassins, à l'instar de Blade qui vient de le tuer. Tsimmi trouvant la mort, rien, désormais, ne pourra plus empêcher la guerre de dévaster le monde...

Fetjaine n'a pas oublié d'écrire un roman et non une tragédie. Aussi, si le discursif domine, l'action le soutient et le visuel n'a pas été négligé, au contraire. Son écriture fluide nous fait voir, mieux, sentir un monde froid et liquide, de brume, de bruine, d'eau omniprésente, de boue et de marais glacés, de forêts profondes et détrempées. Il nous fait éprouver ce monde elfique presque monochrome pour mieux empreindre sa tragédie de la nostalgie et du deuil d'un univers. C'est une allégorie du désenchantement du monde ; d'un monde qui ne sera plus jamais le leur – celui des elfes, des nains... Sous la plume de Fetjaine, le bien ne chevauche pas chaussé des mêmes bottes que la chrétienté incarnée par Pellehun et Gorlois Il donne à son roman une sensualité liquide et pénétrante qui confère au drame une intensité fluide où les personnages ne prennent corps que pour mieux s'y noyer. Le seul bémol ressortit à l'action qui, sur la fin, doit conduire à la nécessaire mort de Tsimmi et qui tarde à venir, nous offrant un combat contre des loups du genre Fenris puis des gobelins venus de hors la trame du récit Il aurait à mon sens fallu qu'il fut tué par un elfe, voire un homme.

Que cet ouvrage ait trouvé place chez un éditeur de littérature générale plutôt que chez un spécialiste du genre tel L'Atalante, Pygmalion ou Rivages, s'explique tant par la qualité de l'écriture que le classicisme du thème. Ce crépuscule n'en est pas moins héroïque, avec ce qu'il faut d'épreuves et de combats pour combler tout un chacun. Fetjaine n'a pas forcé le trait psychologique insiste sur la noirceur ni sur l'action ; il s'est battu avec les armes de la tragédie pour forger son succès. Car, à n'en pas douter, c'en est un. La fantasy française n'est que bien rarement à pareille fête.

Les Cieux découronnés

Face au succès de Tim Powers, l'un des chefs de file du mouvement steampunk, J'ai Lu a visiblement décidé de publier ses œuvres de jeunesse — Les Cieux découronnés, datant le 1976, étant d'ailleurs le tout premier roman qu'il ait écrit. Avec ses amis, K. W Jeter et James Blaylock, Powers fréquentait Philip K. Dick, auteur qui n'est pas resté sans influence sur sa (leur) vocation. Aussi, le lecteur sera certainement surpris de l'absence, dans Les Cieux découronnés, de la thématique dickienne à laquelle il pourrait s'attendre. L'inspiration de ce premier roman étant incontestablement plus à chercher chez Jack Vance...

Frank Rovzar, le héros de cette histoire, est avant tout un excellent bretteur jouant à qui mieux mieux de la rapière dans les ruelles de la ville souterraine de Munson. Témoin de l'assassinat du duc Topo ainsi que de l'exécution de son propre père par le fils du duc, le tout appuyé par le Service des Transports, Frank est condamné à la déportation. Il s'évade et se réfugie dans les sombres coupe-gorge de Munson, où il rencontre Sam Ochrist, baron de la pègre, pour qui il devient faussaire, cambrioleur puis maître d'armes. Dans le même temps, la milice des Transports fait pression sur les Compagnons des Bas-Fonds qui ne sont nullement exempts de dissensions, dues entre autres à l'ambitieux lord Tolley Christensen. Ce dernier tue Blanchard, le roi des Bas-Fonds et ami de Frank, avant de prendre sa place. Commence alors un règne fort court puisque Franck ne tarde pas à lui faire subir un sort identique. Devenu roi, Franck entend bien bouter les milices des Transports hors d'Octavio. En se faisant le champion de George Tyler, poète et fils naturel du feu duc Topo, lui aussi réfugié dans les Bas-Fonds, Frank mettra fin au règne de Costa.

On tient là un bien sympathique roman d'aventures, trépidant à souhait, mais qui n'aurait sans doute pas connu les honneurs de la traduction si son auteur n'avait ultérieurement livré des romans d'une toute autre ambition. Sur fond de space opera, le cadre « low-tech » d'Octavio, ce monde où les armes à feu sont devenues rares, préfigure en quelques sortes les orientations steampunk que l'auteur explorera par la suite. Quant à son personnage, pour lequel il n'a pas choisi un épais soudard ou voyou, il le brosse en finesse. Si bretteur il est, artiste peintre il n'est pas moins ! Ceux qui apprécient Powers pour ses livres les plus récents risquent une certaine déception à la lecture de ce premier roman. Mais on sait que le mieux est l'ennemi du bien. Et on aimerait que le tout-venant des récits divertissants fût de cette facture. C'est, par exemple, ce que devrait toujours être un Fleuve Noir.

Le Chant du Cosmos

Chroniquant Un Feu sur l'abîme de Vernor Vinge dans ces mêmes pages, Philippe Boulier remarquait que le seul moyen d'écrire du space opera aujourd'hui, le matériau étant si ringard, consistait en une approche parodique telle que pratiquée par Red Deff. Avec un titre comme Le Chant du cosmos, qui en évoque tant d'autres, l'ombre de Red Deff ne peut que planer sur ces mondes improbables et ces extraterrestres aux mœurs impossibles On en trouve autant que de traits d'humour, à tous les niveaux du récit. Ainsi cette remarque très secondaire à propos d'un logiciel domotique : « Des fois, il fonctionne un peu de travers, à cause d'un virus qu'il a récolté en échangeant des données avec un réseau infecté durant l'épidémie de grippe virtuelle de 42... ».

Mais le roman reste très wagnérien par les thèmes qu'il exploite et la structure de l'intrigue. Il doit beaucoup à Cette Crédille qui nous ronge, pour les principaux motifs, considérablement développés ici, mais aussi aux Futurs Mystères de Paris : violence rare, ayas se manifestants sur de multiples supports, pouvoirs psychiques en relation avec les vibrations de l'univers.

Ici, les Penseurs dotés d'un talent psy se livrent au « Jeu », un combat mental qui perd sa dimension sportive quand il est perturbé par les Incisifs prêts, pour gagner, à transformer leurs adversaires en légumes. Sur Diasphine, le jeune Océanien Yeff, éduqué par sa muse, Clyne, devient un champion jusqu'à ce qu'il affronte un Incisif dont les buts réels dépassent de loin le Jeu. Le maèdre, la mignonne peluche qui choisit de suivre Yeff (et qui rappelle d'autres créatures wagnériennes), n'est pas qu'un amusant animal de compagnie mais une clé du mystère. Cette première intrigue n'est qu'un élément d'une affaire plus vaste concernant les agissements frauduleux d'une importante société interplanétaire, lesquels s'inscrivent dans un complot plus vaste encore. La résolution de ces énigmes permet de jeter un regard nouveau sur la nature même de l'univers : le monde, chez Wagner, n'est pas qu'une toile de fond sur laquelle s'agitent ses personnages. Il est le sujet principal, et l'intrigue le révélateur menant à son interprétation, laquelle vise régulièrement à édifier une synthèse spiritualiste et matérialiste de l'univers. Il est d'ailleurs toujours réjouissant de lire les habiles théories que brosse l'auteur pour concilier le parapsychique et la physique, ici en faisant appel au bruit de fond de l'univers et aux vibrations des particules.

 Le récit se déroule sur trente ans et sur autant de planètes que de sauts narratifs : ce n'est pas le moindre mérite de ce roman que d'étaler une intrigue dans le temps plutôt que d'accumuler les concours de circonstances permettant de la condenser. Ce parti pris est celui qui convient le mieux à un space opera : s'il dilue le suspense, il donne à l'univers toute sa chatoyante ampleur, une dimension ludique et exotique qu'il serait dommage de gâcher.

Invasions 99

Il fut un temps où, en France, fleurissaient les anthologies originales de S-F. Sans parler du « Rayon Fantastique » ou des numéros spéciaux de Fiction dès les années 50, rappelons qu'en 1966 chez Casterman sortait Histoires fantastiques de demain, d'Alain Dorémieux, inaugurant une remarquable série et ouvrant la voie à Denoël, Marabout, Seghers, 10/18 ou Londreys. Il y eut aussi des florilèges francophones chez Opta, Denoël, Kesselring... Et puis, le vide. Univers s'est éclipsé en 1990, et on n'a plus vu par ici d'anthologie originale — et professionnelle, et thématique — de S-F jusqu'à la sortie de Century XXI (Encrage).

C'est dire combien la parution chez Bélial/Orion — après Histoires de cochons et de science-fiction — d'Invasions 99, premier livre en grand format publié par la petite maison d'édition, constitue un événement. Sous une belle couverture de Jeam Tag sont réunis dix-sept récits (et trois interludes) qui traitent de l'invasion extraterrestre remise en vogue depuis peu par X-Files et Independence Day. (Ceci étant, le ton de nouvelles, volontiers irrévérencieux, se rapproche plutôt — pour rester dans le domaine du cinéma — de The Arrival ou de Men in Black.)

John Kessel ouvre le recueil par un texte fort, « Envahisseurs », qui met en parallèle la venue sur Terre (en 2001 !) d'E.T. excentriques et le génocide des Incas au XVIe siècle. « Les Habitudes singulières des guêpes », de Geoffrey A. Landis, superbe pastiche, permet à Sherlock Holmes d'expliquer les meurtres de Jack l'Éventreur. On poursuit avec « Les Diables étrangers », de Walter Jon Williams, sorte de suite allumée de La Guerre des mondes sise dans la Chine impériale agonisante ; c'est dans la même optique que l'iconoclaste Howard Waldrop a écrit le délirant « La Nuit des tortues », où les Texas Rangers atomisent de l'E.T. conquérant. « Cette année-là l'hiver commença le 22 novembre », de Thomas Day, premier texte français du recueil, et hommage à Waldrop, revisite l'assassinat de Kennedy ; Day fait preuve de maîtrise plus que d'originalité, mais il s'agit là d'un de ses meilleurs textes. Francis Mizio lui succède au sommaire avec une pochade habile à la Sheckley, « L'événement des événements », où des E.T. débarquent à Paris lors de la finale de la Coupe du monde pour vendre un produit d'un intérêt... limité. Ainsi finit la première partie de l'anthologie : “Hier”.

Le premier interlude de Marc Séassau, comme les deux autres d'ailleurs, m'a laissé sur ma faim, mais le conte bref, exercice difficile, n'est pas ma tasse de thé.

La seconde partie, “Aujourd'hui”, débute par « Streak », d'Andrew Weiner, un texte mineur d'un auteur doué (j'avoue m'intéresser modérément au base-ball). Paul J. McAuley et Kim Newman ont, par contre, écrit un véritable chef d'œuvre, « Résidus », qui allie un examen au scalpel du rôle des médias dans notre société à un portrait émouvant d'un héros déchu. Pat Cadigan, dans « J'ai été le jouet sexuel des dieux » (palme du meilleur titre), nous entraîne à nouveau dans le délire pur — un bijou noir. « Imago », vignette absconse d'A.-F. Ruaud, m'a plus séduit par son style que par son intrigue, ténue, ou sa pertinence thématique.

Nous en venons à “Demain”, curieusement la partie la moins fournie du recueil. « Tu n'oublieras point », de Johan Heliot, est un texte percutant, émouvant, même si l'on devine la fin assez vite — le suspense n'étant pas son propos. Je n'ai guère trouvé d'intérêt à « Les Sondes », de Marie-Pierre Najman, convenu et trop lourd en pathos, mais bien tourné.

Le dernier éventail de textes, regroupé sous le titre “Ailleurs”, est plus convaincant que le précédent. Si « Journal contaminé », de Philippe Curval, déconcerte au premier abord et me semble n'entretenir qu'un rapport des plus vagues avec le thème de l'anthologie, il n'en reste pas moins une performance sur le plan de l'écriture et de la structure, et un summum d'émotion contenue. « Le Syndrome du caméléon », de Patrick Raveau, est plus intéressant dans ses prémices que dans sa réalisation, un peu guindée — on reste pourtant au-dessus de la moyenne. Claude Ecken, qui a décidément plus d'une corde à son arc, relève encore la barre avec une nouvelle originale et érudite, « Fantômes d'univers défunts ». Le recueil se clôt par un feu d'artifice, « Les Mystères de la Sainte Propulsion », de Dominic Green, comparable aux textes les plus flingués de Barrington J. Bayley ; il s'agit également d'une virulente attaque contre la religion, le colonialisme et les liens qu'ils ont entretenu et, parfois, entretiennent encore.

Au total, une anthologie remarquable, où les textes moins aboutis se détachant d'autant plus que le niveau d'ensemble est élevé. C'est sans réserve que je conseille ce fort volume à tous les lecteurs — humains et extraterrestres.

Futurs antérieurs

Ça aurait pu être une gageure, et c'était certes un pari : « réaliser la première anthologie française de littérature steampunk » – voire, d'ailleurs, la première au monde, ce dont l'anthologiste oublie modestement de se targuer.

Qu'en est-il du résultat ? La préface de Daniel Riche est idéale. Factuelle, érudite, elle dresse une brève histoire du steampunk, propose quelques repères évidents (Jeter, Powers, Blaylock) et des pistes fécondes, bref, contient tout ce qu'une préface doit contenir... dont la meilleure définition de ce sous-genre de la S-F, due à Douglas Fetherling : le steampunk imagine « jusqu'à quel point le passé aurait été différent si le futur était arrivé plus tôt ». L'anthologiste y admet que certains auteurs ont peiné à séparer steampunk et uchronie, et ce sera le seul reproche de principe que je ferai à sa sélection.

Les textes, maintenant. Riche, refusant d'affirmer des préférences personnelles, les présente (à une exception près, d'ailleurs logique) dans l'ordre alphabétique inverse du nom de leurs auteurs – inverse parce que le steampunk est, en somme, une littérature à rebours.

L'anthologie commence donc par « Nuit rouge à Mayerling », de Daniel Walther, qui réexamine le drame bien connu. J'avoue rester souvent indifférent au travail de l'auteur ; ici, j'ai été agacé par la prégnance des obsessions sexuelles : n'est pas Sade (ou Sapho) qui veut. On dirait un texte remanié pour cadrer avec le projet. Par bonheur, le premier choc du recueil survient aussitôt : « Celui qui bave et qui glougloute », de Roland C. Wagner, une novella flinguée des neurones, mêle le mythe de Cthulhu et un Far West de fantaisie – appelé tout au long du texte « le sauvage Ouest sauvage » en référence au titre original (The Wild Wild West) de la série Les Mystères de l'Ouest. On le constatera à plusieurs reprises dans le recueil, ce sont les auteurs les plus au fait de la littérature populaire qui s'approprient le mieux les “icônes” du steampunk. Christian Vilà, avec « Muchamor » réinterprète à son tour un événement historique (le meurtre de Raspoutine), mais son style est si beau et sa vision du chamanisme si originale qu'on peut admirer la performance et lui pardonner son hors sujet. Dans « L'Oiseau de Zimbabwe », Francis Valéry court trop de lièvres à la fois : une aventure steampunk, et un pastiche vernien, et une uchronie. Au final, reste le sentiment d'avoir lu le synopsis d'un beau roman à faire. Quant à René Réouven, il n'est pas très surprenant que son « Âme qui vive » soit une réussite dans le domaine de la “biographie parallèle” (qu'il a souvent pratiquée, tout comme Tim Powers – Le Poids de son regard – et Fabrice ColinVestiges d'Arcadia et La Musique du sommeil). C'est ici le milieu spirite qui sert de cadre à une enquête dont les acteurs principaux sont Bulwer Lytton (Les Derniers jours de Pompéi) et Wilkie Collins (l'un des inventeurs du roman policier), et l'objet, plusieurs autres écrivains au destin tragique, dont Lautréamont. Un vrai délice. Steampunk ? Si l'on veut...

« L'Escale inattendue », de Daniel Prasson (visiblement un nouvel auteur) gâche une idée géniale : un extraterrestre atterrit par hasard sur le plateau de tournage d'un film de Méliès et se retrouve à y jouer les figurants. Dans l'optique d'un texte steampunk, il me semble que le point de vue adopté n'est pas le bon ; j'aurais aimé la même histoire racontée par Méliès, ou par son assistant. Plus que lisible, nonobstant. Pour sa part, Michel Pagel réussit un des meilleurs textes de la sélection, avec « L'Étranger », où un cambrioleur d'exception s'avère être plus qu'il n'y paraît. Tout, ici, est dans les détails : récit épistolaire à la manière du début du siècle, bonne analyse des tares et des enjeux politiques de l'époque (affaire Dreyfus, boulangisme, séparation de l'Église et de l'État), rôle prémonitoire de la tour Eiffel... Excellent. « Rom », de Jean-Marc Ligny, m'a en revanche déçu : l'astuce du titre, assez transparente, fait perdre à la nouvelle une bonne part de sa saveur, et de plus Dick et Pohl, dans le même genre, ont mieux réussi. L'ambiance du Montmartre du début du siècle est cependant bien rendue, mais il n'agit pas, une fois encore, de steampunk. Laurent Genefort, dans « Le Véritable voyage de Barbicane » a joué le jeu – comme Réouven dans un registre identique. Pont entre De la Terre à la Lune, de Verne, et Les Premiers hommes dans la Lune, de Wells, sa vignette d'atmosphère – l'intrigue y est réduite à sa plus simple expression – est, à mon goût, une des meilleures de l'anthologie. J'en dirai autant de la nouvelle de Jean-Claude Dunyach, « L'Orchidée de la nuit », aventure inédite du professeur Challenger, le héros de Conan Doyle. Cette odyssée foldingue où Clément Ader fait voler son premier avion et où la voix d'une jeune cantatrice sert d'appeau à ptérodactyle se passe à Toulouse, où est née l'Aéropostale. Contrat rempli, et bien rempli.

 « L'assassinat de la Maison du Peuple », de Sylvie Denis, m'a laissé perplexe. Tous les ingrédients sont là : architecture Art Nouveau, débuts du socialisme, histoire décalée plus que parallèle ; mais, pour moi en tout cas, la sauce ne prend pas. À dire vrai, comme dans le cas de Valéry, j'ai l'impression que l'auteur a choisi la mauvaise distance. Un texte plus intriguant que réussi. Le retour de Michel Demuth, avec « Exit on Passeig de Gracia », s'effectue, lui, en fanfare. Non, ce n'est pas du steampunk (quoique... le voyage dans le temps est rendu possible grâce à l'invention de la photographie...). Oui, c'est un chef d'œuvre, écrit sur le fil de rasoir, aussi personnel que tout ce que Demuth a pu faire jusqu'alors. La redécouverte du recueil. (Et bientôt Les Galaxiales 3 ?) « Du Sel sous les paupières », de Thomas Day, est une semi-déception. Pourtant, j'aurais aimé adorer ce long récit situé à Saint-Malo, où figurent une usine marémotrice sur la Rance construite ici à l'époque de la Grande Guerre, un général prénommé Charles et féru de blindés, et un drôle de cyborg. L'ambiance et l'intrigue sont peut-être un peu trop proches de La Cité des enfants perdus (le film de Caro et Jeunet, qui est bel et bien du steampunk), et le style, étincelant au début, se relâche par la suite. Peut mieux faire. Quant au texte de David Calvo, « Davy Jones' Locker », où la reine Victoria survit à un accident de dirigeable provoqué par la vision de marcheurs sur les nuages, et dont les héros sont un batrologue et Robert Louis Stevenson, c'est un véritable OVNI (littéraire) à vapeur. Calvo est un auteur non plus à suivre, mais à poursuivre pour l'enchaîner à sa table de travail. L'anthologie s'achève ensuite, lento, ma non troppo, par une fantaisie illustrée de Fabrice Le Minier et Yves Letort, « Une Curiosité bibliographique », encore une biographie parallèle que je vous laisserai la surprise de savourer.

 Trois ou quatre chefs d'œuvre, autant de textes de grande qualité, un niveau d'ensemble élevé, tout ça dans un énorme volume illustré avec goût : que peut-on demander de plus ?

Londres, Ville de l'imaginaire

Yellow Submarine était le plus ancien fanzine de science-fiction francophone. Était car, depuis son entrée dans la ligne éditoriale de la collection « Bifrost/Etoiles Vives », ce support jusqu'ici amateur a désormais tout d'une production professionnelle à part entière. De ce Yellow « nouvelle formule », outre les aspects purement techniques liés à une impression de grande échelle (couverture quadri, meilleure lisibilité, etc.), on retiendra un rythme de parution désormais semestriel et le choix éditorial du dossier, chaque numéro étant en effet dorénavant entièrement consacré à un thème particulier : Londres, en l'occurrence, pour 1a présente livraison (après un Dossier Fantasy pour le numéro 127).

André-François Ruaud, le « capitaine » du Yellow Submarine, a donc décidé de nous ouvrir grandes les portes de cette machine à rêver qu'est la capitale anglaise. Un pari aussi original qu'osé, on en conviendra d'emblée, le bouquin s'ouvre par un « Guide de shopping à l'usage du fan de SF ». Une ouverture à la manière d'un coup de maître si cette trentaine de pages ne parvient pas à vous faire sauter dans le premier train en partance pour Londres, c'est peine perdue. Car l'essentiel est là : adresses des meilleures librairies spécialisées, plans pas chers et sympas pour le gîte et le couvert, balades typiques, trucs pour vous faciliter la vie dans les transports en communs, etc., le tout abondamment saupoudré d'anecdotes et de remarques croustillantes. Y a pas, ça met l'eau à la bouche, et fait immédiatement de ce bouquin un indispensable pour tout voyageur bibliophile en quête de trésors !

Présenter Londres en 170 pages et, surtout, l'esprit londonien qui fait la particularité de cette cité unique, relève de la gageure. On imagine qu'il a fallu aux auteurs faire des choix pour le moins cornéliens. Au final, pourtant, la sélection proposée s'avère suffisamment éclectique et offre un panorama convaincant. De ces choix, outre le petit guide évoqué ci-avant, on retiendra particulièrement le papier de Neil Gaiman, qui nous raconte une de ses nuits passée en quête d'aventures dans le quartier de West End ; « Chapeau melon et uchronie », amusant article sur le genre steampunk par Aleister d'Hurow ; la critique/étude de Paul Witcover sur Mother London, roman phare et pourtant inédit en France de Michael Moorcock ; le remarquable entretien de Ian Sinclair, artiste par chez nous méconnu mais très représentatif de ce fameux esprit londonien. Le présent dossier s'achève par deux nouvelles, l'une, assez anecdotique de Kim Newman (une uchronie où Londres, inlassablement, continue de vivre le Blitz), l'autre, de Thomas Day, intitulée « Une Forêt de cendres », réédition d'une œuvre de jeunesse (s'il est possible de parler ainsi d'un auteur de 27 ans !) passablement réécrite. Un texte non exempt de certains excès propres aux auteurs en devenir mais déjà porteur d'une réelle force visuelle et thématique.

Ce Londres, ville de l'imaginaire est un ovni éditorial, une production surprenante. Si vous vous êtes toujours demandé pourquoi la capitale anglaise était le berceau de tant de talents, le cadre de tant de romans fantastiques, si vous avez toujours rêvé de faire une petite excursion sur les traces de vos auteurs préférés, n'hésitez pas : achetez ce livre.

Ça vient de paraître

Les Armées de ceux que j'aime

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 116
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