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Les critiques de Bifrost

Des parasites comme nous

Adam JOHNSON
DENOËL
480pp - 24,35 €

Critique parue en octobre 2006 dans Bifrost n° 44

Et un raté pour « Lunes d'encre »… Pas de panique toutefois, c'est d'un raté magnifique qu'il s'agit. Bénéficiant d'une aura parfaitement délicieuse suite à la publication de son excellent recueil Emporium en Denoël « & d'ailleurs », Adam Johnson était plus qu'attendu avec Des Parasites comme nous. Très pointu dans l'histoire courte, tour à tour subtile, jubilatoire, hilarante, tragique ou triste à mourir, Johnson ne pouvait que s'intéresser au roman dans toute sa normalité. Un début, un développement, une fin et presque 500 pages d'aventures bien ficelées.

Pari tenu et… Manqué. Des Parasites comme nous confirme certes un vrai talent d'écrivain et un vrai sens du tragicomique, mais peine à convaincre un lecteur qui finit tout bêtement par s'ennuyer à mesure que les pages s'accumulent.

On a pu lire ou entendre que Emporium est un concentré de littérature. C'est vrai. Moins pour Des Parasites comme nous. La petite musique du recueil est indéniablement présente ici, mais là où tout fonctionne comme par miracle sur une histoire courte, tout s'écroule dans la longue. On l'a dit, c'est subtil, c'est tragique, c'est triste, c'est drôle. Le problème, c'est que tout se télescope. Adam Johnson hésite, tergiverse et ne sait jamais où il va. Il y a du bouleversant dans Des Parasites comme nous. Il y a aussi du gros délire (mais jamais de mauvais goût, comme l'annonce curieusement la quatrième de couverture), une originalité folle, une prospective qui fait froid dans le dos, une étude psychologique poussée et des personnages pointus… Il y a tout ça, sauf qu'à force de ne pas savoir où on se situe, on finit par être nulle part. De bonnes pages, de bons moments, parfois d'excellentes surprises, mais un goût un peu fade et un manque de fond qui déçoit.

Résumons. Des Parasites comme nous ressemble à plusieurs nouvelles compilées en un seul et même gros roman. On y suit la vie quotidienne de Hank Hannah, prof d'anthropologie dans une improbable université du Dakota du sud noyée sous la neige chaque hiver. Après une très brève heure de gloire éditoriale (la publication des Exterminateurs, thèse audacieuse sur la manie exterminatrice des premiers habitants du sol américain), Hannah coule des jours mornes, entre ses étudiants thésards brillants ou fous (une magnifique jeune fille fantasmatique et un jeune gars qui pousse l'expérience anthropologique jusqu'à vivre exactement comme les hommes de Cro-magnon), sa Corvette de vieux beau, son père séducteur désespérée, sa mère disparue, sa vie sexuelle lamentable et sa belle-mère tout à fait morte… Existence terne qui permet à Johnson d'asséner quelques vérités bien senties sur la vie, l'univers, tout ça quoi. Il faut quand même attendre 350 pages (sur 460, donc) avant que ce qu'on nous promet sur la quatrième de couverture ne se produise : la découverte (très improbable) de restes humains extrêmement vieux, enterrés comme il faut avec de petites jarres. En gros, la trouvaille archéologique la plus importante de toute l'histoire américaine. Et au bout, la gloire pour les scientifiques. Une gloire qui tourne court quand le maïs contenu dans une des jarres est savamment bouffé en pop-corn par les découvreurs tandis que la deuxième jarre est répandue par mégarde (ou volonté divine d'en finir ?) à même la terre. Résultat, une maladie inconnue qui décime l'humanité et qui laisse pour seuls survivants ceux-là mêmes qui s'en sont préalablement immunisés en ingérant le maïs cuit (et donc moins virulent, une évidence)…

On le voit, c'est tordu, délicieusement vicieux et affreusement injuste. Le roman tourne alors au post-apocalyptique et il faut bien reconnaître que les cent dernières pages touchent au sublime et rattrapent joyeusement les 300 premières, soporifiques. Reste que Des Parasites comme nous est un livre bancal et inachevé, pire, un roman qui aurait pu être magnifique, mais qui se contente de trop peu tout en s'autorisant çà et là quelques pages d'anthologie. Un vrai beau ratage, donc, qui ne doit cependant pas nous éloigner d'un auteur plus que prometteur. À suivre, comme le veut la formule consacrée.

Patrick IMBERT

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