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Les critiques de Bifrost

La Forêt d'envers-monde, suivi de Les dieux demeurent

La Forêt d'envers-monde, suivi de Les dieux demeurent

Thomas Burnett SWANN, André-François RUAUD
FOLIO
466pp - 11,70 €

Bifrost n° 44

Critique parue en octobre 2006 dans Bifrost n° 44

La formule romanesque de Thomas Burnett Swann obéit toujours aux mêmes principes. D'une base historique et mythique, il propose non pas une réécriture, mais une ouverture : ouverture sur des époques, des décors, des figures, au final réinventés de bout en bout. Dans ce livre, on retrouve pêle-mêle les éléments qui font le sel de toutes ses compositions : goût pour la mythologie classique, cadres bucoliques, personnages attachants et gros nénés (on y reviendra).

Passons rapidement sur la nouvelle qui clôt le recueil. « Le peintre » s'attarde de manière cocasse sur la vie et l'œuvre de Jérôme Bosch, mais reste en définitive assez peu représentatif de ce qu'est capable d'écrire TB Swann.

Les deux récits principaux tournent autour de la forêt d'Envers-Monde, située quelque part dans l'archipel britannique, qui préfigure par bien des aspects La Forêt des Mythagos de Robert Holdstock.

Dans le texte éponyme, l'action s'y déroule entièrement. Au XVIIIe siècle, les légendes en ont fait une contrée infréquentable peuplée de vampires, chevaux carnivores, horde de nains en rut. Ce sont ces légendes que se propose de vérifier Deirdre, une jeune romancière invalide et pucelle. La première fois, par goût du risque. La deuxième fois, pour retrouver le poète Thomas Chatterton, entrevu lors du terrifiant premier séjour. Elle est accompagnée d'un marin au trouble passé amoureux, et de sa boulimique Tantine. Etrange trio pour une étrange expédition, où les attendent des fantômes de toutes sortes et de rocambolesques épreuves. La sensualité affleure à toutes les pages ; la débauche est quasi-constante. L'auteur semble d'ailleurs prendre un plaisir particulier à évoquer les parties fines de la Tantine, sa plus voluptueuse création… La jeune Deirdre, on s'en doute, ressortira transfigurée d'une telle aventure : avec une vigueur retrouvée… et déniaisée.

Dans « Les Dieux demeurent », changement d'époque, on est sous le Bas-Empire, Constantin vient de reconnaître le christianisme comme religion officielle de Rome, une parmi d'autres. L'Âge d'or est loin cependant, Saturne et Janus ne règnent plus sur le Latium. Les temps sont durs pour les anciens dieux et les esprits de la nature. Il y a Nod, l'esprit du blé qui s'ignore, dont l'œil égrillard ne peut se satisfaire des visions étriquées des chrétiens ; il y a Dylan, un Roane réduit à l'esclavage ; il y a Stella et Tutelina, les avatars d'on ne sait quelles déités de la nature. Les trajectoires des protagonistes vont se croiser au cours d'une mémorable orgie. Mis en fuite par les tenants de la nouvelle foi, ils embarquent pour l'utopie d'Envers-Monde, un voyage aux étapes mouvementées. Styx, labyrinthe, royaumes souterrains, gardien à trois têtes, mers déchaînées, pirates tritons et sirènes aux féroces appétits, courses-poursuites et coïts effrénés, toute la mythologie y passe, avec un je-ne-sais-quoi de suranné, de lyrique, de délicieusement lubrique. Ça change du tout-venant de la fantasy, où on ne voit pas l'ombre d'une verge ou d'un téton, tout le monde étant terriblement occupé à sauver le monde.

Malice, magie des sens et magie des mots, Thomas Burnett Swann réussit dans La Forêt d'envers-monde la parfaite combinaison entre humour, culture et plaisir. Un roman à lire comme il a été écrit : avec générosité.

Sam LERMITE

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