Onze mois après la sortie des Scarifiés (même éditeur), et alors que nous arrive la réédition poche (Pocket) des deux volumes de Perdido Street Station, voici donc le nouveau China Miéville sous une couverture signée Alexis Lemoine du plus bel effet. Nouveau ? Pas tant que ça, en fait, puisque Le Roi des rats est le premier roman (publié en 1998 au Royaume des Sex Pistols) de celui que la presse anglo-saxonne ne cesse d'encenser dès qu'il aligne deux mots (comment ? comme Charles Stross ! ?), l'homme qui rafle les prix littéraires plus vite que la lumière. Difficile donc d'imaginer trouver ici la justification d'un tel engouement (sauf à espérer que le premier roman de Miéville soit plus abouti que les deux suivants, ce qui est toujours possible mais peu probable), ce qui ne signifie pas qu'on ne puisse s'attendre à un bon moment de lecture avec le présent bouquin.
Verdict ?
Après quelques jours passés sous la tente, dans la campagne du Suffolk, Saul retourne à Londres, dans la demeure familiale qu'il occupe avec son seul père, sa mère étant décédée en le mettant au monde. Parce que les relations entre le père et le fils n'ont pas l'air simple, parce qu'il est crevé et qu'il préfère éviter une confrontation qu'il imagine pénible, Saul regagne directement sa chambre en évitant de déranger son paternel, qui, visiblement planté devant la télé, ne l'entend pas rentrer. Après une nuit de plomb, c'est le brutal martèlement des flics à sa porte qui réveille Saul. Il est six heures du matin, son père vient d'être retrouvé à l'état de steak tartare sur le trottoir après un passage éclair à travers la fenêtre du salon… L'univers quotidien de Saul vient d'en prendre un sacré coup, et ce n'est que le premier. Ainsi, sitôt emprisonné, après s'être vu accusé du meurtre de son géniteur, Saul rencontre un drôle de type débarqué dans sa cellule sans que personne ne le remarque. Un type dont il ne parvient pas à distinguer le visage. Un type qui a tout du clochard faisandé. Un type qui pue comme une rue marseillaise après un mois de grève du service des éboueurs. Un type qui affirme à Saul qu'il est sorti du monde. Un type qui prétend qu'il peut aller où il veut, que rien ne peut le retenir. Un type qui affirme être un roi, le Roi des rats… Et le pire, c'est que c'est vrai ! L'initiation peut débuter. Saul va se transformer en arme, la seule à même de venir à bout du plus mortel des ennemis du Roi des rats — un certain joueur de flûte ayant fait un tabac quelques siècles plutôt en Allemagne…
On l'a dit : nous sommes en présence du premier roman de China Miéville. Point donc ici de Nouvelle-Crobuzon, cycle dans lequel s'inscrivent tous les romans de l'auteur depuis Le Roi des rats, à savoir Perdido Street Station et Les Scarifiés pour les titres disponibles en français (le troisième opus, Iron Concil, étant attendu pour 2008 au Fleuve Noir). Exit aussi ce mélange de science-fiction, de fantasy et de fantastique caractéristique du cycle précité : on se contentera d'une fantasy urbaine mâtinée d'horreur. Exit enfin Crobuzon elle-même, la monstrueuse mégalopole étant ici remplacée par Londres. Ainsi donc retrouve-t-on, dès son premier roman, la fascination qu'exerce sur Miéville l'environnement urbain. Et finalement, c'est là qu'achoppe Le Roi des rats. En effet, quoique les trois premiers livres de Miéville soient tous très différents, ils fonctionnent sur le même mode : une plongée initiatique au cœur du côté obscur d'une cité tentaculaire. Crobuzon pour Perdido…, Armada pour Les Scarifiés, Londres pour Le Roi des rats. Sauf que si Crobuzon et Armada fascinent, il en va différemment du Londres de Miéville.
Londres n'est pas Gotham (en dépit des nombreuses références à Batman qui émaillent le récit), pas plus que Miéville n'est Neil Gaiman. L'auteur aura beau faire, accumuler les descriptions, les ambiances, les couleurs, le Londres qu'il nous dépeint échoue a acquérir toute dimension mythique, au contraire de celui que Gaiman exposait avec une exceptionnelle réussite dans le non moins remarquable Neverwhere (Neil Gaiman signant là, lui aussi, son premier roman solo, un bouquin qui, comme celui de China Miéville, parut outre-Manche en 1998…).
Faut-il pour autant passer à côté du Roi des rats ? Pas nécessairement. Car en dépit de quelques longueurs agaçantes, de références et d'ambiances musicales destinées aux seuls amateurs de techno et de jungle, sans oublier une traduction française répétitive et peu inspirée, le livre n'en reste pas moins plaisant — principalement du fait du « méchant » de l'histoire, fort convaincant, et grâce à quelques scènes tout ce qu'il y a de spectaculaires. Voici en somme une réécriture moderne du Joueur de flûte d'Hamelin digne d'intérêt mais qui reste ce qu'elle est : un premier roman aux ambitions avouées mais inabouties.