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Les critiques de Bifrost

Mine de rien

Mine de rien

Roland C. WAGNER
L'ATALANTE
336pp - 18,50 €

Bifrost n° 44

Critique parue en octobre 2006 dans Bifrost n° 44

La vie de détective privé n'est pas de tout repos, surtout lorsqu'on est en 2064 et qu'on s'appelle Temple Sacré de l'Aube Radieuse — Tem, pour les intimes. Odon, ancien gourou passé maître dans l'art de la manipulation mentale et du lavage de cerveau, s'est évadé de la prison de haute sécurité où il était enfermé. Et comme c'est le détective « transparent » au chapeau vert fluo qui avait conduit à l'arrestation du vilain, c'est lui que vient voir le célèbre commissaire Trovallec. Tem accepte même de collaborer officiellement à l'enquête, à la demande de son ancien ennemi… Aussitôt après l'évasion, un horrible massacre est commis en région parisienne, assorti d'une menace de mort à l'attention de notre héros. Tout indique qu'Odon est responsable de la tuerie, mais lorsque Tem se fait enlever par l'ennemi public numéro 1, il comprend que les choses ne sont pas aussi simples qu'elles en ont l'air. Il lui faudra compter avec la Nakimeraï, puissante transnationale, le Weltraumball, un sport collectif joué en apesanteur par des athlètes dopés jusqu'aux yeux, une série TV de S-F érotique, et bien entendu les Archétypes de la Psychosphère, à commencer par son adversaire de toujours, Celui-qui-n'est-pas-nommé. Heureusement que Tem est bien entouré — sa compagne, un fumeur de zamal, des entités informatiques dématérialisées — car le détective privé doit aussi mener en parallèle des enquêtes de routine (quoique…) pour son agence en pleine croissance.

À la lecture de ce neuvième tome du cycle phare de Roland C. Wagner, on pourrait avoir l'impression d'une série qui ronronne, voire qui fait du surplace. Il est vrai que Mine de rien ménage peu de surprises : la même narration à la première personne, entrecoupée de récits d'autres protagonistes, met en scène l'habituelle galerie d'humains aux patronymes invraisemblables et de « W-Men » bariolés — changeformes, Tête de Crâne, Baron Roux, Esprit Chat, fantomas, et naturellement le fameux détective transparent (à ce propos, le prologue jouant sur le talent de Tem est réellement savoureux). Le futur tendance baba cool loufoque imaginé par Wagner n'évolue pas beaucoup, l'auteur se contentant d'ajouter çà et là dans le décor quelque nouvel élément (on apprécie particulièrement la « Tribu des Gros Fainéants », sans parler des règles délirantes du Weltraumball) et de l'enrichir par la bande via de menues allusions à l'actualité récente (l'Inde comme puissance émergeante, vidéosurveillance, débat sur la gratuité…). La nouvelle enquête de Tem ne repose pas sur une idée science-fictive forte (comme par exemple celle qui sous-tendait La Balle du néant, mélange de physique quantique et de crime en chambre close), mais sur une trame classique se déroulant dans un univers à présent bien rodé. Et si le lecteur a tout de même droit à quelques révélations sur la Psychosphère et la Grande Terreur (ainsi que le LSD et le premier pas sur la Lune), elles restent distribuées avec parcimonie.

Certes. Sauf qu'en définitive, là n'est pas la question. Car Wagner œuvre avant tout en bon feuilletoniste qu'il est (démarche assumée dès les origines par le titre de la série) : c'est à travers des histoires individuelles qu'il enrichit son univers et développe ses personnages. Car la série repose sur des protagonistes qui ont désormais suffisamment vécu pour exister par eux-mêmes sans que l'auteur ait besoin de les pousser beaucoup, tout en possédant un background extrêmement solide. C'est particulièrement flagrant dans cet opus où l'auteur fait référence à la plupart des précédents romans et à quelques nouvelles. Voilà pourquoi on aborde un nouveau roman des « Futurs mystères de Paris » avec une gourmandise toujours renouvelée : parce que l'effet de réel joue à fond de manière totalement naturelle — un comble, pour un futur si différent du nôtre. On se gardera d'insister sur les autres qualités ; après tout, au bout de neuf tomes, elles sont connues — un univers original, attrayant de par son optimisme et son humanisme sans naïveté, ainsi qu'un style fluide alternant action rondement menée, dialogues efficaces et images saisissantes (j'ai un faible pour le « chou fractal » à demi dépiauté de la page 28).

Corollaire toutefois inévitable : le lecteur novice qui prendrait le train en marche risque fort d'être désarçonné. Bon, au pire aura-t-il envie de découvrir l'ensemble du cycle, et c'est vraiment tout le mal qu'on lui souhaite. D'autant qu'avec la récente réédition de Tekrock, l'Atalante propose maintenant la série, romans et nouvelles, quasi complète (ne manque plus que Toons), illustrée par un Caza inspiré, ce qui ne gâte rien.

Philippe HEURTEL

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