Laurent QUEYSSI
LES MOUTONS ÉLECTRIQUES
272pp - 15,00 €
Critique parue en octobre 2006 dans Bifrost n° 44
Harry est une grenouille au cerveau modifié capable de parler. Mieux, Harry est capable de tenir une conversation, d'écrire des romans de gare et de tomber amoureux de sa secrétaire qui s'apprête à convoler en justes noces avec un… humain, cela va de soi. Harry, qui habite Paris, dans le 18e, et se promène parfois sur de grandes jambes cybernétiques, est connu dans le monde entier non seulement parce qu'il est doué de parole, mais aussi grâce à sa série Neurotwistin', des romans d'espionnage bas de gamme, psychépop, très Chapeau melon et bottes de cuir pour tout dire, dans lesquels Mary Gentle, Brian Taylor et les autres membres de l'unité 3 poursuivent un étrange terroriste, surnommé à juste titre « le Magicien ». Évidemment, Laurent Queyssi a bien potassé son Maître du haut château pour les nuls, et peu à peu se dessine un lien entre la genèse d'Harry la grenouille bavarde et les événements narrés dans sa série d'espionnage Neurotwistin'.
En mars et avril 2006, les Moutons électriques publiaient (selon leurs dires) deux premiers romans français : Manhattan Stories de Jonas Lenn et Neurotwistin' de Laurent Queyssi. Dans les deux cas, il y a déception et légère tromperie sur la marchandise : Manhattan stories est un recueil de quatre enquêtes avec un personnage et un décor récurrents ; Neurotwistin' est l'expansion maladroite, étonnamment falote, d'une nouvelle plutôt sympathique (publiée dans l'anthologie Passés recomposés, aux éditions Nestiveqnen). Malgré le syndrome du chewing-gum étiré au point d'en perdre toute saveur, subsistent quelques petites choses formidables dans Neurotwistin' version longue, des détails qui font mouche, des réflexions qui hisseraient le récit si celui-ci était présent, mais patatras !, d'histoire intéressante on ne trouve point dans ces 272 pages. La vie d'Harry est certes pleine d'anecdotes croustillantes, de tendresse (n'ayons pas peur du mot), mais elle laisse trop la place à sa série Neurotwistin', poussive, dont l'intrigue à logique floue tient plus des Monty Python victimes d'une gastro-entérite carabinée que de John Le Carré.
Neurotwistin', premier roman sympathique et raté, où apparaissent entre autres Kim Philby et Jerry Cornélius, peut cependant se targuer d'une qualité essentielle : il nous rappelle la vaillance de deux de ses nombreuses sources d'inspiration : Le Programme final de Michael Moorcock et Les Puissances de l'invisible de Tim Powers. Au final, on oubliera sans mal ce premier roman anecdotique, tout en gardant à l'esprit que Laurent Queyssi est désormais un auteur à surveiller.