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Les critiques de Bifrost

Critique parue en octobre 2006 dans Bifrost n° 44

« Dans les rues de Manchester, battues par la pluie et infestées d'ombreflics, errent les Chevaliers du Speed, une bande de déjantés accros aux plumes Vurt, la meilleure drogue qui se puisse rêver… » (extrait du quatrième de couverture).

Parmi ces déjantés se trouve Scribb, qui, lors d'une plongée dans le Vurt, a perdu sa sœur et amante (c'est ce qu'on appelle de l'inceste). Il a donc échangé, bien malgré lui, Desdémone contre un extraterrestre gélatineux portant le doux nom de Curious Yellow, car c'est la loi du Vurt, la loi de Hobart : toute chose abandonnée dans le Vurt est remplacée dans le monde réel par une chose de valeur équivalente. Pour Scribb, le présent et le futur sont d'une étonnante facilité et d'une vertigineuse complexité, il faut qu'il retrouve sa sœur, voilà pour la facilité, et elle est prisonnière du Vurt, voilà pour la complexité.

Vurt est un bon livre, moins complexe, moins barré que Pollen, mais tout de même très au-dessus de ce que les éditeurs de science-fiction nous proposent d'habitude. Evidemment, à ce stade de la critique, j'entends d'ici l'éditeur Mathias Echenay hurler que Jeff Noon écrit « trop bien » pour être catalogué dans la science-fiction, ou du moins être jugé à l'aune du genre. Soit, jugeons donc Vurt à l'aune de la littérature dite générale. Et là, le constat est sans appel : dans le genre bande de jeunes vivants en communauté et amateurs de baise, musique pop et défonce, Vurt fait pâle figure comparé au Trainspotting d'Irvine Welsh (disponible en poche au Seuil), à La Belle affaire du génialissime T.C. Boyle (disponible en poche chez Phébus) ou à Génération X de Douglas Coupland (disponible en poche chez 10/18). Ce qui est original dans Vurt, ce n'est pas le côté jeunes qui se défoncent et glandouillent, mais évidemment le fait qu'ils agissent ainsi en se connectant à un monde onirique répondant à des règles qui, bien qu'à géométrie variable, ont le bon goût d'exister. En conséquence, je dirais que Vurt est un bon livre de science-fiction (ou de fantasy urbaine, à la rigueur), très agréable à lire.

Reste que la traduction de ce bon livre me pose personnellement un problème, et je mets le doigt de façon ostentatoire sur l'adverbe « personnellement ». Il y a deux façons de traduire un roman anglo-saxon. La première c'est de rester au plus près du texte, de mettre de nombreuses notes de bas de page pour ne pas perdre les lecteurs tout en espérant que ceux-ci possèdent les rudiments d'anglais qui leur permettront d'apprécier l'ironie de certains noms de personnages (Curious Yellow, par exemple), des lieux ou des titres de chansons. C'est le choix qu'a fait Marc Voline, recevable, là n'est pas la question. Et puis il y a une seconde méthode, qui relève davantage de l'adaptation (Frodo devient Frodon, Bilbo devient Bilbon, etc.), c'est le choix qu'a récemment fait Michel Pagel en traduisant le faux-diptyque American Gods/Anansi Boys — ainsi Spider est devenu Mygal, Shadow est devenu Ombre, et j'en passe. En tant que lecteur (et surtout, en tant qu'éditeur), je préfère la seconde méthode, car je pars du principe qu'une traduction de l'anglais vers le français est un texte qui doit donner l'illusion d'avoir été écrit en français. Les traductions de Pollen et Vurt par Marc Voline ne sont pas de mauvaises traductions, mais un travail d'une grande compétence qui résulte d'un choix qui divise éditeurs et auteurs depuis l'aube des temps… et les divisera jusqu'à la fin de ces derniers.

Pour conclure, si vous n'avez jamais lu Jeff Noon, commencez par Vurt, la meilleure entrée en matière possible à la tempête sensorielle baptisée Pollen.

Gilles DUMAY

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