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Pierre STOLZE

Photo de Pierre STOLZE

Né le 12 avril 1952 à Metz, Pierre STOLZE est un ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de la Rue d’Ulm.
Auteur de 15 romans dont Cent Mille Images (Prix Rosny Aîné 1991) et La Maison Usher ne chutera pas (Prix Fantastic’arts 1999), ce professeur de lettres classiques est aussi à l’aise avec le roman jeunesse (série d’Isidore, 4 romans paru à ce jour) que la biographie (Marilyn Monroe, la Star Absolue) ou le récit historique (Georges, Simone et Salomon – Histoire d’un Réseau de Résistance, Prix Victor Hugo 2009).

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Bifrost n° 64

C’est étrange comme les paysages les plus tristes, ternes, si pathétiquement humains, acquièrent dans leur déroulement, vus de la fenêtre du train qui nous emporte, un intérêt singulier. Les plans successifs s’animent sur le ciel immobile. Tout un décor de théâtre élisabéthain se met en branle, là, sous mes yeux. Et rien ne peut plus tout à fait être désigné comme laid ou vide, pas même les champs sans fin ou les banlieues en grisaille.

Alors que la tête de mon horripilante filleule tangue contre ma cuisse — que, dans sa somnolence, elle a dû confondre avec l’accoudoir —, je songe aux précipitations de notre globe dans l’espace, à ses girations terribles, et je me dis que si nous en avions conscience, hurlant notre terreur comme la filleule hurlant à mon oreille à bord d’un wagonnet de montagnes russes, nous prêterions plus d’attention à ce monde et à nous même…

Jérôme Noirez
Faire des algues

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Bifrost n° 63

Quelle belle ville ! se disait Bjska. A la contempler, on ne pouvait que remarquer cette qualité irrésistible. En tant que Médecin de Ville appelé à la traiter, il trouvait cette beauté déchirante. Sans cesse, il songeait aux individus qui tenaient cet endroit pour leur chez-soi, ces deux cent quarante-et-un mille humains tous confrontés à la perspective de devenir de simples sans-abris. Depuis la péninsule boisée protégeant le port, le regard de Bjska franchissait un bras d’eau. La chiche lumière de la fin d’après-midi prêtait au paysage une dominante rouille. Il cherchait des défauts, mais, à cette distance, on ne voyait même pas les rapiéçages appliqués avec goût. Pourquoi m’a-t-on choisi pour ce travail ? s’interrogea-t-il. Si seulement ces imbéciles avaient bâti une ville laide !

Frank Herbert
Mort d’une ville

Épuisé  

Bifrost n° 62

Il n’est aucun paysage africain plus grandiose que le pic neigeux du formidable Kilimandjaro, le point culminant du continent. On a tué le plus massif des éléphants connus sur son versant méridional, et pour les miens, Enkaï, notre dieu, résidait à son sommet. Par temps clair, on aperçoit ce mont de cent kilomètres à la ronde. Jadis, il accueillait un million d’animaux en sus du peuple masaï. Sous les acacias se côtoyaient l’éléphant, le buffle et le rhinocéros, tandis que le lion et le léopard guettaient l’antilope sans méfiance près des points d’eau. Nos manyattas couvraient les méplats de ses pentes.

Tout cela remonte au lointain passé. Il n’y a plus d’animaux sur la montagne, ni guère de gens. De nos jours, les Masaïs habitent l’autre Kilimandjaro, dont on m’a chargé de vous parler.

Mike Resnick
Kilimandjaro

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Bifrost n° 62

Il n’est aucun paysage africain plus grandiose que le pic neigeux du formidable Kilimandjaro, le point culminant du continent. On a tué le plus massif des éléphants connus sur son versant méridional, et pour les miens, Enkaï, notre dieu, résidait à son sommet. Par temps clair, on aperçoit ce mont de cent kilomètres à la ronde. Jadis, il accueillait un million d’animaux en sus du peuple masaï. Sous les acacias se côtoyaient l’éléphant, le buffle et le rhinocéros, tandis que le lion et le léopard guettaient l’antilope sans méfiance près des points d’eau. Nos manyattas couvraient les méplats de ses pentes.

Tout cela remonte au lointain passé. Il n’y a plus d’animaux sur la montagne, ni guère de gens. De nos jours, les Masaïs habitent l’autre Kilimandjaro, dont on m’a chargé de vous parler.

Mike Resnick
Kilimandjaro

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Bifrost n° 61

« C’est vous qui nous avez envoyés ici — tisser vos toiles, construire vos portails magiques, enfiler le chas de l’aiguille à soixante mille kilomètres/seconde.

On bosse pour vous. Pas question d’arrêter, ni même d’oser ralentir, de peur que la lumière de votre venue ne nous réduise en plasma. Tout ça pour que vous puissiez sauter d’une étoile à la suivante sans vous salir les pieds dans ces interstices de néant infinis.

Serait-ce donc trop demander que vous nous adressiez la parole de temps en temps ?

L’impact de l’évolution, du génie génétique, je connais. Je sais à quel point vous avez changé. J’ai vu ces portails donner naissance à des dieux, des démons, des choses qu’on ne peut espérer comprendre et dont je doute qu’elles aient un jour appartenu à l’espèce humaine : des extraterrestres brûleurs de dur, j’imagine, profitant des rails posés derrière nous.

Des conquérants.

Voire des exterminateurs. »

Peter Watts
L’Ile

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Bifrost n° 60

« Le nettoyage de camp de manouches, c’est toujours la plaie. T’y vas pour récupérer des bagnoles volées, t’as le signalement des gars qu’y faut taper, t’as même une idée de la disposition des lieux et quand tu finis enfin par rentrer, t’as pas une voiture plus récente qu’une Skoda de 1980 et tes gars, y s’sont déjà fait la tchave y’a belle lurette.

Entre-temps, toi, tu t’es fait caillasser par des minots, les femmes t’ont balancé des tampax usés à la gueule, et puis bon… tu sais jamais comment ça peut dégénérer avec eux. Tiens ! Une fois, dans un camp, on a retrouvé cinq AK47 et dix-huit grenades défensives. Non mais t’imagines ? Si y s’en étaient servis, ces barjos ? On aurait pas eu l’air con avec nos balles en plastique, tiens ! »

Eric Holstein
Enculés !

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Bifrost n° 59

A son réveil, un matin, B. fut étonné de trouver Shepperton désert. A 9 heures, il entra dans la cuisine, surpris de constater que ni le courrier ni les quotidiens n’avaient été distribués, et qu’une panne d’électricité l’empêchait de préparer son petit déjeuner. Il regarda pendant une bonne heure la glace fondue suinter du réfrigérateur, puis sortit pour aller se plaindre à son voisin.

 

Bizarrement, la maison de son voisin était vide. Sa voiture était toujours dans l’allée, mais la famille entière — mari, femme, enfants et chien — avait disparu. Encore plus étrange, la rue était emplie d’un silence parfait. Aucune circulation sur l’autoroute proche et aucun trafic aérien autour de l’aéroport de Londres. B. traversa la chaussée et frappa à plusieurs portes. A travers les fenêtres, il pouvait voir les intérieurs vides. Tout, dans cette paisible banlieue, était à sa place, exception faite de ses habitants.

 

James G. Ballard

« Autobiographie secrète de J. G. B.****** »

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Bifrost n° 58

C’est cette année-là que les Bouches se sont ouvertes. Deux d’abord, une au-dessus du Pacifique et une autre au milieu de la mer de Chine. Rien de grave pour la sécurité mondiale : ce qui en sortait, la plupart du temps, tombait dans un grand « plouf », se débattait quelques secondes avant de se noyer. L’avantage d’avoir beaucoup d’océans…

Le choc a été brutal pour les grandes religions : le choc de l’innocence perdue. Par contre, pour un paquet de sectes, ça a été du pain bénit, tous ces aliens qui déboulaient sur notre belle planète bleue. Mais ensuite, même elles ont été débordées. Trop de variété, trop de biochimies, trop de langages différents… trop tout court. Car d’autres Bouches se sont ouvertes sur la terre ferme.

Par dizaines.

Laurent Genefort
Rempart

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Bifrost n° 57

La femme avançait en trébuchant dans le long couloir, trop fatiguée pour courir. Elle était grande, pieds nus, et portait des vêtements déchirés qui n’auraient pu dissimuler sa grossesse très avancée.

La vue brouillée par la douleur, elle aperçut une lumière bleue familière. Un sas. Elle n’avait plus d’autre endroit où aller. Elle ouvrit la porte, la franchit et la referma derrière elle. Elle se tourna vers la porte extérieure, celle qui donnait sur le vide, puis se hâta d’actionner les quatre manettes de déverrouillage. Au-dessus de sa tête, une tonalité d’avertissement retentit, discrète et rythmique. La porte extérieure restait désormais fermée grâce à la pression de l’air dans le sas et il faudrait la verrouiller à nouveau pour débloquer la porte intérieure. Elle entendit du bruit dans le couloir, mais elle se savait en sécurité. Tenter de forcer la porte extérieure déclencherait assez d’alarmes pour attirer la police et le service de l’air.

Ce n’est qu’en sentant ses tympans éclater qu’elle s’aperçut de son erreur. Elle voulut hurler, mais son hurlement s’éteignit très vite quand le dernier souffle d’air se rua hors de ses poumons. Elle continua un certain temps à marteler sans bruit les parois métalliques, jusqu’à ce que le sang lui coule du nez et de la bouche. Le sang faisait des bulles. Au moment où ses yeux commençaient à geler, la porte extérieure pivota vers le haut, lui dévoilant le paysage lunaire…

John Varley
L’Homme à la Cloche

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Bifrost n° 55

Elle gît, couverte de givre, dans une grotte de glace. Sa pose est si inconfortable qu’elle pourrait lui avoir été soufflée par Rodin en personne : en partie appuyée sur son côté gauche, les épaules plaquées à la paroi, elle lève le coude droit au-dessus de la tête, la main pendue devant son visage. Sa jambe gauche est complètement enterrée.

[…]

Sous sa couche de glace, ce qui apparaît de ses traits n’est pas déplaisant, mais pas frappant de beauté non plus. Elle semble avoir une vingtaine d’années. De multiples fissures courent sur les murs et le sol. Au plafond, les stalactites chatoient tels des bijoux dans la lumière que les parois reflètent en un cycle infini. Le terrain présente une pente graduée, aussi la statue, en son point culminant, confère à tout l’endroit un vague air de tombeau. Quand parfois les nuages se fendent à la tombée du soir, le couchant baigne sa silhouette d’un éclat rougeoyant.

[…]

Le tableau d’ensemble pourrait laisser croire qu’il s’agit là d’une pauvre infortunée prise au piège et morte de froid, plutôt que la statue de la déesse vivante qui se tient à l’endroit où tout a commencé.

Roger Zelazny
Permafrost

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