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Et après ?

« Omphale, ma douce femme aux cavernes profondes, comment les hommes t’ont-ils traitée pour que ton ventre demeure aussi stérile ? Pourquoi nos socs et nos semences n’arrivent-ils plus à féconder ton corps ? Qu’adviendra-t-il si se tarit le flux raréfié de tes eaux noires ?

« Omphale, femelle marâtre, tes lèvres avides nous dévorent, mais si tu cesses de remplir ton rôle de mère nourricière, la mort te prendra toi aussi, la mort blanche à l’affût sur la frontière, juste derrière la barrière d’oyats, la mort solaire, compagne du désert sans merci… »

 

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La Femme est l’avenir de l’homme

Elles ont ouvert ma boîte.

Les filles.

J’avais dit : on me réveillera le jour où la violence aura cessé de régir ce monde.

Quand je suis sortie de la phase cristalline, quand j’ai cessé de ressembler à une gourde engourdie (à mon âge, difficile de réapprendre à boire, à marcher, à pisser, à parler quasi une nouvelle langue), elles m’ont expliqué d’un air réjoui : le problème de la Terre, c’était les hommes. Nous l’avons résolu, il n’y a plus d’hommes.

Elles ont ajouté : tu es notre mère à toutes. La fondatrice de ce nouveau monde. Si tu n’avais pas trouvé les moyens de la parthénogenèse, la race humaine se serait éteinte, minuscule accident de l’évolution, arrivé au bout de son cul-de-sac.

Plus d’hommes.

Dans ma gorge, l’angoisse et le chagrin enflaient, douloureux, impossibles à déglutir. La parthénogenèse avait été conçue pour pallier le déficit des naissances de filles. On réserverait ainsi le clonage infiniment plus aléatoire et coûteux aux naissances de garçons, en attendant d’avoir résolu le problème de l’infertilité masculine, devenu critique dès le milieu du troisième millénaire.

J’avais été si sûre de moi dans les premiers moments de ma trouvaille. Si gonflée d’orgueil. Si persuadée d’être celle qui permettrait le sauvetage de l’humanité.

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La Journée de la guerre

« Non ! Je vous en supplie, pas elle ! »

Murmure. Il n’a plus de cris. Trop de douleur. Sa voix s’est cassée. Dans sa bouche, le goût du sang, âcre, rouillé.

Le grand sans oreilles se penche sur lui. C’est le pire : il affecte d’être gentil. Il secoue toujours la tête d’un air affligé quand ses acolytes torturent.

« Pas elle ? dit sa voix douce. D’accord. Mais tu nous dois des réponses. »

Idris s’agite dans ses liens. À quoi bon répéter pour la millième fois qu’il ne sait rien, qu’il ignore jusqu’au sens de leurs questions. Il répète, pourtant. De sa voix qui s’est cassée. Son chuchotement a la force d’un cri.

Peine perdue. Ils se sont mis à trois. Devant lui, ils la violent. Sa fille, sa Leïda, son bébé, la chair de sa chair. Onze ans à peine.

Il voudrait être aveugle. Il voudrait être sourd. Il voudrait être mort. Jamais avant ce jour il n’avait imaginé la mort comme une délivrance. La fin de ce qui n’est pas supportable. Est-il lâche de souhaiter le néant ?

 

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Pur esprit

A quoi se raccrocher, dans le néant ? Lourèn Aditi n’est que pleurs, elle essaie d’imaginer la sensation des larmes sur ses joues, le nœud des sanglots qui étrangle sa gorge, mais elle n’a plus de joues ni de gorge.

Il lui semble entendre sa voix gémir : « Dieux de miséricorde, réveillez-moi de ce cauchemar. »

Sa voix, à l’intérieur d’elle-même.

Mais elle sait bien qu’il n’y a plus ni intérieur ni extérieur, qu’elle est désormais sans cris, qu’elle ne pourra pas appeler au secours, ni marteler la porte d’une prison matérielle, ni tambouriner jusqu’à l’arrivée d’un geôlier excédé.

Il m’a mise en réserve, se dit-elle, terrifiée. Il n’a tué que mon corps. Je suis sûre qu’il se sent à peine coupable. Qu’est-ce qu’un corps, sinon un amas de chairs reproductibles à l’infini ?

Peut-on survivre réduit à sa mémoire ? se demande Lourèn Aditi qui corrige aussitôt : ce n’est pas ma mémoire, non. Juste une copie. Kish Nergal, tu m’as bien assassinée, corps et âme. As-tu conscience d’être un meurtrier ?

Oui. Oh ! oui. « Ne m’oblige pas à te tuer », n’est-ce pas ce que tu disais ?

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Avatar

Je la regarde. Elle est mon temple, et ma source, et l’autel de mon sacrifice. Je la regarde et mon ventre se tord et me brûle. J’ignorais avant de la trouver que l’amour c’était aussi la douleur.

Elle dort, mais jusque dans le sommeil elle ne connaît pas le repos. Ses membres ont le mouvement lent d’un grand poisson des profondeurs dans le sombre océan de nos draps bleu de Chine.

Elle est si blanche. Je tremble à l’idée de la perdre. Je rêve souvent que son corps tombe en cendres entre mes doigts. Elle boit mon cri sur ma bouche et me berce. Je suis forte, me dit-elle. J’ai survécu. Et maintenant, tu es là : rien ne peut plus m’arriver.

Elle dit cela, et ses yeux sont froids et solides, et je détourne mon regard. Je voudrais la croire. Natassia, ma survivante. Natassia, au nom d’emprunt choisi pour les faux papiers qui ont sauvegardé sa fuite. Natassia qui assure : je n’ai plus de nom. Ma vieille identité est restée là-bas, au Kazakhstan, avec mon sang et mes larmes.

Je regarde courir sur sa peau les serpents de nacre des cicatrices et je pleure, honteux de mon insistance, de ma volonté de tout savoir d’elle, jusqu’aux sévices passés. Je voudrais connaître l’identité de ses bourreaux, les traquer, puis les marquer un à un, comme ils ont marqué tant de petites filles, en promenant longtemps sur elles un fer rougi au feu.

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La Déesse noire et le diable blond

[Tu m’as tué.]

Les mots crépitent, s’estompent, reviennent, leitmotive obsédant.

[Tu m’as tué.]

 

Va-t’en, sale rêve ! Dégage ! Je dors ! Je dors ! Je dors ?

Ses bras, ses jambes, serrés, groupés. Position du fœtus. Autour d’elle, la douceur des draps entortillés. Tirer un pan de leur cocon jusqu’au crâne. Réfugiée. Protégée.

 

[Tu m’as tué.]

Ses mains se plaquent à ses oreilles. Impuissantes. La phrase accusatrice revient et cette fois se poursuit.

[Tu m’as tué, Andria Diou Del Logo. Sors de ce sommeil insupportable ! J’ai soif de tes sens. Je veux ta vie.]

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Hydra

Hellas touche ses yeux, incrédule, terrifié de les trouver aussi secs que le corps de Lyse. Penché sur sa femme, il la fixe de ses yeux secs jusqu’à ce qu’ils le brûlent. Il voudrait pleurer, pleurer encore, arroser de ses larmes les seins, les épaules, le visage flétris de son amour perdu, mais il demeure immobile, courbé comme une pietà de plâtre, stérile, tari.

J’ai peur.

Le goût du sang vient sur sa langue et il s’aperçoit que ses dents ont scellé ses lèvres. Il n’a plus de bouche. Il ne veut plus avoir de bouche. Il doit réfréner les cris qui montent en lui. Il les mord avant qu’ils ne sortent.

Tais-toi, tais-toi, ou tu embrasseras la révolte et l’horrible folie te prendra, comme elle a déjà pris tes amis.

Il est vain de menacer le dieu impie qui vole toute l’eau de leurs femmes.

Dieu d’eau. Qui donne la vie, la mort et la folie.

Lyse, ne me laisse pas seul sur la rive, seul devant l’Autre, tout seul à décider de vivre ou de mourir.

Il soulève le corps dont il a tant aimé la souplesse et qui n’est plus que brindilles cassantes. Les bras de Lyse se ferment sur sa taille, ses yeux engloutis le fixent, sa bouche craquelée s’ouvre et, au fond de la cavité obscure, il voit la langue de sa femme bouger tel un animal prisonnier.

Deux mots chuintent, forcés contre le palais asséché :

« Emmène-moi. »

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Cendres

Réfugiée dans ma case. Porte et volet fermés. Les ténèbres rabattues sur moi comme une chape protectrice. Je vous préviens, commandant, mon humeur est funèbre. Les hommes ! Votre rire résonne encore à mon oreille. » Vous avez peur de ces arriérées ? Elles ne s’apercevront de rien, je vous l’assure. »

Votre morgue n’a d’égale que votre infirmité à comprendre l’autre moitié de l’humanité ! Ces « arriérées » vous ont damé le pion, commandant. Il fallait réfléchir davantage à ce nom qu’elles ont donné à leur planète : « Cendres »… Vouer le passé aux flammes, ce n’est pas l’oublier.

Elles ont su tout de suite que le cristal greffé entre mes sourcils n’était pas un bijou scintillant. Vous serez sans doute déconfit d’apprendre qu’elles n’ont pas eu besoin d’exciser l’émetteur pour le neutraliser. Et guère plus heureux d’avoir trouvé ici matière à confirmer vos guerrières paroles : « Ça passe ou ça casse ! » Je vous ai détesté quand vous avez refusé de me fournir un autre système de com, mais elles l’auraient détecté : elles m’ont scanné entièrement. Elles ont extirpé l’enregistreur implanté dans mon bridge, et m’ont dit aussitôt, désinvoltes : « C’est l’affaire d’une heure, simple curiosité. Ensuite, on te le rend, puisqu’il ne permet pas d’émission à distance. » Je regrette que vous ayez manqué ce spectacle d’un ennemi à qui on a par négligence abandonné des armes et qui s’en réjouit. Je vous avais prévenu : si nous acceptons leurs consignes, pas d’infraction. Vous ne m’avez pas écoutée.

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Arthro

Quand je me réveille, j’ai mal, et je trouve un goût de rouille à ma bouche. Je porte une main tremblante à mes lèvres, touche à la source de la douleur, la trouve chaude, poisseuse, palpitante. Je regarde mes doigts, rouges de sang. Mes oreilles résonnent. Juste avant que je sois arrachée aux bras de Niki, il y a eu ce bruit géant de papier qu’on froisse et qu’on déchire…

Nikola ?

Je me soulève sur un coude et le découvre, affalé dans un angle de la cabine. Il a les yeux ouverts. Sa tête forme un angle impossible avec son cou. Silence. Cette brutale absence de bruit est plus atroce que le son qui s’accrochait encore à mes oreilles. C’est une colle épaisse où je m’enlise. Mon cri de déni m’en délivre.

Pas Niki ! Pas lui !

Je rampe jusqu’à mon ami, tire son corps à la tiédeur trompeuse, son corps trop mou, privé de souffle, son corps déserté. Sur mes lèvres, le sel de mes larmes dilue l’âcreté de mon sang.

Hébétée, je reste de longs instants penchée sur Nikola avant d’entendre des appels inquiets, au loin, dans la coursive. La cloison m’offre un appui providentiel pour me lever. Toute entière concentrée sur la source des voix, sûre de trouver bientôt auprès d’elle un réconfort, je refuse de m’interroger sur l’inclinaison des murs. Par chance, la porte n’est pas bloquée. Je hasarde quelques pas qui chancellent, Maritza me cueille d’une main ferme.

« Zoé ! Merci mon Dieu, tu es vivante !

– Niki… Nikola… »

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Imago

Prisonnier. Comme jamais. Son esprit enfermé dans son corps, et ce corps dans le noir. Ses yeux sont-ils ouverts ? Ses tentatives pour cligner des paupières ont échoué. Il a essayé de bouger ses bras, ses jambes, s’est aperçu qu’il ne lui en venait rien de plus qu’une sensation de membres fantômes… Ont-ils osé l’amputer ? La terreur l’engloutit, brutale, aveugle. Il voudrait hurler mais sa gorge rétive n’émet que des sons étouffés, indistincts. Seul son odorat est intact, qui lui livre une odeur animale, suffocante. Son corps ? Ces relents douceâtres s’exhalent-ils réellement de sa chair ?

Bloque ta respiration. Tu es paralysé. Si tu vomis, tu vas t’étouffer.

Il ne vomit pas. Reprend son souffle. Au moins, il respire, il ne mourra pas tout de suite. Qu’ont-ils inventé pour le torturer ?

Réfléchis. Tu as toujours su ce qu’ils te préparaient. En t’évadant. Jusque dans le coma, ton esprit savait aller chercher de quoi préparer tes ripostes.

Pas d’évasion, cette fois. Pourtant son corps est en éveil. Et si déplaisantes soient-elles, des sensations en proviennent. Il s’est trompé. Il n’est pas paralysé. Sa carcasse est capable de reptation. Assez pour qu’il éprouve à nouveau l’envie de hurler. Il est enfermé dans une sorte de sarcophage. Il lui suffit de se tortiller pour en éprouver les limites. Il hoquette, la gorge sèche, sûr qu’il commence à manquer d’air.

« La peur est meurtrière, chantonne en lui la voix de Maître Tengri. La peur est meurtrière. Quelle est la réponse à la peur, Victor Itzamma ?

– Contrôle et projection.

– Ne l’oublie pas. »

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