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Imago

Suite à la publication de L’Aube en 2022 et de L’Initiation en 2023 (cf. Bifrost n°108 et 112), la parution en février 2024 d’Imago, d’Octavia E. Butler, complète la trilogie « Xenogenesis » jusqu’alors inédite en français. Rappelons que c’est à Marion Mazauric, et à la maison d’édition Au Diable Vauvert, que l’on doit le retour en librairie, voire la découverte, des œuvres de cette grande dame de la science-fiction américaine à qui nous avions consacré le numéro 108 de notre revue.

On retrouve dans la trilogie les thèmes abordées par l’autrice dans l’ensemble de son œuvre, à savoir les mécanismes de domination sociale et l’évolution individuelle nécessaire sous la contrainte d’un changement de paradigme. Ici, la contrainte est d’une brutalité inouïe pour l’espèce humaine. En grande partie décimée par une guerre nucléaire entre nations, l’humanité, ou ce qu’il en reste, se voit proposer comme alternative à l’extinction de renoncer à son libre arbitre, à sa nature même, et de s’hybrider avec les Oankalis, une race extraterrestre aux connaissances en génétique avancées. C’est en véritable ethnologue, voire en xénologue, qu’à partir de cette proposition science-fictive, Octavia E. Butler étudie le devenir de l’humanité face à un mode d’existence, qu’il soit sociétal, familial ou individuel, qui lui est étranger. Comme toujours chez Butler, l’argument est complexe, et la palette des nuances n’autorise jamais le noir et blanc. L’Aube suivait les doutes et les choix de Lilith, femme noire américaine, traitresse et sauveuse de son espèce pour avoir accepté l’échange avec les Oankalis. L’Initiation avançait d’un pas en donnant à lire le point de vue d’Akin, premier enfant hybride de Lilith, un façonné.

Imago pousse plus loin les choses en nous livrant le récit de Jodahs, lui aussi fils de Lilith, lui aussi façonné, mais qui connaît une transformation non prévue par les Oankalis. Jodahs devient un ooloi, c’est-à-dire un individu ni homme ni femme, mais appartenant à ce troisième sexe spécifique à l’espèce Oankali, essentiel à leur reproduction et maître d’œuvre des hybridations. Un ooloi hybride, ni Oankali ni humain, qui représente cette fois-ci un changement de paradigme pour les Oankalis eux-mêmes. Par son intermédiaire, Octavia Butler nous fournit l’occasion d’en apprendre plus sur les Oankalis qu’on ne le soupçonnait précédemment, sur les contraintes qu’ils subissent. Jodah sera le véritable pont entre les deux espèces, offrant à l’une et à l’autre un nouvel avenir, différent de celui qui était jusque-là promis.

Parce l’autrice était noire américaine, de nombreux critiques ont voulu voir dans la trilogie une métaphore de l’esclavage et de l’histoire des Afro-américains. Octavia Butler réfutait l’explication. « Xenogenesis » est une histoire d’invasion extraterrestre et d’altérité profonde, touchant au corps, aux rapports entre individus de sexes différents, à la famille et à l’organisation sociale. Intelligente et saisissante de singularité. Imago en est la parfaite conclusion.

Couper les ponts

Voilà bien longtemps que nous n’avions plus eu de nouvelles de Christophe Langlois, aussi est-ce un grand bonheur que de le retrouver. Bien sûr, il n’avait pas quitté le champ littéraire mais, préférant l’appel de la poésie, notre auteur avait quelque peu délaissé les rives de l’Imaginaire, qu’il aborda avec grand succès en 2011 (Boire la tasse, Grand Prix de l’Imaginaire) et 2014 (Finir en beauté). Il est de retour avec Couper les ponts, nouveau recueil de quatorze nouvelles, où son goût de l’absurde et des trouvailles fait une nouvelle fois merveille : toutes les actrices de renommée mondiale, lassées de la célébrité, investissent un village du Luberon où elles peuvent enfin vivre en toute quiétude ; un banquier décide de retrouver le mode de vie du xviiie siècle ; un homme, capable de faire (re)pousser la nature partout où il le souhaite, décide de s’isoler, choqué par le pouvoir phénoménal qui l’a investi et les attentes invraisemblables qui en découlent ; dans un monde où il est possible de pénétrer dans les tableaux, un couple décide d’aller à un vernissage d’un genre particulier… Chez Langlois, tout part visiblement d’une idée loufoque, étonnante, voire inquiétante ; il en tire ensuite au choix une vignette, une tranche de vie drolatique ou dramatique, ou un texte plus structuré, avec un début, un développement et une fin. C’est cette liberté de traitement, entre nouvelle à chute et réflexion permanente sur la place que tient l’homme dans la société, qui fait tout le sel de ce recueil – son unité aussi. Car s’il est bien un point commun entre les différents protagonistes de ces récits (de longueur relativement stable, entre quinze et trente pages), c’est celui rappelé par le titre de l’ensemble : tous vont être amenés à couper les ponts. Certains ne se font pas à ce monde technologique et informatisé, ils ne s’y sentent pas à leur place et vont trouver des expédients pour en sortir ; d’autres y pensent, mais un soubresaut du destin va précipiter les choses. Dès lors, Langlois convoque toute sa palette de peintre des sentiments et des émotions pour composer ses tableaux pointillistes : un peu de drame et d’inquiétante étrangeté, une bonne dose d’humour, un soupçon de spiritualité, beaucoup de malice. Et aussi, bien sûr, comme à chaque fois, un véritable amour de la langue, une façon de ciseler les mots à nulle autre pareille, des phrases dont l’emphase sert admirablement le propos – ainsi, la manière dont il parvient à restituer la fébrilité intime de cette vente aux enchères dans laquelle l’obélisque de la Concorde ou la devise Liberté Égalité Fraternité sont proposés à la vente. Couper les ponts ? Rien d’autre qu’une proposition faite au lecteur de lâcher les amarres, de laisser libre cours à son imagination et de profiter du voyage.

 

Central Station

Peut-être avez-vous déjà repéré la plume de Lavie Tidhar avec Aucune terre n’est promise, paru au label Mu (Mnémos) en 2020, Osama (Eclipse, 2013) ou encore Quand un homme rêve (Terra Nova, 2017). Peut-être souhaitez-vous aussi replonger avec lui dans un futur (très) lointain, à Central Station, zone inspirée par la gare routière de Tel Aviv et ayant donné lieu à une quinzaine de textes, publiés entre 2011 et 2016, et ici rassemblés.

Central Station forme donc un fix-up, dont les nouvelles figurent dans leur ordre de parution – un choix plutôt réussi. La progression narrative prend en considération différentes thématiques, comme celle de la famille : multiculturelle, qui se compose, se recompose, se quitte et se choisit à nouveau, qu’elle vienne de la Terre, de la Lune, de Mars ou d’univers virtuels galactiques, bref de partout où l’humanité a pu essaimer. Centrale est aussi l’idée d’une humanité augmentée – on se situe clairement au sein d’un univers cyberpunk – qui a ses succès comme ses échecs, ses lois (et ses pirates) ainsi que différentes façons de devenir cyborg, de naissance, par choix ou par imposition.

Ce qui fait le lien et tout l’intérêt de Central Station, c’est la façon dont nous suivons ces personnages, humains, strigoi, robots, avec leurs doutes, leurs failles, leur spiritualité également. On s’attache à leurs errances, aux retrouvailles et aux croisements de leurs histoires et de leurs origines culturelles : juives, maliennes, arabes et chinoises, et à toute l’avancée de l’humanité qui se dessine en creux, dans leurs échanges comme leurs choix de vie. Leur pluralité de vécus, d’expérience du monde, fait la grande force du livre. Et c’est enfin la plume de Lavie Thidar qui sait convaincre. Faisant appel à tous nos sens, en premier lieu celui du cœur et de la mémoire, l’auteur nous entraîne vers un futur possible – pas un des plus reluisants, certes, mais l’auteur le fait avec tendresse, sans manichéisme ni naïveté. Il joue également avec son lectorat en glissant çà et là des références à des œuvres de SF l’ayant précédé… et à un personnage qu’il retrouvera par la suite : l’écrivain Lior Tirosh.

Deux bémols, cependant : il est surprenant de ne pas retrouver dans l’édition française la carte de Central Station qui ouvre le volume paru en anglais, affichant clairement l’inspiration géographique de l’auteur ; auteur dont il n’est fait mention nulle part de la triple citoyenneté (Israël, Royaume-Uni et Afrique du Sud).

Plus frontalement, plus de dix ans après sa parution, ces textes résonnent de façon parfois douloureuse, dans un contexte géopolitique particulièrement mortifère, et un vertige peut nous saisir… sans pour autant défaire l’espoir d’apaisement futur qui existe au sein de Central Station.

Appleseed

Matt Bell est un écrivain américain. Outre-Atlantique, il est l’auteur de quelques recueils de nouvelles. Appleseed est son premier roman, publié en 2021. Il arrive aujourd’hui en France chez L’Atalante avec le même titre et dans une traduction de Marie Surgers.

xviiie siècle, Ohio. Chapman et Nathaniel, deux frères, traversent ce qui n’est pas encore un État américain pour y planter des vergers de pommiers afin de « s’enrichir » en vendant le bois aux colons qui viendront s’établir sur ces terres encore vierges. D’est en ouest ils vont, le plus souvent seuls, précédant les vagues « civilisatrices » et leur « Destinée manifeste ». Un détail : si Nathaniel est humain, Chapman, son demi-frère, est à moitié faune.

Fin du xxie siècle, USA. John fait partie d’un petit groupe qui résiste à l’avancée inexorable de Earthtrust, une megacorp qui prétend sauver le monde d’un changement climatique ayant commencé à produire des ravages innombrables. De la Zone de Sacrifice – la moitié ouest des USA, abandonnée et promise au réensauvagement – à l’Ohio, où se trouve le siège d’Earthtrust, John et ses alliés, au péril de leur vie, tentent une opération dont l’objectif est de dénier à Eury Mirov, fondatrice et dirigeante d’Earthtrust, le droit de décider seule et pour toute l’humanité de l’avenir de celle-ci. Un détail : John fut l’amant d’Eury et le cofondateur de la firme.

Mille ans dans l’avenir. Ohio ? Le monde est recouvert par une épaisse couche de glace. Sur ce glacier sans fin chemine C-432, un être humanoïde qu’une « chenille » motorisée transporte de point en point afin de récupérer les maigres vestiges de ressources naturelles accessibles à partir des crevasses qui fissurent le glacier. Quand une opération de récupération tourne mal et provoque la mort de C-432, le Tisseur, à l’intérieur de la « chenille », imprime un successeur, C-433, qui a les souvenirs de tous ses devanciers mais décide – c’est inédit – de choisir un autre destin que le scavenging glaciaire. Pour le détail, il faudra lire.

Appleseed est un magnifique roman de science-fiction post-apo’ mâtiné de réflexion écologique et aussi d’éco-fabulisme, avec un angle qui n’est pas celui de Kim Stanley Robinson dans Le Ministère du futur, tant il est résolument ancré dans la deep ecology, ce que n’est pas le roman de KSR. Ce qu’affirme Matt Bell au lecteur, c’est l’absurdité fondamentale de la croyance biblique selon laquelle le monde est donné aux hommes par Dieu pour qu’ils le dominent et l’assujettissent – version protestante : dominant la nature, l’Homme parachève la Création divine. Il ironise aussi sur la théorie US de la Destinée manifeste décrivant l’Amérique comme « terre libre » à coloniser pour la mettre en culture et ainsi la civiliser – Bell rappelle régulièrement qu’y vivaient d’autres hommes avant et que, de surcroît, l’humain n’est pas le centre de tout. Il dénonce, de plus, la volonté mégalomaniaque de tycoons prêts à initier une géo-ingénierie risquée sans l’accord de quiconque, prêts aussi à asservir – fut-ce volontairement – des humains qui cesseraient alors d’être des citoyens pour devenir des sujets à qui on a promis la survie en échange de la liberté politique. Le dernier temps de la valse se situe dans le lointain futur quand, on le suppose au début, faute d’en savoir plus, quelque chose a très mal tourné et qu’il s’agit de régénérer – sur quelles bases ? – une planète dépeuplée d’humains. Une forme de grand reset, si ce terme n’était devenu un étendard complotiste.

Entre mythologie, éternel retour, et résurgence d’une vision non ethnocentrée de la planète et de l’écosystème, Bell développe un récit tortueux qui alterne moments contemplatifs et scènes d’action violente. Très joliment écrit dans une veine nature writing assez logique ici, porté par l’importance de son sujet et son angle idéologique assez rare en SF, emmené par des personnages dont aucun ne laisse indifférent – avec une mention spéciale pour Chapman et Nathaniel, si aimables qu’on se sent vite en harmonie avec eux –, Appleseed n’est ni Le Ministère du futur (qu’il complète au point qu’on ne peut décemment pas lire l’un sans l’autre) ni le Choc terminal de Neal Stephenson. C’est un roman sensible, beau, aussi fort dans les idées que travaillé dans l’écriture. Et même si, vers la fin, la science y devient, disons, incertaine, qu’importe ! C’est un superbe texte qui émeut autant qu’il fait réfléchir. Moins à la survie de l’homme – comme souvent – qu’à sa place dans la biosphère. Stephen Graham Jones écrit : « La raison pour laquelle vous n’avez jamais lu de livre comme Appleseed est qu’il n’y a jamais eu un livre comme Appleseed. » Il a sans doute raison.

Et pour son titre non traduit, il fait référence à Johnny Appleseed, un mythe US, considéré comme l’un des premiers écologistes, dont l’histoire « authentique » est racontée ici, à moins que ce ne soit la légende. Qui peut savoir ?

La sortie du jour : “L'Automate de Nuremberg”

Le périple d’un automate à la recherche de son âme, à travers une Europe où Napoléon a assis sa domination… L'Automate de Nuremberg de Thomas Day, nouveau titre de la collection « Une Heure-Lumière », revient en librairie en ce 22 août !

Les Aiguilles d'or

L’automne 2023 a vu la parution d’un nouveau titre de la « Bibliothèque Michael McDowell », déjà riche de la saga Blackwater (cf. Bifrost n°107). Intitulé Les Aiguilles d’or et paru en 1980 en VO), il confirme la puissante cohérence stylistique et thématique de McDowell. D’une écriture toujours aussi efficace, l’écrivain déploie à nouveau une véritable contre-histoire des États-Unis. L’auteur explore ici les bas-fonds de la New York du XIXe siècle finissant. Il emmène, ou plutôt plonge, lecteurs et lectrices au cœur du quartier dit du « Triangle Noir ». Dans l’interlope topographie de ses rues borgnes et autres venelles ténébreuses se tapissent maisons closes, salles de jeu, fumeries d’opium et autres lieux destinés à satisfaire les vices d’une société new-yorkaise n’ayant de bonne que le nom… Il apparaît en effet que la famille patricienne des Stallworth, placée sous la patriarcale férule du juge James Stallworth, ne peut en réalité guère en remontrer en matière d’éthique au clan de « Lena la Noire ». Est ainsi surnommée la matriarche de la seconde des familles protagonistes des Aiguilles d’or, celle des Shanks, comptant autant de voleurs et prostituées que celle des Stallworth comprend de pasteur et autres piliers de l’ordre établi. Certes en délicatesse avec les lois écrites, les Shanks n’en possèdent pas moins une boussole morale certes singulière, mais plus assurée que celle des Stallworth. Ces damnés de l’urbaine terre new-yorkaise en feront la preuve lors d’un récit qui agrège d’une manière horrifique mélodrame social à la Dickens et feuilleton fin-de-siècle. Aussi prenantes et troublantes que Blackwater, ces Aiguilles d’or augurent de la meilleure des manières des sorties à venir dans la « Bibliothèque Michael McDowell ».

Organes Invisibles

Organes invisibles est une anthologie qui regroupe un ensemble de vingt-deux très courts récits et textes issus de trois recueils. Une brève préface de J-M. G. le Clézio introduit l’ensemble.

Quel étrange livre que celui-ci… « Extension », la nouvelle qui ouvre le bal, ressemble ainsi à une méditation lysergique teintée de surréalisme dalinien, lorsqu’un homme grandit inexplicablement jusqu’à être plus immense encore que l’espace infini, inversant sa perception des proportionnalités, et aboutissant à la contemplation extatique d’un univers orgasmique. On comprend rapidement pourquoi Salvador Dali est cité en préface alors que Borges et Kafka le sont en 4e de couverture ! La parenté fantastique invoquée en sous-titre est cependant toute relative, et il semble que le style général de l’auteur s’apparente bien davantage au courant surréaliste. Si Magritte avait peint un livre en lieu et place de sa pipe, c’eût été celui de Zaki Beydoun : ceci n’est pas un livre !

Avec la nouvelle-titre, le narrateur perçoit ses sensations comme des extensions de lui-même, et le corps semble n’être qu’une entrave à l’immensité de son moi psychanalytique freudien. « Les pensées ne sont en réalité que des pénis amputés », peut-on y lire… dont acte. La lecture de « L’Éveil », fin de relation de couple vécue comme une anti-hallucination où l’autre disparaît — au sens propre — du champ de vision, ou bien de « Paranoïa », mise en scène du moi confronté au jugement supposé de l’autre, confirme par ailleurs cette impression de délire psychédélique mortifère dont l’ego de l’auteur est le véritable inspirateur.

Les textes issus les plus anciens sont parfois étonnamment courts, de l’ordre du paragraphe, et paraissent souvent n’avoir aucun sens à moins d’être versé dans l’onicocritie, science de l’interprétation des rêves. Car c’est bien de cela qu’il semble être ici question, de la transcription littéraire de cauchemars insensés, et il y a certes quelque chose de fascinant à découvrir l’univers onirique auto-psychanalytique d’un conteur dont la plume s’avère libérée de toute contrainte conventionnelle, et parfois porteuse d’un je-ne-sais-quoi d’irrévérencieux : ainsi en est-il de « Ma nouvelle bouche », récit dans lequel le narrateur n’en a plus et se voit contraint de hurler sa rage par l’entremise de son auguste derrière… à l’haleine suffocante !

On l’aura compris Organes invisibles n’est pas à proprement parler un ouvrage de science-fiction, ni même de littérature fantastique ; c’est une introspection métaphysique surréaliste mise en prose, qui trouverait sans peine sa place dans un cabinet de curiosités littéraires. Sans être exceptionnelle et malgré un tarif élevé eu égard au format, cette « Exofiction » iconoclaste est peut-être cependant suffisamment étrange pour mériter que l’on s’y attarde, constituant un étonnant échantillon d’un genre littéraire que l’on qualifierait volontiers de délirium-fiction.

Promenons-nous dans les bois

L’automne 2023 a vu le retour de l’autrice de La Servante écarlate (Bifrost n°39). Ce n’est cette fois-ci pas avec un roman que Margaret Atwood se signale à nouveau mais avec un recueil de nouvelles, un genre dans lequel elle s’était déjà illustrée avec Neuf contes (Bifrost n°93). Les récits de Promenons-nous dans les bois sont de dates récentes. Peut-être est-ce la raison pour laquelle ils portent la trace du présent. Il peut s’agir de celui propre à une écrivaine octogénaire, veuve depuis 2019. Les nouvelles formant le (mini) cycle de « Tig & Nell » évoquent de manière autobiographique un couple affrontant la sénescence et la mort. Ces attachantes histoires relèvent cependant de la littérature blanche, et c’est dans la partie de l’ouvrage intitulée « Ma mère, cette sorcière » que se trouvent les genres chers à Bifrost. Le réalisme fantastique y domine avec la nouvelle donnant son titre à ce segment (la biographie d’une mère possiblement magicienne par sa fille) ainsi que dans « Entretien avec un mort » et « Une mort à coup de coquillages » — on y fait parler les morts que sont George Orwell et Hypatie d’Alexandrie — et « La métempsychose ou le voyage de l’âme », témoignage d’un escargot réincarné dans une femme. « Impatiente Grisildis » et « Mêléegénérale » relèvent de la SF, le premier relisant l’un des Contes de Canterbury à une aune extraterrestre, le second imaginant un futur matriarcal. De celui-ci, comme de ces autres textes, le présent n’est une nouvelle fois pas très loin. Margaret Atwood y évoque en effet autant de questions d’une actualité que l’on dit brûlante : les unes féministes, les autres écologiques ou bien encore pandémiques. Engagé, le regard porté par l’écrivaine sur ces points saillants de notre temps est enfin marqué par un humour rendant d’autant plus efficaces les interventions que sont ces miniatures de l’Imaginaire.

Muncaster

Robert Westall – Les Éditions du Typhon, coll. « Les Hallucinés » – novembre 2023 (réédition d’un court roman paru initialement sous le titreLe Maléfice de Muncasterchez Hachette Jeunesse – traduction inédite de l’anglais [UK] par Benjamin Kuntzer – 144 pp. semi-poche 17,90 € quand même !)

Joe est cordiste : un artisan-maçon qui intervient sur des ouvrages difficiles d’accès (cheminées d’usines, tours…) en utilisant des techniques empruntées à l’alpinisme. Avec son collègue Billy, il est missionné pour des travaux de réfection sur les tours de la cathédrale de Muncaster (ne cherchez pas le diocèse de Muncaster, il n’existe pas ; par contre, dans le nord-ouest de l’Angleterre se trouve un château de Muncaster ayant la réputation d’être hanté…). Très vite, à soixante mètres au-dessus du vide, Joe découvre une gargouille qui semble dotée de pouvoirs surnaturels. Petit à petit, le cordiste comprend que cette créature réclame un sacrifice, et que sa famille est menacée.

Robert Westall a commencé à écrire pour les enfants, mais après la mort de son fils, ses textes ont évolué vers davantage de noirceur. Cette tragédie personnelle transparaît dans Muncaster : le narrateur entretient une relation très forte avec son jeune fils et celui-ci, comme d’autres enfants, devient la cible de la gargouille maléfique.

Ce roman est initialement paru dans une collection jeunesse, on ne s’étonnera donc pas que l’histoire, classique, se déroule sans beaucoup de surprises. Malgré ce défaut et une écriture assez lisse, Muncaster est un court roman qui se lit avec intérêt. Le narrateur s’avère un personnage touchant dans sa simplicité, et on découvre le monde des cordistes, ces artisans amoureux des belles pierres qui défient la gravité. Une curiosité pour les curieux.

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