Les Derniers Contes de Canterbury
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Paru en 1944, ce recueil de nouvelles, comme son nom l’indique, se propose de poursuivre l’œuvre de Chaucer, en y ajoutant toutefois une note cocasse. Cocasse ? Le mot peut surprendre tant l’univers rayen est sombre et, particulièrement dans ce recueil et sa première partie, sanglant. Néanmoins, l’ouvrage ne se départit pas de cynisme, d’abord à travers le personnage de Tobias Weep, homme simple à la perception floue, fausse et mouvante, dont le rôle consiste, on peut le croire, à suivre son ami, l’inquiétant Reid Unthank. Tous deux appartiennent à un cercle littéraire qui se réunit selon les volontés plutôt loufoques d’un défunt, Sir Daniel Creswell. L’ordre du jour charge Tobias du secrétariat tandis que l’on discute d’une importante question : la localisation de l’auberge où Chaucer aurait écrit ses histoires. Déconfits, les deux amis voguent parmi les rues obscures lorsqu’ils tombent sur l’auberge en question. Weep devient alors l’invité d’un cercle des plus étranges, où chacun raconte une histoire. Les contes se succèdent. Le premier, « Irish stew », illustre parfaitement l’ironie du recueil. C’est l’histoire d’une auberge où l’on sert, pour une somme modique, un stew délicieux, jusqu’à ce qu’on s’aperçoive que l’aubergiste est un tueur et qu’il donne ses victimes à manger. À un client de conclure : « Nous n’aurons plus jamais autant à manger pour dix pence. » La partie « sanglante » s’achève sur un des meilleurs contes du recueil, « Suite à Tyburn », où Tipps, le bourreau, prolixe en bons mots et autres plaisanteries, nous raconte sa vie, son devoir et son amour avec la troublante Mistress Squeak. À travers le personnage du bourreau, et la place centrale que joue Tyburn, lieu où se déroulaient les exécutions capitales, parfois précédées de tortures, c’est la question de la justice qui est posée, et, par voie de conséquence, celle de Dieu, notamment par les personnages-conteurs que sont Miss Grace Abercrombie, qui sacrifia de jeunes enfants au dieu Baal, et la clergesse, experte en sorcellerie macabre. Dans la seconde partie, qui s’ouvre à l’océan, on notera les trois histoires de l’homme de la rum-row. Dans « La Plus belle petite fille du monde » se retrouvent toute l’horreur et le sublime de l’humanité, alliés au terrible cynisme du monde. C’est le récit d’un père, parti à l’aventure et perdu pour les cieux. Car le père ne souhaite qu’une chose : le bonheur de sa fille et, pour cela, il se contraint à assassiner ses camarades. Mais le sort est bien cruel et lorsqu’il revient, enfin riche et couvert de crimes, la plus belle petite fille du monde est décédée dans la misère. Dans « L’Assomption de Septimus Kamin », il s’agit toujours d’une petite fille, née à bord d’un vaisseau de contrebande, fille d’une danseuse entourée de mauvais garçons. Seulement, ces hommes qui n’entendent rien à la religion, particulièrement cette brute de Septimus Kamin, forcent le baptême et, faisant avec les moyens du bord, sacrifient alors leur meilleure bouteille de whisky. L’avenir les félicitera de leur prévenance car, heurtant peu après un paquebot, ils sombreront dans l’oubli. Reçu au paradis pour ce seul acte de bienveillance, Septimus demandera au Christ s’il peut malgré tout boire un petit peu. Le recueil s’achève sur une triple réflexion : la Mort, la Création et le Mal. Quel rôle le secrétaire, et par-là même l’écrivain, joue dans l’équation céleste ?