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Le Loup des steppes

[Critique commune à Les Habitants du mirage, Le Loup des steppes et Lud-en-brume.]

Les jeunes éditions Callidor viennent de lancer une collection intitulée « L’Âge d’or de la fantasy », dont le propos est de nous rappeler qu’il y a bien eu de la fantasy avant Tolkien et a fortiori ses clones, et que celle-ci pouvait prendre bien des formes. L’occasion de rééditer le classique de 1932 qu’est Les Habitants du mirage d’Abraham Merritt (dans une nouvelle traduction, hélas pas terrible), mais aussi, et surtout, de livrer enfin en français (et avec plus d’élégance) deux œuvres essentielles jusqu’alors inconnues de par chez nous : Lud-en-Brume de Hope Mirrlees (1926), et Le Loup des steppes signé Harold Lamb.

Commençons par le Merritt, roman pulpissime publié originellement en épisodes dans Argosy. On ne s’étonnera guère de ce que Lovecraft ait loué le talent de son collègue, tant ils étaient impliqués dans un jeu d’influence réciproque – et, dans le cas présent, l’entité du nom de Khalk’ru, Kraken destructeur de toute vie auquel on rend un culte sanguinaire de par le monde et qui ne manque pas de lancer son « appel », évoque tout naturellement un poulpe cher à notre cœur. Ceci étant, le roman de Merritt relève bien de la fantasy, et même plus précisément de l’heroic fantasy (très bourrine dans les derniers chapitres). Nous y suivons un colosse du nom de Leif Langdon, qui apprend en Mongolie qu’il est lié audit culte, puis découvre une vallée perdue cachée derrière un mirage en Alaska, où il connaîtra bien des aventures… lui, ou l’âme du vieux guerrier de la grande race Dwayanu, qu’il abrite dans une inquiétante métempsycose, ce qui lui confèrera un rôle de premier plan dans le conflit opposant les Ayjirs, très « barbares nordiques », et le Petit Peuple qu’ils persécutent. Ce récit foisonnant, qui accumule les thèmes aujourd’hui sans doute considérés comme autant de clichés – mais peut-être était-ce déjà le cas à l’époque –, s’avère un divertissement efficace et finalement singulier, tant l’auteur fait preuve d’astuce pour agencer le tout, avec en prime une touche de science « weird » non négligeable. Le roman ne brille certes pas par la forme, mais on lui reconnaîtra de remplir très bien son office.

Toutefois, si ce volume est « sympathique », les deux autres, inédits en français, sont vraiment excellents. Il est vrai qu’on pourrait se demander si le recueil de nouvelles Le Loup des steppes a bien sa place dans cette collection, tant l’absence de monde alternatif comme de surnaturel en fait plutôt un recueil « historique ». Mais les aventures, à la fin du XVIe siècle, du Cosaque vieillissant Khlit, d’abord sur les rives du Dniepr, puis bien plus loin dans l’Asie centrale, jusqu’à la forteresse d’Alamut, ou la tombe de Gengis Khan du côté de Karakorum, n’en sont pas moins extrêmement palpitantes et bien menées, et on ne sera guère étonné d’apprendre l’intérêt que vouait Robert E. Howard à ces récits pulp publiés en 1917-1918 dans Adventure : il y a déjà là-dedans les récits historiques de l’auteur, et en germe la fantasy à la Conan. Mais Lamb n’est pas un « simple » précurseur : c’est un maître du genre, un conteur doué qui joue adroitement de l’exotisme et aime à promener le lecteur volontaire dans des intrigues complexes et débordant de ruses autant que de combats. Un régal.

Lud-en-Brume est très différent, et n’a absolument rien de pulp. La préface enthousiaste de Neil Gaiman ne surprend pas vraiment : cette fantasy-là se rapproche bel et bien de la sienne. Hope Mirrlees y joue intelligemment de la Faërie et du folklore anglais, dans un roman qui n’en a pas moins une forte singularité, et reste peu ou prou inclassable aujourd’hui. Ce qui est à l’origine une farce sociale pour le moins réjouissante, critiquant avec perfidie les ternes bourgeois qui dirigent la ville de Lud-en-Brume en ignorant sciemment l’existence de la Faërie voisine, se mue progressivement en un réjouissant roman policier – trafic de fruits féeriques et lourds secrets campagnards –, avant de se transcender dans un onirisme fascinant non dénué d’aspects politiques. Et ceci notamment avec la figure du maire Nathaniel Chantecler, d’abord ridicule, mais dont on découvre qu’il n’a rien d’un imbécile : ce personnage paradoxal, dont on ne sait trop s’il est avant tout les pieds sur terre ou la tête dans les nuages, est un compagnon idéal pour plonger le lecteur dans l’étonnante réalité du Dorimare. Et le résultat final, avec sa plume savoureuse et poétique, souvent teintée d’humour mais pouvant le moment venu se montrer grave, tient bien du « classique », et peut-être même du chef-d’œuvre.

Ajoutons enfin que ces livres sont tous abondamment illustrés (avec plus ou moins de goût, certes…), et bénéficient en outre d’un petit paratexte fort bienvenu. Le bilan est sans appel : c’est une très belle initiative qu’ont eue les éditions Callidor, et on espère qu’elle se prolongera avec autant de qualité. Longue vie !

Les Habitants du mirage

[Critique commune à Les Habitants du mirage, Le Loup des steppes et Lud-en-brume.]

Les jeunes éditions Callidor viennent de lancer une collection intitulée « L’Âge d’or de la fantasy », dont le propos est de nous rappeler qu’il y a bien eu de la fantasy avant Tolkien et a fortiori ses clones, et que celle-ci pouvait prendre bien des formes. L’occasion de rééditer le classique de 1932 qu’est Les Habitants du mirage d’Abraham Merritt (dans une nouvelle traduction, hélas pas terrible), mais aussi, et surtout, de livrer enfin en français (et avec plus d’élégance) deux œuvres essentielles jusqu’alors inconnues de par chez nous : Lud-en-Brume de Hope Mirrlees (1926), et Le Loup des steppes signé Harold Lamb.

Commençons par le Merritt, roman pulpissime publié originellement en épisodes dans Argosy. On ne s’étonnera guère de ce que Lovecraft ait loué le talent de son collègue, tant ils étaient impliqués dans un jeu d’influence réciproque – et, dans le cas présent, l’entité du nom de Khalk’ru, Kraken destructeur de toute vie auquel on rend un culte sanguinaire de par le monde et qui ne manque pas de lancer son « appel », évoque tout naturellement un poulpe cher à notre cœur. Ceci étant, le roman de Merritt relève bien de la fantasy, et même plus précisément de l’heroic fantasy (très bourrine dans les derniers chapitres). Nous y suivons un colosse du nom de Leif Langdon, qui apprend en Mongolie qu’il est lié audit culte, puis découvre une vallée perdue cachée derrière un mirage en Alaska, où il connaîtra bien des aventures… lui, ou l’âme du vieux guerrier de la grande race Dwayanu, qu’il abrite dans une inquiétante métempsycose, ce qui lui confèrera un rôle de premier plan dans le conflit opposant les Ayjirs, très « barbares nordiques », et le Petit Peuple qu’ils persécutent. Ce récit foisonnant, qui accumule les thèmes aujourd’hui sans doute considérés comme autant de clichés – mais peut-être était-ce déjà le cas à l’époque –, s’avère un divertissement efficace et finalement singulier, tant l’auteur fait preuve d’astuce pour agencer le tout, avec en prime une touche de science « weird » non négligeable. Le roman ne brille certes pas par la forme, mais on lui reconnaîtra de remplir très bien son office.

Toutefois, si ce volume est « sympathique », les deux autres, inédits en français, sont vraiment excellents. Il est vrai qu’on pourrait se demander si le recueil de nouvelles Le Loup des steppes a bien sa place dans cette collection, tant l’absence de monde alternatif comme de surnaturel en fait plutôt un recueil « historique ». Mais les aventures, à la fin du XVIe siècle, du Cosaque vieillissant Khlit, d’abord sur les rives du Dniepr, puis bien plus loin dans l’Asie centrale, jusqu’à la forteresse d’Alamut, ou la tombe de Gengis Khan du côté de Karakorum, n’en sont pas moins extrêmement palpitantes et bien menées, et on ne sera guère étonné d’apprendre l’intérêt que vouait Robert E. Howard à ces récits pulp publiés en 1917-1918 dans Adventure : il y a déjà là-dedans les récits historiques de l’auteur, et en germe la fantasy à la Conan. Mais Lamb n’est pas un « simple » précurseur : c’est un maître du genre, un conteur doué qui joue adroitement de l’exotisme et aime à promener le lecteur volontaire dans des intrigues complexes et débordant de ruses autant que de combats. Un régal.

Lud-en-Brume est très différent, et n’a absolument rien de pulp. La préface enthousiaste de Neil Gaiman ne surprend pas vraiment : cette fantasy-là se rapproche bel et bien de la sienne. Hope Mirrlees y joue intelligemment de la Faërie et du folklore anglais, dans un roman qui n’en a pas moins une forte singularité, et reste peu ou prou inclassable aujourd’hui. Ce qui est à l’origine une farce sociale pour le moins réjouissante, critiquant avec perfidie les ternes bourgeois qui dirigent la ville de Lud-en-Brume en ignorant sciemment l’existence de la Faërie voisine, se mue progressivement en un réjouissant roman policier – trafic de fruits féeriques et lourds secrets campagnards –, avant de se transcender dans un onirisme fascinant non dénué d’aspects politiques. Et ceci notamment avec la figure du maire Nathaniel Chantecler, d’abord ridicule, mais dont on découvre qu’il n’a rien d’un imbécile : ce personnage paradoxal, dont on ne sait trop s’il est avant tout les pieds sur terre ou la tête dans les nuages, est un compagnon idéal pour plonger le lecteur dans l’étonnante réalité du Dorimare. Et le résultat final, avec sa plume savoureuse et poétique, souvent teintée d’humour mais pouvant le moment venu se montrer grave, tient bien du « classique », et peut-être même du chef-d’œuvre.

Ajoutons enfin que ces livres sont tous abondamment illustrés (avec plus ou moins de goût, certes…), et bénéficient en outre d’un petit paratexte fort bienvenu. Le bilan est sans appel : c’est une très belle initiative qu’ont eue les éditions Callidor, et on espère qu’elle se prolongera avec autant de qualité. Longue vie !

L’Évangile selon Eymerich

Dixième et semble-t-il dernier volume de la série des enquêtes de Nicolas Eymerich, enfin complète à La Volte, L’Évangile selon Eymerich use d’une formule éprouvée avec une indéniable réussite : on y retrouve ainsi, non sans plaisir, bien des « gimmicks » qui ont fait toute l’originalité et la pertinence de ce cycle mêlant science-fiction, histoire, ésotérisme et policier.

Au premier chef, bien sûr, il y a le personnage de l’inquisiteur lui-même, toujours aussi intelligent et délicieusement odieux – quitte à verser un brin dans la caricature, ce qui fait partie du jeu. Mais Nicolas Eymerich, dans cette ultime et complexe enquête, gagne en fait une certaine épaisseur, notamment en ce qu’il est personnellement impliqué : nous l’y voyons, en 1372, chasser un certain Rámon de Tárrega, Juif converti entré dans les ordres de saint Dominique, à l’instar de sa Némésis, mais versant plus que jamais dans l’alchimie et la nécromancie. La traque de l’hérétique – supposé mort, pourtant – conduira Nicolas Eymerich de Barcelone à la Sicile (surtout), puis à Naples, où diableries et hallucinations se succéderont à un rythme infernal sur un canevas politique d’une grande subtilité. Le duel acharné entre les deux hommes les enrichit mutuellement, et, si l’inquisiteur reste bien dans l’ensemble le même salopard que nous avons appris à apprécier, il se voit ici poussé dans ses retranchements – par exemple au contact de ces individus si étranges que sont les femmes et les Juifs… Toute blague à part, cet approfondissement du personnage, sans nuire en rien à sa cohérence, participe de la réussite du roman – et, en fait d’Évangile, on serait tenté de parler d’Apothéose…

Les autres procédés coutumiers de la série sont comme de juste employés dans ce dernier tome, et notamment les intrigues parallèles à différentes époques. Si l’enquête de 1372 fournit la presque totalité des développements du roman, elle est néanmoins éclairée par des éléments antérieurs (l’enfance de Nicolas Eymerich, âgé alors de huit ans – des scènes qui en rajoutent quelque peu dans la caricature, et pourtant remuent étrangement) et postérieurs (en l’an 3000, Valerio Evangelisti s’amuse d’une certaine manière à livrer une parodie trash et violente des Clans de la lune alphane de Philip K. Dick…) ; contrairement à ce qui pouvait se produire dans les volumes relativement plus faibles de la série, ce procédé est ici parfaitement sensé et utile à la compréhension de l’intrigue.

Il autorise par ailleurs l’auteur, comme souvent, à injecter une bonne dose de science et de pseudoscience (essentiellement des choses à base de champs magnétiques humains, d’électrochocs et d’espace-temps trituré) dans l’érudition ésotérique à laquelle se confronte l’inquisiteur, oscillant entre l’alchimie, la nécromancie et la Kabbale.

Le résultat est indéniablement un bon cru, qui sait renouveler la série tout en s’y insérant naturellement. Si la plume est à l’occasion un chouia défaillante, l’habileté narrative de Valerio Evangelisti fait des merveilles, comme dans les meilleurs récits du cycle. Un final de qualité, en somme, qui clôt avec honneur une série fort divertissante et joliment hors-normes.

La Fenêtre de Diane

Après une première vague de rééditions parues dans la collection poche « Hélios » du collectif des Indés de l’imaginaire (qui réunit Actusf, Mnémos et les Moutons électriques), voilà le roman inédit que certains n’espéraient plus, le retour de Dominique Douay, figure incontournable de la SF française jusqu’aux années 1980, où il avait cessé d’écrire, ou du moins de publier. Un retour sous la forme d’un texte aussi intrigant qu’exigeant, une aventure kaléidoscopique à l’énigmatique titre, La Fenêtre de Diane.

L’entame du roman est longue, déroutante et n’atteint sa cohérence qu’à mesure que le projet d’écriture devient plus clair. Nous sommes en effet en présence d’une déstructuration du récit qui multiplie les couches de narration, doublée parfois d’un délitement de la phrase (non, ce ne sont pas des coquilles), n’hésitant pas à décrire une perturbation du réel par l’interruption brutale d’une phrase suivie d’un simple retour à la ligne.

Comment exposer son intrigue sans en révéler un élément essentiel ? Imaginez une planète lointaine, nommée Livre. Elle ne fait qu’une seule chose : collecter et imprimer à sa surface des récits de vies, des histoires venues de la Terre, de toutes les Terre ayant jamais existé. Mais le roman ne parle pas d’elle. Il raconte l’existence de Gabriel Goggelaye, un type banal s’il en est. Si ce n’est qu’il a un pouvoir, celui de guérir les gens, et peut-être aussi de voyager dans le cours de sa propre existence. Mais le roman ne parle pas que de lui. Nous croisons aussi un trio perdu dans Livre, bloqués sur un fil, sur une histoire d’une Terre. Et ce fil s’interrompt. Cette Terre sera détruite. Alors ils se promènent dans le temps, chacun poursuivant ses propres objectifs. Sont-ils les fantômes que Gabriel Goggelaye croit apercevoir parfois, à la lisière de sa vision ?

On a trop souvent réduit Dominique Douay à un épigone français de Philip K. Dick. La dette est assumée, c’est une évidence à la lecture du roman. Plus que par les thématiques, Douay est proche du Californien par son traitement des personnages, ne négligeant aucun de ces perdants magnifiques et profondément attachants. Enfin, loin de la nature même de la réalité, Douay explore plutôt les thèmes connexes du temps et de la mémoire à travers les plis d’un roman qui, tel un origami raffiné, à toutes les chances de ne ressembler à rien si on le déplie trop.

Au lecteur alors de s’abandonner à cette suite de glissements, de la France à l’Afrique, de l’espace profond à la planète Livre, qui sont autant de fragments d’une histoire qui risque continuellement de nous échapper. Voilà peut-être le cadeau précieux qu’offre La Fenêtre de Diane : nous donner l’expérience du vertige, sans jamais avoir l’impression de tomber.

Happy Chernobyl Day

La catastrophe nucléaire de Tchernobyl, c'était il y a trente ans… L'occasion de se pencher sur une brève sélection d'œuvres — musicale, littéraire et cinématographique — directement inspirées par ce triste événement…

Bifrost fête ses 20 ans !

Vingt ans, ça se fête ! En cette occasion, c'est aujourd'hui que sortent non pas un mais trois numéros de Bifrost ! Le numéro 82, consacré à l'immense Neil Gaiman, disponible en papier comme en numérique ; le hors-série BD & SF, offert pour l'achat de deux numéros de Bifrost ; et l'anthologie numérique gratuite 20 ans… 20 nouvelles !, qui rassemble vingt des meilleurs textes publiés dans la revue au fil de ses deux décennies…

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Les Armées de ceux que j'aime

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Bifrost n° 116
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