Fragments d'une fantasy antique
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[Critique commune à Et d'Avalon à Camelot et Fragments d'une fantasy antique.]
Pourquoi ces continuels retours vers le passé, fut-il mythique ? Faut-il y voir de l’admiration (de la vénération ?) pour des légendes si puissantes qu’elles traversent les âges ? Ou plutôt un manque d’imagination et, de fait, un refuge dans un passé sécurisant car déjà cent fois rebattu ? Un peu des deux, sans doute.
Lucie Chenu continue à faire partager son goût pour les relectures de légendes ou contes anciens. Quatre ans après De Brocéliande en Avalon (même éditeur), elle a composé une nouvelle anthologie, inégale, mais pas dénuée d’intérêt, autour du cycle du roi Arthur : Et d’Avalon à Camelot. Dix textes. Différentes approches d’un même univers. Si certains restent fidèles au monde médiéval, d’autres s’évadent dans notre présent, voire le futur. Ainsi, dans « Voyage sans retour », Rémy Gallart imagine que les chevaliers sont des voyageurs temporels allant de monde divergent en monde divergent. Jusqu’à ce que l’un d’entre eux fasse une certaine rencontre… Pour Dean Whitlock (seul auteur traduit du volume), notre époque est un simple point de départ vers Arthur. « Le Sacre du Nouvel An » propose une idée séduisante qui s’enlise malheureusement dans la grandiloquence. Gudule aussi, dans « Excalibur Circus », part de notre siècle : le cirque est un prétexte bien pratique pour trouver la bonne personne, l’élu, et l’emmener où son destin l’appelle. Yael Assia, de son côté, mêle assez habilement magie et folie. Pas très original, mais bien conduit, « Trick or Treat » se montre séduisant et quelque peu dérangeant. Quant à Estelle Valls de Gomis, à trop vouloir mélanger les mythes, et surfer sur les modes, elle passe à côté de son « Histoire du Haut-portail ». Le vampire, nouvel ennemi de la chevalerie, c’en est décidément trop ! Enfin, « Fata Morgana » de Sara Doke revisite l’histoire de la magicienne. Mais à l’instar de son personnage principal, le lecteur reste froid devant ce court récit.
Les autres auteurs de cette anthologie un rien convenue placent leurs personnages dans un monde médiéval fantasmé. Anne Fakhouri nous donne l’image d’un Keu touchant dans « Ce que chuchotait l’eau », un texte sensible et attachant. Alors que « Le Chevalier noir » de Luvan tourne en boucle et finit par lasser. Quant à Nicolas Cluzeau, il signe ici la plus longue nouvelle, la dernière : « Une légende est née ». Riche et efficace, son récit met en scène une Guenièvre convaincante et permet de quitter cette an-thologie sur une note positive, chose qu’on se gardera de considérer comme un luxe…
Et de partir plus loin encore dans le temps afin de revisiter une autre mythologie, gréco-latine cette fois. David K. Nouvel, suite au colloque « L’Antiquité gréco-latine aux sources de l’imaginaire contemporain » du mois de juin dernier, a dirigé l’anthologie Fragments d’une fantasy antique ici proposée par les éditions Mnémos. En guise de préambule, on s’interrogera sur la présence du mot « fantasy » dans le titre de l’ouvrage nous occupant alors que les textes qui le composent n’en sont pas… Tentative désolante de faire vendre, ou sincère certitude qu’un lien existe entre les mythes gréco-latins et ce genre si galvaudé depuis quelques années ? On reste perplexe.
Toutes choses qui n’enlèvent rien à la valeur de certains textes peuplant cet ouvrage. Laissons de côté « Le Miroir d’Electre » de Jeanne-A Debats. Même si on sent que l’auteure s’est fait plaisir en modernisant l’histoire de cette jeune Grecque, ce sentiment n’est qu’en partie partagé ; multiplier les références et les clins d’œil finit par alourdir l’histoire. C’est aussi le problème de Fabien Clavel. Dans « Sur un fragment perdu du Satyricon », il imagine la découverte du livre I de ce roman antique truculent (dont il ne nous est parvenu que des morceaux) et nous le restitue. L’exercice, s’il s’avère intéressant, né-cessite cependant une bonne connaissance de l’original pour en profiter… et laisse une impression d’inachevé (un comble, au regard du projet du texte). Tout comme « Faisabilité et intérêt zootechniques de la métamorphose de masse » de Lionel Davoust. La magicienne Circé, forte de son expérience en matière de transformation porcine, propose d’étendre le procédé afin de lutter contre la faim dans le monde. L’idée est amusante, certes, mais cela ne suffit pas à forcer l’enthousiasme. Dans un tout autre style, Sylvie Miller et Philippe Ward mettent une nouvelle fois en scène leur détective préféré. Dans « Voir Pompéi et mourir », il est engagé par Isis pour découvrir le meurtrier d’un de ses prêtres en terre romaine. Distrayant. Ce n’est déjà pas si mal…
Passons également sur le rapide « Sphinx », virgule sympathique, sans prétention, de Rachel Tanner, pour arriver au plus convaincant « Labyrinthe » de Romain Aspe. Pour créer ce bâtiment mythique, Dédale ne s’est pas contenté de ses connaissances d’architecte, il a également fait appel aux dieux. Dans un but bien précis, dangereux. Et qui fera plusieurs victimes. Nicolas Delong, dans « Les Dieux veulent, les dieux prennent », s’intéresse aussi à ce côté impitoyable du divin, à cette tendance à prendre les hommes pour des pions, de simples marionnettes. Son récit, en cela, est touchant. Enfin, plus violent, plus à fleur de peau, « A couteau ». Nathalie Dau y évoque une vision moderne du mythe d’Apollon et Marsyas ; surprenante, et presque plus cruelle que l’originale. C’est dire !
Au final, et sur l’ensemble de ces deux anthologies, des lectures souvent trop classiques d’histoires déjà bien souvent reprises et ressassées. Avec quelques rares bonnes surprises qu’il serait dommage de laisser de côté, mais qui peinent à elles seules à suffire pour recommander l’achat de l’un ou l’autre de ces ouvrages…
Dommage.