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La Symphonie des spectres

Après Grendel il y a peu, Gilles Dumay continue son exhumation des œuvres de John Gardner avec la présente réédition de son dernier roman, La Symphonie des spectres (on pourra légitimement préférer le titre original, Mickelsson’s Ghosts), mais pas dans la collection « Lunes d’encre », cette fois (il est vrai que l’élément fantastique, s’il a son importance, reste diffus tout au long des presque 800 pages de ce monstre littéraire). « Le chef-d’œuvre oublié de la littérature américaine », nous dit la couverture. Le procédé peut faire grincer des dents… mais pour une fois, c’est peut-être bien vrai.

Peter Mickelsson est un professeur de philosophie dans une obscure université de Pennsylvanie. Cet ancien footballeur (il y tient) traumatisé par Luther (il est issu d’une longue lignée de pasteurs) et obsédé par Nietzsche est à bien des égards un raté, cerné par les problèmes. Et notamment ceux qui concernent l’argent : son ex-femme Ellen est dépensière et inconséquente, mais il se sent tenu de lui verser plus que de raison, notamment pour assurer l’éducation de leurs deux enfants, dont il n’a pas eu de nouvelles depuis un bail ; aussi n’a-t-il pas payé ses impôts depuis quelques années, ce qui lui vaut d’être harcelé par l’IRS. Ses cours comme ses collègues le gonflent pas mal, et il ne s’intéresse plus guère à la recherche (même s’il envisage de publier un best-seller de philosophie pour les nuls). Il accumule par ailleurs les déceptions sentimentales, et les faux-pas qui vont avec, notamment avec la prostituée mineure Donnie et la sociologue (non marxiste, un cas unique !) Jessie. Il sombre peu à peu dans l’apathie, laissant traîner son courrier, et ne retrouve un tant soit peu de goût pour la vie qu’en s’exilant dans les Montagnes Infinies, à une heure de route de sa faculté : en effet, bien que n’ayant pas l’argent pour ce faire, il fait l’acquisition d’une vieille demeure près de Susquehanna, bled paumé infesté de sorciers et de mormons ; là-bas, il passe son temps à retaper la baraque et à fabriquer lui-même ses meubles. Seulement voilà : la maison a la réputation d’être hantée… et ça pourrait bien être davantage qu’une superstition campagnarde.

Peter Mickelsson, dans lequel on reconnaît pas mal John Gardner lui-même, est un superbe personnage, d’une humanité rare, aussi attachant qu’agaçant, et merveilleusement complexe. A travers lui, John Gardner dresse un portrait lucide de l’Amérique au tournant des années 80, quand Reagan arrive à la Maison Blanche. Il faut dire que les digressions sont nombreuses (avec des vrais morceaux de cours de philo dedans), qui permettent de mieux cerner la personnalité de ce magnifique loser de héros.

Aussi le roman, loin d’être frénétique malgré ses faux airs de thriller fantastique vaguement conspirationniste (Mickelsson est passablement paranoïaque…), prend-il son temps, se développe-t-il avec une lenteur majestueuse. Mais, tout au long de ces presque 800 pages (on l’a dit), il ne suscite jamais pour autant l’ennui. Belle performance : ce pavé, pour exigeant qu’il soit par moments, notamment du fait de sa trame diffuse et des délires philosophiques plus ou moins sérieux qui le parsèment, est, ainsi que le fait remarquer Fabrice Colin dans sa postface, impossible à lâcher. C’est qu’on se prend vite d’intérêt pour le sort du pathétique Mickelsson, et que Gardner, de sa plume habile et splendide, étonnamment fluide, sait toujours rattraper son lecteur et lui intimer l’ordre de poursuivre.

La Symphonie des spectres est un roman souvent drôle, parfois même hilarant — ainsi, dans sa satire lucide de l’université et des mondanités hypocrites qui vont avec —, mais aussi profondément émouvant. Et, si l’appellation un peu facile et parfois tellement creuse de « roman philosophique » peut sembler plus ou moins pertinente, on se prend cependant d’envie de le qualifier de « roman total », tant il balaye une multitude de thèmes avec un brio sans cesse renouvelé. Tout y passe, du plus trivial au plus sérieux, et les interrogations éthiques abondent à l’égard de l’ensemble. Et c’est passionnant.

Superbe description d’un homme qui sombre pas à pas dans la dépression et la folie (ou pas), l’ultime roman de John Gardner est une merveille d’une richesse insoupçonnée, à vrai dire inclassable. Jamais lassant en dépit de sa longueur, débordant d’humanité et d’empathie, soufflant le chaud et le froid avec une maestria qui n’appartient qu’aux meilleurs, c’est un livre fascinant et en tout point abouti qui ne prête en rien le flanc à la critique. Il relève de la meilleure littérature américaine — et au-delà —, et constitue bel et bien un authentique chef-d’œuvre. Précipitez-vous sur cette merveille, réédition bienvenue après une trentaine d’années d’un injuste oubli. La Symphonie des spectres, avec son ambition phénoménale mais jamais étouffante, est bel et bien la confirmation du génie de son auteur. Un livre rare, bluffant, à chérir précieusement, et dont on espère qu’il augurera de nouvelles publications.

Descendre en marche

Descendre en marche est le cinquième livre de Jeff Noon publié par La Volte  à la différence des précédents, toutefois, ce roman datant déjà d’une dizaine d’années n’est en rien lié au Vurt. Il s’agit cette fois d’une sorte de road novel post-apocalyptique (à vrai dire, on a un peu l’impression, sur ces autoroutes désertes, d’être dans un film de zombies sans zombies…), très éloigné des délires vaguement cyberpunks de Vurt, Pollen, Pixel Juice et NymphoRmation. Autant prévenir d’emblée les amateurs, donc : ils ne s’y retrouveront pas forcément. Car s’il est des éléments qui confirment bien que nous sommes en présence d’un roman de Jeff Noon — et notamment sa traditionnelle obsession pour Lewis Carroll, en l’occurrence ici, comme de juste, De l’autre côté du miroir —, la tonalité d’ensemble est très différente : rien de joyeusement barré et jubilatoire ; cette fois, Noon fait dans le noir, le douloureux, le mélancolique, et son style est beaucoup plus épuré que d’habitude, s’il a toujours quelque chose de déjanté.

L’Angleterre est sous le coup d’une terrible maladie de l’information. Le bruit vient perturber les signaux, quels qu’ils soient, rendant bon nombre d’objets ou de procédés inutilisables — ainsi les livres, les photographies, la musique, etc. On a l’impression d’objets qui deviennent fous ; mais ce sont bien les perceptions des malades qui sont ainsi faussées, et ce sont eux qui en viennent progressivement à sombrer dans l’aliénation la plus totale ; pour éviter ce triste sort, si c’est seulement possible, une seule solution : absorber régulièrement, et « tout en douceur », des comprimés d’une drogue appelée Lucidité (Lucy pour les intimes)…

L’héroïne et narratrice du roman, Marlene, a perdu sa fille Angela du fait de la maladie. Cette ancienne journaliste continue, contre vents et marées, à prendre des notes éparses sur les événements qu’elle est amenée à vivre, en compagnie de l’ex-soldat et petite frappe Peacock, de la colérique Henderson, et de la jeune auto-stoppeuse Tupelo. Ce quatuor roule à travers l’Angleterre désolée, plus ou moins au hasard en apparence. Mais il a en fait une mission à remplir, confiée par le mystérieux Kingsley : retrouver aux quatre coins du pays des fragments de miroirs — le miroir étant le symbole même de la perturbation de l’information — qui sont supposés, une fois rassemblés, offrir de quoi vaincre l’épidémie. Une quête passablement fantaisiste, donc, et hautement symbolique.

Mais ne nous y trompons pas : celle-ci relève à bien des égards du « McGuffin » (de même que la dimension vaguement paranoïaque du roman, avec cette mystérieuse limousine qui semble suivre nos héros). Ce qui intéresse vraiment Jeff Noon — et le lecteur — dans Descendre en marche, c’est bien de capter — si l’on ose dire — les impressions d’une personne qui, emportée par un deuil douloureux, devient folle… et en a en partie conscience. La perte de repères ne se contente pas de constituer le quotidien de Marlene et de ses compagnons, mais imprègne littéralement le texte, lui aussi en forme de miroir éclaté (d’où la couverture — très jolie, une fois de plus). Aussi l’interrogation sous-jacente sur la nature de la réalité et la perception que l’on en a (on pense tout naturellement à Philip K. Dick et Christopher Priest) est-elle ici tant une question de fond que de forme. Une forme parfois hermétique — le roman, pour être plus épuré et moins baroque que les précédentes parutions de Noon à La Volte, n’en est certainement pas pour autant plus « facile », et demande un apprentissage —, mais toujours pertinente, et qui contient quelques très beaux moments (ainsi de la scène du musée des choses fragiles, brève mais absolument superbe).

Au-delà, le roman porte sans doute en lui la réflexion (eh eh) désabusée d’un auteur sur sa propre production : Marlene s’interroge régulièrement sur ce qui la motive à écrire, et il y a ce passage aussi édifiant que troublant où, dans une bibliothèque, Tupelo et elle font, avec la prudence que leur intime le surveillant, l’expérience de livres dont les mots disparaissent une fois lus… On est bien loin, ici, de l’enthousiasme débordant des œuvres précédemment citées ; le ton est grave, dépressif, douloureux…

Impression renforcée par la récurrence du thème du deuil, nécessairement impossible ; la présence d’Angela, insidieuse, se fait toujours ressentir ; elle est à la fois, pour Marlene, incitation à poursuivre son chemin et rappel cruel de la vanité de sa quête. Et Marlene de vouloir à son tour passer de l’autre côté du miroir — le texte de Carroll est régulièrement évoqué, et même complété, au-delà des sempiternelles et improbables parties d’échecs de Tupelo —, là où rien n’a jamais été supposé faire sens. Tentation de vouloir tout laisser tomber. De descendre en marche…

Avec ce nouvel opus, la Volte nous offre la possibilité d’envisager l’excellent Jeff Noon d’un œil différent. Et si Descendre en marche n’est probablement pas aussi bluffant que Pollen ou Pixel Juice, s’il n’a rien en commun avec leur hystérie communicative, il reste à n’en pas douter une réussite dans son genre ; un roman dur, troublant, qui laisse un brin perplexe sur le moment comme à l’arrivée, mais riche en images fortes et interrogations… lucides, qui hanteront le lecteur un bon moment. Et n’oubliez pas : « Si vous lisez cette phrase, c’est que vous êtes en vie. »

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